CNRS Le Journal n°236 septembre 2009
CNRS Le Journal n°236 septembre 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°236 de septembre 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3,0 Mo

  • Dans ce numéro : Qui sont vraiment les jeunes ?

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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22 L’ENQUÊTE © P.Brault/OEIL PUBLIC Le journal du CNRS n°236 septembre 2009 20% des jeunes > élaboré, désengagement du mimétisme vestimentaire imposé au collège, relations amou- dans toute l’Europe. hexagonale au plus bas des scores d’optimisme reuses plus « sérieuses » et plus durables, réflexion sur des projets professionnels… : se UNE GÉNÉRATION EN RUPTURE sentir jeune, « c’est d’abord éprouver l’impression Comment expliquer une sinistrose aussi carabinée ? Selon Olivier Galland, du Groupe d’étude d’appartenir à un « nouvel âge », dit Michel Fize. La jeunesse est une réappropriation de soi où l’on des méthodes de l’analyse sociologique (Gemas) 3, pose mieux son identité en tenant moins compte du trois explications générationnelles s’enchevêtrent : « La jeunesse française est discriminée éco- regard des autres. Vis-à-vis des parents, si conflit il a pu y avoir, il s’apaise. À 16, 17 ans, on est davantage dans une posture égalitaire, dans une confronreprésentée politiquement. » De fait, depuis nomiquement, désocialisée culturellement et soustation de personnes ». quelques décennies, la précarité de l’emploi se Un « nouvel âge » flanqué malgré tout d’un concentre de plus en plus sur les jeunes. Du début des années 1980 au long cortège de difficultés. L’enquête réalisée en 2008 pour le compte de la Fondation pour l’innovation politique montre en effet que seuls centage de jeunes actifs de milieu des années 2000, le pour- 25% des jeunes Français sont pleinement moins de 25 ans occupant un convaincus que leur avenir est prometteur, contre emploi instable ou pointant 60% des jeunes Danois, par exemple, et autant au chômage est passé d’un qu’ils trouveront un jour un bon travail. 6% peu plus de 40% à près de font confiance aux « gens en général », 3% au 60%. « Les jeunes, surtout non gouvernement, 2% aux médias. D’autres études diplômés, sont plus que jamais la indiquent que le pourcentage de jeunes principale variable d’ajustement de « inquiets » a grimpé de 13% en 1982 à 28% l’économie, avec les travailleurs âgés, dit en 2007. Un moral en berne qui situe la jeunesse Olivier Galland. Notre système a plutôt tenquittent l’école sans diplôme ni qualification 60% des jeunes actifs de moins de 25 ans sont en situation professionnelle instable ou au chômage dance à protéger les « insiders » (ceux qui sont déjà intégrés dans l’emploi) que les « outsiders » (les postulants) », même s’il ne faut pas noircir le tableau à l’excès. Entre 25 et 30 ans, 80% des jeunes finissent par obtenir un CDI. Bref, si l’ascenseur social n’est pas bloqué, il hoquète, fonctionne au ralenti. Outre ces facteurs économiques, la culture des jeunes a rompu les amarres avec les standards de la « culture légitime » qui correspond aux normes scolaires et aux normes des milieux sociaux les plus favorisés (lire « La musique, un bouillon de cultures » p. 20). « Ceux qui en souffrent probablement le plus sont les professeurs, chargés de transmettre un patrimoine culturel qui accroche 25% des 15-18 ans sont convaincus que leur avenir est prometteur contre 60% au Danemark
de moins en moins sur les élèves, dit Olivier Galland. Moins le legs culturel issu du passé est partagé entre générations, moins la société peut exercer son pouvoir intégrateur », la sociologie ayant montré que l’intégration sociale repose sur « le sentiment d’appartenir à une collectivité qui partage les mêmes valeurs ». Les jeunes, enfin, sont mal représentés dans les corps intermédiaires (syndicats, associations, partis) susceptibles de parler et de négocier en leur nom avec les pouvoirs publics, malgré la création récente d’un Haut Commissariat à la jeunesse. « Les jeunes sont des acteurs quasi invisibles, sauf lorsqu’ils descendent dans la rue pour protester contre telle ou telle mesure les concernant, dit Olivier Galland. La sphère politico-administrative s’interroge alors sur les racines du malaise, mais elle peine à trouver dans la jeunesse elle-même des interlocuteurs crédibles et légitimes, puisque celleci est très faiblement organisée. » Un vrai cercle vicieux. UN SYSTÈME ÉDUCATIF À RÉINVENTER Crise de confiance, crise de valeurs, crise sociale : on comprend mieux pourquoi les jeunes tricolores broient du noir. Et si ce « mal français » provenait, pour l’essentiel, d’un mauvais fonctionnement du système éducatif ? Olivier Galland en est convaincu. « Nous vivons toujours sur le modèle élitiste de l’école républicaine, dit-il. Or, ce modèle méritocratique, mal adapté à la massification de l’accès à l’enseignement secondaire et supérieur, continue de vénérer le dieu Diplôme – qui semble déterminer le destin de chacun pour la vie, de façon irréversible – et de nourrir l’obsession du classement. Tout en affichant un idéal égalitaire de façade, l’école française est tout entière conçue pour écrémer