CNRS Le Journal n°236 septembre 2009
CNRS Le Journal n°236 septembre 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°236 de septembre 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3,0 Mo

  • Dans ce numéro : Qui sont vraiment les jeunes ?

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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24 > © B.Roberts/PICTURETANK L’ENQUÊTE Ces jeunes qui flirtent avec les limites Si l’immense majorité des jeunes Occidentaux n’a nul besoin de se mettre en danger pour avancer dans la vie, diverses enquêtes anthropologiques montrent toutefois qu’entre 15 et 20% d’entre eux, issus pour la plupart de familles recomposées ou monoparentales dont la figure paternelle est absente ou inconsistante, sont aujourd’hui réellement en détresse, en plein brouillard identitaire. Et que, si les garçons semblent deux fois plus nombreux que les filles à éprouver un grave « manque à être » et à tâter des conduites à risque, tous les milieux sociaux sont touchés. Les conduites à risque, rappelle David Le Breton, du laboratoire « Cultures et sociétés en Europe » (CSE) 1, recouvrent une grande diversité de comportements « mettant symboliquement ou réellement l’existence en danger. Leur trait commun consiste dans l’exposition délibérée du jeune au risque de se blesser ou de mourir, d’altérer son avenir personnel ou de mettre sa santé en péril ». Quatre grandes catégories dominent : l’ordalie, le sacrifice, la blancheur et l’affrontement. L’ordalie, dont l’archétype est la tentative de suicide, « consiste à jouer le tout pour le tout et à se livrer Le journal du CNRS n°236 septembre 2009 à une épreuve personnelle afin de tester sa « légitimité à vivre », dit David Le Breton. Le jeune en souffrance, qui estime que la société a émis un jugement négatif à son encontre, se confronte volontairement à la mort pour se réapproprier symboliquement une existence qu’il perçoit comme ne bénéficiant d’aucune reconnaissance. Côtoyer la mort lui permet de « fabriquer du sens » lorsque tout le reste se dérobe, de prendre une décision lui appartenant en propre » et, s’il s’en sort, dans le meilleur des cas, de renouer avec le goût de vivre, au moins provisoirement. Avec un autre comportement à risque, le sacrifice, auquel correspondent les diverses formes d’addiction comme la toxicomanie et l’anorexie, le jeune « abandonne une part de luimême pour sauver l’essentiel, paie le prix pour la poursuite de son existence ». La blancheur, que l’on rencontre dans les jeux d’étranglement, les fugues, l’errance, l’alcoolisation, l’adhésion à une secte ou la recherche de la « défonce », signe quant à elle « la volonté de se défaire de toutes les contraintes d’identité, de sortir ou de disparaître de soi pour ne plus être atteint par la souffrance liée au monde extérieur. C’est une recherche de perte de contrôle, de coma, et non de sensations fortes », dit David Le Bre- En 2008 8,9% des jeunes de 17 ans étaient des consommateurs réguliers d’alcool contre 14,5% en 2003 ton. Reste l’affrontement, autrement dit la confrontation brutale et spectaculaire aux autres (vitesse sur la route, violence verbale, bagarres sanglantes, actes de délinquance, activités illégales…), privilégié par les garçons, plus marqués par la rivalité et la peur de passer pour des « bouffons ». Les filles intériorisent davantage leur souffrance, somatisent leur mal-être et « préfèrent » se détruire dans la solitude. Somme toute, le jeune conçoit le risque non comme un but en soi (son intention n’est nullement de mourir, dans la plupart des cas), mais comme « une nécessité intérieure, conclut le même chercheur. Ces jeunes entendent se révéler à travers une adversité créée de toutes pièces. Si les conduites à risque relèvent d’une interrogation douloureuse sur le sens de l’existence, elles sont en même temps une manière de forcer le passage en brisant le mur d’impuissance ressenti devant une situation, de tenter de s’en extraire pour continuer à vivre », coûte que coûte. DES SCARIFICATIONS AU MASCULIN ET AU FÉMININ Autre comportement attirant l’attention : les scarifications. Si l’on manque de chiffres précis
