CNRS Le Journal n°236 septembre 2009
CNRS Le Journal n°236 septembre 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°236 de septembre 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3,0 Mo

  • Dans ce numéro : Qui sont vraiment les jeunes ?

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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14 INNOVATION Entretien IMMUPHARMA Soigner grâce aux peptides Basée à Mulhouse, la société Immupharma France développe plusieurs médicaments à base de peptides, des fragments de protéines, découverts par des chercheurs du CNRS. Son président-directeur général, Robert Zimmer, nous dévoile les candidats les plus prometteurs. Parmi tous les traitements que vous développez en collaboration avec le CNRS, quel est le plus avancé ? Robert Zimmer : Il s’agit du Lupuzor, un candidat médicament destiné au traitement du lupus érythémateux disséminé, une maladie autoimmune inflammatoire et chronique dans laquelle le système immunitaire des patients peut s’attaquer à tous leurs organes. Grâce à une entrée en bourse sur le marché anglais en 2006, notre holding a réussi à lever une quinzaine de millions d’euros pour le tester en essais cliniques de phase II. Les résultats sont très prometteurs. En effet, c’est la première fois qu’un traitement « anti-lupus » testé à ce stade présente une supériorité significative sur le placebo. La société à qui nous avons cédé le développement du Lupuzor devrait pouvoir démarrer les essais cliniques de phase III début 2010. Et si tout se déroule bien, sa commercialisation pourrait débuter fin 2012. Il s’agit d’un réel espoir pour les 1,4 million de malades recensés dans les pays du G8, dont près de 90% sont des jeunes femmes de 18 à 30 ans. Car les médicaments actuels ne sont ni curatifs, ni spécifiques de cette pathologie qui provoque de nombreux symptômes : problèmes articulaires, dermatologiques, neurologiques… Mais alors, quelle est la particularité de ce médicament « anti-lupus » ? R.Z. : Le Lupuzor est un peptide, c’est-à-dire une fraction de protéine constituée d’un enchaînement bien particulier d’acides aminés. Il a été découvert en 2001 par le laboratoire strasbourgeois « Immunologie et chimie thérapeutiques » (ICT) du CNRS avec lequel nous coopérons via un accord-cadre de collaboration signé avec le CNRS en février 2002. Contrairement à certains immunosuppresseurs qui affectent la globalité du système immunitaire, ce peptide ne cible que la catégorie bien précise des cellules immunitaires impliquées dans la pathologie. Notre société a obtenu l’exploitation du brevet CNRS qui le protège et a déposé des brevets en copropriété avec le CNRS pour étendre sa protection. Nos liens avec l’ICT sont assez forts : quatre de ses chercheurs détiennent des parts au capital de notre Le journal du CNRS n°236 septembre 2009 société depuis 2002. Immupharma France vient également de financer le recrutement d’un technicien au sein de ce laboratoire. Collaborez-vous sur d’autres projets avec le CNRS ? R.Z. : Nous développons aussi un anticancéreux en partenariat avec l’ICT et le laboratoire francilien « Croissance, réparation et régénération tissulaires » (CRRET) 1. Il a été découvert par les équi- pes de ces deux unités de recherche et le laboratoire « Régulation de la transcription et maladies génétiques » du CNRS. Baptisé HB19, il s’agit également d’un peptide. Testé sur des souris, il a démontré sa capacité à réduire fortement la croissance de certaines tumeurs et à inhiber la formation des vaisseaux sanguins qui les irriguent. Il agit en se fixant préférentiellement sur la nucléoline, une protéine de surface plus abondante chez les cellules cancéreuses et les vaisseaux sanguins liés dont la croissance est alors inhibée. Fort de ces résultats, Immupharma France vient de financer le recrutement d’un thésard et d’un technicien par le CRRET. Le HB19 pourrait également être indiqué pour le traitement du psoriasis, de la rétinopathie diabétique et même pour la cicatrisation des plaies. Nous comptons tester ce candidat médicament dès l’an prochain dans le cadre d’un essai clinique. Là encore, nous exploitons un brevet déposé par le CNRS. Un deuxième brevet en copropriété protège la méthode de production du peptide. « Pour la première fois, en phaseII des essais cliniques, un anti-lupus présente une supériorité significative sur le placebo. » ©L. Weige/Horschamps Quelles autres pathologies ciblez-vous ? R.Z. : Avec l’ICT, nous développons aussi un antibiotique pour lutter contre les maladies nosocomiales générées par les bactéries résistantes à certains antibiotiques actuels. Son mode d’action est assez novateur : il agit en détruisant la membrane des bactéries. Il est actuellement au stade de développement préclinique et est également protégé par un brevet CNRS et des brevets communs. Parallèlement, Immupharma développe un médicament contre les douleurs sévères de type post-chirurgicales et cancéreuses. Nommé Cin-met-enképhaline, ce composé est un dérivé d’analgésique naturel qui aurait moins d’effets secondaires que les dérivés morphiniques et une durée d’action prolongée. Enfin, notre société possède une chimiothèque de près de 300 000 molécules conjointement brevetées avec le CNRS. Parmi elles, certaines semblent intéressantes pour le traitement des inflammations, des allergies et de la malaria. Propos recueillis par Jean-Philippe Braly 1. Laboratoire CNRS/Université Paris-XII. CONTACT ➔ Robert Zimmer Immupharma France robert.zimmer@immupharma.com
