24 > © B.Roberts/PICTURETANK L’ENQUÊTE Ces jeunes qui flirtent avec les limites Si l’immense majorité des jeunes Occidentaux n’a nul besoin de se mettre en danger pour avancer dans la vie, diverses enquêtes anthropologiques montrent toutefois qu’entre 15 et 20% d’entre eux, issus pour la plupart de familles recomposées ou monoparentales dont la figure paternelle est absente ou inconsistante, sont aujourd’hui réellement en détresse, en plein brouillard identitaire. Et que, si les garçons semblent deux fois plus nombreux que les filles à éprouver un grave « manque à être » et à tâter des conduites à risque, tous les milieux sociaux sont touchés. Les conduites à risque, rappelle David Le Breton, du laboratoire « Cultures et sociétés en Europe » (CSE) 1, recouvrent une grande diversité de comportements « mettant symboliquement ou réellement l’existence en danger. Leur trait commun consiste dans l’exposition délibérée du jeune au risque de se blesser ou de mourir, d’altérer son avenir personnel ou de mettre sa santé en péril ». Quatre grandes catégories dominent : l’ordalie, le sacrifice, la blancheur et l’affrontement. L’ordalie, dont l’archétype est la tentative de suicide, « consiste à jouer le tout pour le tout et à se livrer Le journal du CNRS n°236 septembre 2009 à une épreuve personnelle afin de tester sa « légitimité à vivre », dit David Le Breton. Le jeune en souffrance, qui estime que la société a émis un jugement négatif à son encontre, se confronte volontairement à la mort pour se réapproprier symboliquement une existence qu’il perçoit comme ne bénéficiant d’aucune reconnaissance. Côtoyer la mort lui permet de « fabriquer du sens » lorsque tout le reste se dérobe, de prendre une décision lui appartenant en propre » et, s’il s’en sort, dans le meilleur des cas, de renouer avec le goût de vivre, au moins provisoirement. Avec un autre comportement à risque, le sacrifice, auquel correspondent les diverses formes d’addiction comme la toxicomanie et l’anorexie, le jeune « abandonne une part de luimême pour sauver l’essentiel, paie le prix pour la poursuite de son existence ». La blancheur, que l’on rencontre dans les jeux d’étranglement, les fugues, l’errance, l’alcoolisation, l’adhésion à une secte ou la recherche de la « défonce », signe quant à elle « la volonté de se défaire de toutes les contraintes d’identité, de sortir ou de disparaître de soi pour ne plus être atteint par la souffrance liée au monde extérieur. C’est une recherche de perte de contrôle, de coma, et non de sensations fortes », dit David Le Bre- En 2008 8,9% des jeunes de 17 ans étaient des consommateurs réguliers d’alcool contre 14,5% en 2003 ton. Reste l’affrontement, autrement dit la confrontation brutale et spectaculaire aux autres (vitesse sur la route, violence verbale, bagarres sanglantes, actes de délinquance, activités illégales…), privilégié par les garçons, plus marqués par la rivalité et la peur de passer pour des « bouffons ». Les filles intériorisent davantage leur souffrance, somatisent leur mal-être et « préfèrent » se détruire dans la solitude. Somme toute, le jeune conçoit le risque non comme un but en soi (son intention n’est nullement de mourir, dans la plupart des cas), mais comme « une nécessité intérieure, conclut le même chercheur. Ces jeunes entendent se révéler à travers une adversité créée de toutes pièces. Si les conduites à risque relèvent d’une interrogation douloureuse sur le sens de l’existence, elles sont en même temps une manière de forcer le passage en brisant le mur d’impuissance ressenti devant une situation, de tenter de s’en extraire pour continuer à vivre », coûte que coûte. DES SCARIFICATIONS AU MASCULIN ET AU FÉMININ Autre comportement attirant l’attention : les scarifications. Si l’on manque de chiffres précis |