CNRS Le Journal n°236 septembre 2009
CNRS Le Journal n°236 septembre 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°236 de septembre 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3,0 Mo

  • Dans ce numéro : Qui sont vraiment les jeunes ?

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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20 © S.Lacombe/PICTURETANK L’ENQUÊTE LA MUSIQUE, UN BOUILLON DE CULTURES Dans les années 1960, la plupart des jeunes s’opposaient à la culture des adultes en général et à celle de leurs parents en particulier, avant de renouer, l’âge venant, avec une partie de l’héritage culturel familial. Ce schéma, à en croire Dominique Pasquier, du Laboratoire « Traitement et communication de l’information » (LTCI) 1, a volé en éclats. Aujourd’hui, « les jeunes, qu’ils soient issus des classes populaires, moyennes ou supérieures, ont une culture à eux, les adultes une autre, expliquet-elle. Le fait vraiment nouveau est la fin de la « transmission verticale » des valeurs culturelles. Celle-ci s’explique par le fait que les parents, à de très rares exceptions près (ceux du milieu enseignant), ne cherchent plus à encadrer la culture de leurs enfants. Ils acceptent l’idée que plusieurs types de préférences culturelles cohabitent au sein du foyer. Certains encouragent même leurs enfants à développer leur propre univers culturel », et ce d’autant que ces derniers possèdent désormais beaucoup d’équipements personnels (ordinateurs, MP3, téléphones portables…) pour regarder, communiquer, écouter. De quoi est fait cet univers culturel ? Essentiellement de musique (techno, rap, hip hop, RnB, rock…) et d’échanges sur Internet. La lecture, la musique classique, le théâtre, l’opéra…, étant associés par l’immense majorité des jeunes à une culture du « passé », au rayon des vieilleries. La musique, relayée par les médias de masse (télévision, radio) et discutée sur la Toile, est devenue le noyau dur de la « culture jeune » dominante, une culture consumériste loin de contester le modèle de société, comme le faisait la contre-culture des sixties, et très éloignée des normes scolaires. La musique détermine les manières Le journal du CNRS n°236 septembre 2009 de se vêtir, de parler, de marcher, de se coiffer, de placer un piercing… Les amateurs de hard rock ou de métal, proches de la sensibilité « gothique », s’habillent en noir de la tête aux pieds, portent des bagues plein les doigts, des Doc Martens bien lacées aux chevilles… « C’est aussi la musique qui permet de s’insérer dans un groupe d’appartenance en fonction de ses préférences pour telle ou telle mouvance culturelle, dit Dominique Pasquier. Le problème est que cette adhésion est en partie une contrainte. Si l’on refuse de se situer dans un groupe ou si l’on affirme des goûts individuels trop différents de ceux des autres, on est marginalisé, on risque la solitude. Or, à cet âge où solidifier des liens d’amitié est très important pour se sentir exister soi-même, ne pas avoir d’amis est une des choses les plus angoissantes à vivre. » Une pression du groupe, une « tyrannie du conformisme » lourde de conséquences. Dans un avenir proche, conjecture Dominique Pasquier, le « décrochage » grandissant des jeunes vis-à-vis de la « culture cultivée », donc de l’école qui en est la principale dépositaire, risque de rendre la scolarité encore plus « douloureuse » et d’aboutir à « la production d’élites déconnectées du reste de la population » parce qu’elles auront été les seules à avoir fait le pari de la culture classique, humaniste et littéraire dans un contexte où cette dernière perd globalement de son importance. P.T.-V. 1. Laboratoire CNRS/Ec. Nat. Sup. Telecom Paris. CONTACT : Dominique Pasquier, dominique.pasquier@telecom-paristech.fr La musique est le principal facteur structurant de la culture des jeunes. De là découle, comme chez les « gothiques », la manière de s’habiller, de se coiffer… > Les 10-18 ans constituent 12% de la population française L’ADOLESCENCE, UN MODE DE VIE Ce qui caractérise fondamentalement un adolescent en 2009 ? Son mode de vie, à commencer par son langage, largement basé sur le verlan, même dans les milieux aisés (une fille est une « meuf », verlan de « femme », y compris à Neuilly-sur-Seine). La culture adolescente contemporaine, par ailleurs, manifeste « un rapport à l’espace et au temps particulier, poursuit Michel Fize. Seule compte, aux yeux des adolescents, la liberté de se déplacer, comme le montre leur engouement pour les pratiques de glisse, sous toutes leurs formes (skater, roller…). Et l’on pourrait presque dire qu’ils sont des « oiseaux de nuit ». Ils commencent à vivre quand les autres s’endorment ». Sans oublier de parer minutieusement leur corps. Les vêtements, la coiffure, les bijoux, le maquillage (pour les filles), le tatouage et le piercing font l’objet de la plus grande attention. « L’emprise des marques est très forte chez les collégien(ne)s, dit le même expert. À l’adolescence, la liberté vestimentaire est une liberté surveillée. Nul n’est censé ignorer les codes du moment et celui ou celle qui ne s’y soumet pas s’exclut de son groupe d’élection. Le « look » est tout à la fois plaisir et contrainte. » Au fait, débauchées, nos chères têtes blondes ? Pas plus que leurs parents, voire leurs grands-parents. Leur libido a beau être exacerbée par la publicité, le