CHIMIE Ce caoutchouc que l’industrie s’arrache Après un an de tests, la société Arkema s’apprête à commercialiser les caoutchoucs autoréparants codéveloppés par le CNRS. Plusieurs dizaines d’entreprises de produits manufacturés sont déjà sur les rangs. Il aura suffi d’un an. L’année dernière, la communauté scientifique écarquillait les yeux devant les caoutchoucs autocicatrisants, tout juste sortis des éprouvettes du Laboratoire « Matière molle et chimie » (MMC), à Paris 1. Aujourd’hui, le premier chimiste français, la société Arkema, ancienne Atofina, entre dans la phase de commercialisation de ces caoutchoucs quasi magiques : une fois cassés, ils retrouvent leur intégrité au bout de quelques dizaines de minutes. Un an, c’est court en matière de développement industriel. « Le passage du laboratoire au début de la commercialisation a été plus rapide qu’on ne le pensait », confirme Manuel Hidalgo, chef de projet au Centre de recherches Rhône-Alpes d’Arkema, près de Lyon. La société, qui avait codéposé le premier brevet des caoutchoucs autocicatrisants avec le CNRS, a mis à profit cette durée pour inventer des processus de fabrication rapides. Quand quelques grammes de matière étaient élaborés patiemment au laboratoire MMC, ce sont aujourd’hui trente kilos qui peuvent être produits d’un seul coup dans les creusets d’Arkema. On n’en est pas encore au stade industriel, mais c’est suffisant pour mener les études de faisabilité de production à l’échelle d’une usine. Arkema a déjà noué des contacts en vue d’une industrialisation et signé des contrats de secrets avec une cinquantaine d’entreprises. À terme, Arkema devrait leur fournir du caoutchouc autocicatrisant, à charge à elles ensuite de le formuler selon leurs spécificités propres. La liste de ces sociétés, gardée confidentielle, couvre de larges pans de l’industrie, du textile jusqu’à l’exploitation pétrolière, en passant par l’automobile et la pharmacologie. Parmi les produits manufacturés prévus figurent des articles pour le sport, des revêtements anticorrosifs de tubes dans lesquels circule le pétrole, des joints de portière de voiture, des bouchons de bouteilles de médicaments. En fait, le terrain d’application des caoutchoucs autocicatrisants est potentiellement infini. Ils possèdent en effet toutes les vertus des élastomères standard comme le caoutchouc naturel, en particulier le même pouvoir d’élongation. Autrement dit, ils peuvent les remplacer dans presque toutes les situations, avec naturellement un avantage en plus : leur faculté d’autoréparation, une propriété qui s’explique par la structure même du matériau. Un élastomère standard est en effet un « paquet » de polymères 2 greffés les uns aux autres. Dans un caoutchouc autocicatrisant, les briques de base du matériau ne sont pas soudées entre elles, mais jointes par des liaisons hydrogènes parfaitement réversibles (le même type de liaison qui existe entre les molécules H 2 O dans l’eau). Pour le vérifier, il suffit de couper un caoutchouc autoréparant, d’en joindre les deux bouts : une heure après, les liaisons hydrogènes se sont reformées et le matériau est redevenu comme neuf ! Le principe est tout droit issu de la chimie supramoléculaire, qui a valu au chimiste Jean-Marie Lehn 3 son prix Nobel et qui vise à construire des édifices moléculaires en reliant des molécules par des liaisons faibles. La rapidité avec laquelle les caoutchoucs autocicatrisants sont sortis du laboratoire tient en partie à la coopération de longue date entre les ingénieurs d’Arkema et l’équipe de Ludwik Leibler, directeur du laboratoire MMC. Cette collaboration remonte à bien avant l’aventure des caoutchoucs autocicatrisants. « En termes de partenariat, notre collaboration est exemplaire, se félicite Manuel Hidalgo. Dialoguer avec des scientifiques de haut niveau nous apporte beaucoup. » Dans l’article de Nature 4 de 2008 qui dévoilait ces caoutchoucs, Ludwik Leibler et ses collègues remerciaient Manuel Hidalgo pour les discussions sur certains aspects industriels. L’entente scientifique fonctionne visiblement à double sens. Mais le caractère autocicatrisant n’est pas la seule qualité des caoutchoucs innovants qui allèchent les clients d’Arkema. « Le tour de force des scientifiques a été d’avoir pris des molécules existantes pour INNOVATION 15 Les caoutchoucs de la société Arkema s’autoréparent rapidement d’une simple pression des doigts. Les caoutchoucs autocicatrisants sont renforcés par divers de composés comme ici le noir de carbone. fabriquer leur caoutchouc », rappelle Manuel Hidalgo. Ces molécules (des dimères et trimères d’acides gras) proviennent en effet d’huiles végétales (colza, pin, maïs…). L’intérêt écologique est évident quand on songe que les caoutchoucs standard sont majoritairement d’origine pétrochimique. Bien que le latex naturel, issu de l’hévéa, puisse prétendre à la même provenance bio, certaines de ses propriétés, notamment l’obligation de lui faire subir une vulcanisation, restreignent son emploi. Plusieurs sociétés intéressées par le caractère renouvelable des caoutchoucs autocicatrisants ont déjà frappé à la porte d’Arkema. Xavier Müller 1. Laboratoire CNRS/ESPCI. 2. Les polymères sont des macromolécules formées à partir de l’enchaînement d’un motif simple, le monomère. 3. Aujourd’hui directeur du Laboratoire de chimie supramoléculaire de l’Institut de Science et d’ingénierie supramoléculaires (Isis, CNRS/Université de Strasbourg-I). 4. Nature, vol. 451, n°7181, 21 février 2008, p. 977. CONTACT ➔ Manuel Hidalgo Arkema manuel.hidalgo@arkema.com ➔ Ludwik Leibler ESPCI, Paris ludwik.leibler@espci.fr Le journal du CNRS n°236 septembre 2009 © Photos : ARKEMA



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