progressivement les meilleurs ou supposés tels, sélectionner les « pépites » qui formeront l’élite de la nation, et non pour promouvoir la réussite du plus grand nombre. » Les méfaits de cette « machine à casser des destins » sont patents : près de 20% des jeunes quittent chaque année l’école sans diplôme ni qualification, 23% des élèves des filières professionnelles échouent au CAP, 26% au BEP, et autant d’étudiants ou presque abandonnent leurs études supérieures. Un taux d’échec « scandaleusement élevé » qui charrie beaucoup de frustration, de fatalisme et de doutes sur leur valeur personnelle chez celles et ceux qui sont « mis de côté » et se sentent « condamnés à demeurer dans les strates inférieures de la société ». « Ne faudrait-il pas s’intéresser d’abord et surtout aux jeunes qui ne réussissent pas en améliorant, notamment, le système d’orientation ? », s’interroge Olivier Galland. Plus largement, les politiques, de droite comme de gauche, ne devraient-ils pas lorgner vers les pays nordiques où les « méthodes scolaires ne sont fondées ni sur la compétition ni © Tanguy 2001 d’ Étienne Chatiliez/Collection CHRISTOPHEL VOUS HABITEZ CHEZ VOS PARENTS ? L’entrée dans la vie adulte est loin de revêtir les mêmes traits partout en Europe occidentale. Tel est le constat de Cécile Van De Velde, du Centre Maurice Halbwachs 1, après avoir conduit 135 entretiens approfondis auprès d’individus âgés de 18 à 30 ans au Danemark, au Royaume-Uni, en Espagne et en France 2. Au Danemark, où l’éthique protestante a toujours valorisé la construction de l’identité individuelle dès la fin de l’adolescence (rester chez ses parents est synonyme de perte de temps, voire de stigmate social), l’âge médian du départ est de 21 ans. « Lorsque le jeune devient majeur, il est censé ne plus être sous la tutelle de sa famille mais sous celle de l’État-Providence, dit Cécile Van De Velde. La politique de financement des jeunes adultes étudiants ou chômeurs, très généreuse (l’âge d’accès au RMI est fixé à 18 ans, contre 25 ans en France), institutionnalise une autonomie très précoce. » Au Royaume-Uni, la prise d’indépendance survient tout sur la sélection » et où les jeunes, sans avoir l’impression que leur destin se joue à l’école, « peuvent tenter des expériences après leurs études pour trouver leur voie, en vivant cette période de leur existence comme une source d’enrichissement et non d’instabilité destructrice » ? Une invitation qui se résume en deux mots : révolution culturelle. Philippe Testard-Vaillant 1. Aujourd’hui, on estime qu’une puberté « normale » (laquelle correspond à l’apparition des caractères sexuels aussi tôt, mais n’est pas garantie financièrement par les pouvoirs publics. « Elle relève plutôt de la responsabilité individuelle, poursuit Cécile Van De Velde. Au cours des études, l’endettement et l’activité professionnelle parallèle sont préférés à la solidarité parentale. La norme sociale invite le jeune à tracer individuellement son chemin au sein d’une société qui valorise l’intégration rapide sur le marché du travail. » En Espagne, la décohabitaion du domicile familial est nettement plus tardive (autour de 27 ans) et n’intervient pas tant que le jeune adulte n’a pas trouvé un emploi stable, scellé des liens de couple et épargné assez d’argent pour acheter un logement. « La cohabitation des jeunes adultes et de leurs parents est souvent qualifiée d’ « hôtel de luxe » par les jeunes hommes, dit la même enquêtrice. L’absence relative de participation financière des jeunes ne leur pose que rarement de problème de culpabilité, car le sens L’ENQUÊTE Comme dans le film Tanguy d’Étienne Chatiliez, certains jeunes quittent tard le domicile parental. 23 ans l’âge moyen de départ du foyer familial en France de la solidarité familiale est censé se renverser au cours de la vie. Le prix de cet « hôtel » semble résider ailleurs, notamment dans le respect des valeurs parentales qu’induit la cohabitation. » Les jeunes Français, quant à eux, quittent le foyer familial à 23 ans, en moyenne. « Le maintien sous « égide parentale », contraint par la rigidité du lien diplôme-emploi et la perspective d’une intégration difficile sur le marché du travail, est vécu sur un mode plus frustrant qu’en Espagne et comme une forme de « semi-dépendance », observe Cécile Van de Velde. L’aspiration à l’autonomie des jeunes Français précède les moyens mêmes de cette indépendance. » P.T.-V. 1. Centre CNRS/EHESS/ENS Paris/Université de Caen. 2. Cette recherche s’appuie également sur les données du « Panel Européen des Ménages » qui permet aux statisticiens et chercheurs de comparer l’évolution d’échantillons de population des différents pays européens. CONTACT : Cécile Van De Velde, cecile_vandevelde@hotmail.com secondaires) commence à 11 ans chez les filles et 13 ans chez les garçons et dure, en moyenne, deux à trois ans. 2. Centre CNRS/Université Paris-V. 3. Groupe CNRS/Université Paris-IV. CONTACTS ➔ Michel Fize, michel.fize@club-internet.fr ➔ François de Singly, francois@singly.org ➔ Olivier Galland, ogalland@msh-paris.fr Le journal du CNRS n°236 septembre 2009 23 >



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