8 VIEDESLABOS Actualités NEUROSCIENCES Le cerveau, plein d’intentions Une étude française vient de révéler où se cache l’intention de nos mouvements dans le cerveau… Cela ressemble à s’y méprendre à un film de science-fiction. Tout a commencé par des vidéos tournées dans le bloc opératoire d’une unité de neurochirurgie des hospices civils de Lyon. Plan fixe sur la main du patient qui soudain gigote. « Avez-vous bougé ? », demande le chirurgien. « Non », répond hors champ le propriétaire de la main. Dans une autre scène, un patient affirme cette fois avoir remué la commissure des lèvres alors qu’il est resté parfaitement immobile… Pour mener ces observations étonnantes, l’équipe du Centre de neuroscience cognitive 1 dirigée par Angela Sirigu s’est invitée dans le bloc du professeur Carmine Mottolese lors d’interventions chirurgicales sur des patients volontaires et éveillés, atteints de tumeurs cérébrales. Des électrodes ont été placées directement sur certaines zones du cortex afin de vérifier l’activité cérébrale et de s’assurer que les fonctions importantes, comme la parole ou le mouvement, n’étaient pas touchées lors de l’extraction des tissus endommagés. Il ne restait plus ensuite à Angela Sirigu et à ses collaborateurs, Michel Desmurget et Karen Reilly, qu’à poser en direct leurs questions aux patients, sur les effets des stimuli électriques appliqués pendant la durée de l’opération. BRÈVE La mélatonine retarde les effets du vieillissement La mélatonine, connue sous le nom d’ « hormone du sommeil », retarderait l’apparition des signes du vieillissement chez la musaraigne, selon une étude menée par des chercheurs du laboratoire Arago de Banyuls-sur-Mer 1 et publiée en juin dans PlosOne. Normalement, les premiers signes de vieillissement des rythmes locomoteurs interviennent à l’âge de 1 an, pour ces animaux qui vivent entre 12 et 18 mois à l’état sauvage. Grâce à un apport en continu de mélatonine Le journal du CNRS n°234-235 juillet-août 2009 par implants sous-cutanés, les musaraignes ont gagné 3 mois sur la survenue de ces dérèglements liés à l’âge, qui se voient en outre ralentis ! L’explication ? Cette hormone, sécrétée naturellement la nuit par les vertébrés, permet à l’organisme de se synchroniser sur le rythme circadien, c’est-à-dire sur l’alternance du jour et de la nuit. Mais, avec l’âge, la quantité de mélatonine naturellement synthétisée par l’organisme diminue jusqu’à disparaître. Puis Et leur conclusion, exposée dans un article paru dans Science 2, est déconcertante : intention de mouvement et conscience de sa réalisation sont bien des entités distinctes dans le cerveau. En clair, « ce n’est pas parce qu’on bouge qu’on a conscience du mouvement, mais bien parce qu’on a, à l’origine, une intention préalable de bouger, analyse Angela Sirigu. Nos intentions du mouvement sont situées dans la partie postérieure du cerveau, dans le cortex pariétal, alors que son exécution se trouve dans le cortex prémoteur, à l’avant du cerveau. Quand elles ne sont pas lésées, ces deux régions travaillent main dans la main. Mais quand on les stimule indépendamment l’une de l’autre, on parvient à décomposer en quelque sorte le circuit cérébral qui conduit de l’intention du mouvement à sa réalisation. Chacune restant inconsciente de l’autre ». Par exemple, alors que l’équipe stimulait le cortex pariétal droit d’un patient, celui-ci a affirmé qu’il voulait bouger sa main gauche (les deux mains sont représentées de façon croisée dans le cerveau). Et en augmentant l’intensité de la stimulation, le patient a même eu l’impression de l’avoir bougée. Pourtant, les chercheurs avaient noté sa totale impassibilité musculaire. Idem pour un autre patient atteint d’une tumeur dans l’altération des phases du sommeil et la baisse d’activité qui en découlent s’accentuent, et peuvent être interprétés comme des signes du vieillissement. Leur étude montre que la mélatonine, connue pour remédier aux troubles du sommeil et pour ses propriétés d’antioxydant et d’antidépresseur, pourrait jouer un rôle dans les processus de sénescence. 1. Laboratoire CNRS/Université Pierre et Marie Curie. > www2.cnrs.fr/presse/communique/1617.htm Le cortex prémoteur et le cortex pariétal de patients ont été stimulés indépendamment lors d’interventions chirurgicales. Résultat : les intentions du mouvement sont situées dans le cortex pariétal, tandis que son exécution se trouve dans le cortex prémoteur. une région voisine du cortex pariétal gauche, importante pour le langage. Une fois stimulé, il a eu la nette sensation d’avoir bougé la bouche ou d’avoir passé sa langue sur ses lèvres. En augmentant la stimulation, il a demandé aux chercheurs s’il avait parlé et ce qu’il avait dit. En réalité, il n’avait pas proféré un son. À l’inverse, la stimulation du cortex prémoteur voisin engendre des mouvements inconscients. Les personnes opérées bougent leur jambe ou leur main sans le savoir. Pourra-t-on permettre aux handicapés d’effectuer quelques mouvements ? C’est un pas qu’Angela Sirigu, prudemment, ne franchit pas pour l’instant. Bien sûr, il y a d’autres articles en préparation. L’équipe doit prochainement vérifier certains aspects de ces réponses telles que leurs latences respectives, c’est-à-dire le temps qui s’écoule entre l’instant où on applique le stimulus et le moment où apparaît cette réponse. Car parfois, le cerveau décide d’un mouvement avant même d’en informer son possesseur. Laissant le monde de la recherche perplexe : d’où viennent alors nos intentions ? Sommes-nous régis par nos neurones ou bien avons-nous encore notre libre arbitre ? La théorie de la chercheuse est qu’il y aurait plusieurs systèmes intentionnels dans le cerveau. Et que l’intention de mouvement ne serait que l’un d’entre eux… Camille Lamotte 1. Centre CNRS/Université de Lyon-I. 2. « Movement Intention after Parietal Cortex Stimulation in Humans », Science, vol. 324, n°5928, 8 mai 2009, p. 811. CONTACT ➔ Angela Sirigu Centre de neuroscience cognitive, Bron sirigu@isc.cnrs.fr © A.Sirigu/ISC/CNRS |