cinéma, la télévision et Internet, et malgré ce que suggèrent certaines plaisanteries (« Mon fils, mon petit, tu vas avoir dix ans, il faut que nous parlions de sexe. – Oui papa, qu’est-ce que tu veux savoir ? ») , « l’apprentissage amoureux continue d’obéir aux mêmes rythmes lents que par le passé », dit Michel Fize. L’âge du premier rapport sexuel complet n’a guère changé depuis plus de vingt ans (17,5 ans environ). En clair, l’adolescence, bien plus « fleur bleue » qu’on ne l’imagine, n’est pas « l’âge des orgies » mais le temps des grandes amitiés et des premières constructions amoureuses, tâtonnantes, balbutiantes. Tout comme celui des « rêves raisonnables » (fonder une famille, avoir des enfants, un travail intéressant, vivre en sécurité…). « Les ados font le choix d’une situation stable et moralement convenable. Parmi les valeurs qu’ils citent le plus souvent, la famille, en toute logique, est littéralement plébiscitée », résume Michel Fize. UNE CRISE EN OPTION Et la fameuse « crise d’adolescence » qui angoisse tant de parents ? Tout adolescent traverse-t-il une période sombre psychologique caractérisée
2% des 14-18 ans font confiance aux médias 17,5 ans par une mauvaise humeur chronique, des rebellions à répétition, une grave difficulté à vivre… ? Bref, adolescence rime-t-elle forcément avec souffrance ? Non, répond François de Singly, directeur du Centre de recherche sur les liens sociaux (Cerlis) 2, pour qui « la crise est à l’adolescence ce que la grève est à la classe ouvrière : une arme de dissuasion. Autrement dit, elle est nécessaire à l’adolescence mais pas aux adolescents. Ce n’est que lorsque les parents entravent son droit à s’affirmer que l’adolescent peut dégainer cette « arme fatale » ». L’immense majorité des teenagers (80%) , renchérit Michel Fize, double le cap de la puberté sans rencontrer « la crise », se porte bien et est heureuse de grandir, « même s’ils connaissent tous des pépins d’ordre familial, scolaire et autre. La plupart, sinon la quasi-totalité des parents, ipso facto, ne connaissent pas de conflits majeurs avec leurs adolescents et sont plutôt fiers de leur progéniture, bien qu’il leur arrive d’éprouver de temps en temps quelques problèmes de communication. Que l’on m’apporte la preuve scientifique que les incontestables mutations pubertaires constituent une déstabilisation et que la crise de l’adolescence est une nécessité quasi biologique ! L’adolescence n’est pas le « noir continent » décrit par certains. Il serait temps de parler de « puberté-atout ». Et d’arrêter de environ l’âge du premier rapport sexuel complet gloser sur la « puberté-handicap » dont les docteurs ès adolescence, qui voient en elle le royaume de la pathologie ou de l’anormalité sociale parce qu’ils ne croisent que des sujets souffrant de différentes pathologies (boulimie, anorexie, troubles du sommeil, de l’humeur…) ou en mal-être, nous rebattent les oreilles ». Les principes d’autorité, eux, ont bel et bien changé. L’ère, dans la famille, est à la démocratie. Finie l’époque où un père incarnait, seul, le pouvoir auquel il fallait obéir le petit doigt sur la couture du pantalon ou de la robe et qui n’avait pas besoin de se justifier pour être légitime. L’adolescent moderne n’est plus un héritier, la transmission « à l’ancienne » ayant cédé la place à une liberté de choix. On n’impose plus les choses, on les discute, même si cette « pédagogie de la négociation », définitivement implantée dans les classes supérieures qui l’ont inventée, s’impose semble-t-il moins facilement dans les milieux populaires et ceux issus de l’immigration. « La famille traditionnelle française fondée sur le modèle patriarcal a disparu, insiste François de Singly. Les parents cherchent de plus en plus à respecter la nature originale de chacun de leurs enfants. » L’autonomie des adolescents s’accroît : devenir autonome signifiant découvrir par soi-même d’autres mondes pour construire L’ENQUÊTE peu à peu le sien, apprendre à ne pas être principalement que « fils de » ou « fille de ». Ils participent de plus en plus aux décisions, ont le droit de dire ce qu’ils ressentent, ce qu’ils pensent être bien pour eux. « Toutefois, je conteste fermement l’idée selon laquelle ce processus d’individualisation, qui ne veut pas dire laisser-faire total, se solderait par une perte d’autorité des parents et l’abolition des règles à la maison, dit François de Singly. Celles-ci continuent de s’appliquer, entre autres dans le domaine des horaires, des sorties et du travail scolaire. » Reste que, sur cette route menant à « la terre promise du monde contemporain : soi », dans ce mouvement général de valorisation de l’émancipation et de l’autonomie qui « n’implique pas que la famille soit rejetée », le métier de parent s’avère « plus fatigant que jamais. Pour un ado, devenir soi-même requiert alternativement la présence et l’absence des parents, qui doivent accepter ce mouvement ». SOUCIS DE JEUNESSE Quittons les terres (relativement) riantes de l’adolescence pour arpenter celles de la jeunesse (à partir de 15 ans). Attention ! Changement radical de décor. Capacités de réflexion élargies et centres d’intérêt plus nombreux, attention accrue aux questions de société, sens de l’amitié plus > Le journal du CNRS n°236 septembre 2009 © P.Sheandell O'Carroll/PhotoAlto 21



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