et récents pour quantifier le phénomène 2, de nombreux spécialistes des troubles adolescents s’accordent à dire qu’il est en augmentation. Pour Meryem Sellami, elle aussi en poste au CSE et auteur d’une enquête sur le sujet menée en France et en Tunisie, ces entames corporelles délibérées témoignent de façon tout aussi poignante de la souffrance d’une fraction de la jeunesse. S’agissant des garçons, dit-elle, se couper figure en bonne place parmi les conditions d’intégration dans un clan, dans les quartiers défavorisés. De surcroît, s’entailler les bras, les avantbras ou le torse sous le regard de ses pairs avec un cutter, un couteau ou un compas, permet d’incarner l’image du « dur », de « l’homme fort », d’entrer dans la communauté de « ceux qui n’ont pas peur d’avoir mal », le tout agrémenté de stéréotypes machistes et phallocrates. Ces adolescents, conscients du statut de telles blessures dans l’imaginaire collectif, « cherchent à faire peur et à endosser le costume du délinquant sans verser systématiquement dans la transgression des lois », explique Meryem Sellami. Surtout, au-delà de leur souci de perdre « le respect » des autres, l’enjeu pour ces jeunes est de « lutter contre l’indifférence, de prouver qu’ils existent. Menacés par l’exclusion du fait de la précarité de leur situation socio-économique, ces laissés-pourcompte font de leur peau l’exutoire de leur détresse. En se scarifiant, ils conjurent la violence symbolique dont ils souffrent. Ils conçoivent leur corps comme un « matériau », une matière à puiser de la « force » dans la lutte symbolique qui les confronte aux autres ». Les entailles faites en solitaire, quant à elles, servent moins à intimider qu’à retourner contre soi une violence oppressante que les jeunes ne peuvent infliger à ceux ou celles qui les persécutent psychologiquement. Mais autant les garçons exhibent fièrement leur peau tailladée, autant les filles la dissimulent minutieusement. Pour les adolescentes victimes d’abus sexuels par exemple, estime Meryem Sellami, « la peau n’est plus considérée comme une source de plaisir et d’épanouissement », mais comme « une enveloppe souillée qu’il faut purger ». LA DÉLINQUANCE CHANGE DE FORME Maintenant, que disent les chiffres sur la violence juvénile ? Augmente-t-elle et se durcit-elle d’année en année, comme le grommellent de nombreuses voix ? Les jeunes ont assurément mauvaise réputation, ceux des « cités » au premier chef, et depuis le début des années 1990, le thème de la délinquance des mineurs s’invite quasi quotidiennement à la table de l’ogre médiatique. En fait, les enquêtes en population générale font état d’une remarquable stabilité en la matière. Reste que, depuis trente ans, « la structure de la délinquance enregistrée des mineurs s’est profondément modifiée », dit Laurent Mucchielli, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip) 3. Au début des années 1970, les vols, notamment de véhicules à moteurs, représentaient les troisquarts de la délinquance des mineurs poursuivis par la police, contre moins de la moitié (40%) désormais. En revanche, les « délinquances d’ordre public » (usage et revente de stupéfiants sur la voie publique, infractions à personnes dépositaires de l’autorité publique, destructionsdégradations, en particulier celles visant les biens publics…), ainsi que les agressions interpersonnelles (agressions verbales, physiques et Les vols de véhicule à moteur à40% sont passés de 75% dans la délinquance des mineurs depuis 1970 L’ENQUÊTE 25 sexuelles), « ont beaucoup progressé dans les statistiques administratives qui mesurent toutefois davantage l’activité policière que celle des délinquants », indique Laurent Mucchielli. Autre nouveauté : depuis 1990, les pouvoirs publics « ne cessent d’ordonner aux policiers, aux magistrats et aux chefs d’établissements scolaires de signaler toutes les formes de violence, même les plus bénignes ». Résultat, la justice se retrouve saisie d’une quantité de petites affaires concernant souvent des préadolescents, voire des enfants, survenues en famille, dans le voisinage et à l’école, autant de contentieux naguère traités > Le journal du CNRS n°236 septembre 2009 © R. McMahon/CORBIS



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