CNRS Le Journal n°234-235 jui/aoû 2009
CNRS Le Journal n°234-235 jui/aoû 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°234-235 de jui/aoû 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 4,7 Mo

  • Dans ce numéro : Un été sur le terrain

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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8 VIEDESLABOS Actualités NEUROSCIENCES Le cerveau, plein d’intentions Une étude française vient de révéler où se cache l’intention de nos mouvements dans le cerveau… Cela ressemble à s’y méprendre à un film de science-fiction. Tout a commencé par des vidéos tournées dans le bloc opératoire d’une unité de neurochirurgie des hospices civils de Lyon. Plan fixe sur la main du patient qui soudain gigote. « Avez-vous bougé ? », demande le chirurgien. « Non », répond hors champ le propriétaire de la main. Dans une autre scène, un patient affirme cette fois avoir remué la commissure des lèvres alors qu’il est resté parfaitement immobile… Pour mener ces observations étonnantes, l’équipe du Centre de neuroscience cognitive 1 dirigée par Angela Sirigu s’est invitée dans le bloc du professeur Carmine Mottolese lors d’interventions chirurgicales sur des patients volontaires et éveillés, atteints de tumeurs cérébrales. Des électrodes ont été placées directement sur certaines zones du cortex afin de vérifier l’activité cérébrale et de s’assurer que les fonctions importantes, comme la parole ou le mouvement, n’étaient pas touchées lors de l’extraction des tissus endommagés. Il ne restait plus ensuite à Angela Sirigu et à ses collaborateurs, Michel Desmurget et Karen Reilly, qu’à poser en direct leurs questions aux patients, sur les effets des stimuli électriques appliqués pendant la durée de l’opération. BRÈVE La mélatonine retarde les effets du vieillissement La mélatonine, connue sous le nom d’ « hormone du sommeil », retarderait l’apparition des signes du vieillissement chez la musaraigne, selon une étude menée par des chercheurs du laboratoire Arago de Banyuls-sur-Mer 1 et publiée en juin dans PlosOne. Normalement, les premiers signes de vieillissement des rythmes locomoteurs interviennent à l’âge de 1 an, pour ces animaux qui vivent entre 12 et 18 mois à l’état sauvage. Grâce à un apport en continu de mélatonine Le journal du CNRS n°234-235 juillet-août 2009 par implants sous-cutanés, les musaraignes ont gagné 3 mois sur la survenue de ces dérèglements liés à l’âge, qui se voient en outre ralentis ! L’explication ? Cette hormone, sécrétée naturellement la nuit par les vertébrés, permet à l’organisme de se synchroniser sur le rythme circadien, c’est-à-dire sur l’alternance du jour et de la nuit. Mais, avec l’âge, la quantité de mélatonine naturellement synthétisée par l’organisme diminue jusqu’à disparaître. Puis Et leur conclusion, exposée dans un article paru dans Science 2, est déconcertante : intention de mouvement et conscience de sa réalisation sont bien des entités distinctes dans le cerveau. En clair, « ce n’est pas parce qu’on bouge qu’on a conscience du mouvement, mais bien parce qu’on a, à l’origine, une intention préalable de bouger, analyse Angela Sirigu. Nos intentions du mouvement sont situées dans la partie postérieure du cerveau, dans le cortex pariétal, alors que son exécution se trouve dans le cortex prémoteur, à l’avant du cerveau. Quand elles ne sont pas lésées, ces deux régions travaillent main dans la main. Mais quand on les stimule indépendamment l’une de l’autre, on parvient à décomposer en quelque sorte le circuit cérébral qui conduit de l’intention du mouvement à sa réalisation. Chacune restant inconsciente de l’autre ». Par exemple, alors que l’équipe stimulait le cortex pariétal droit d’un patient, celui-ci a affirmé qu’il voulait bouger sa main gauche (les deux mains sont représentées de façon croisée dans le cerveau). Et en augmentant l’intensité de la stimulation, le patient a même eu l’impression de l’avoir bougée. Pourtant, les chercheurs avaient noté sa totale impassibilité musculaire. Idem pour un autre patient atteint d’une tumeur dans l’altération des phases du sommeil et la baisse d’activité qui en découlent s’accentuent, et peuvent être interprétés comme des signes du vieillissement. Leur étude montre que la mélatonine, connue pour remédier aux troubles du sommeil et pour ses propriétés d’antioxydant et d’antidépresseur, pourrait jouer un rôle dans les processus de sénescence. 1. Laboratoire CNRS/Université Pierre et Marie Curie. > www2.cnrs.fr/presse/communique/1617.htm Le cortex prémoteur et le cortex pariétal de patients ont été stimulés indépendamment lors d’interventions chirurgicales. Résultat : les intentions du mouvement sont situées dans le cortex pariétal, tandis que son exécution se trouve dans le cortex prémoteur. une région voisine du cortex pariétal gauche, importante pour le langage. Une fois stimulé, il a eu la nette sensation d’avoir bougé la bouche ou d’avoir passé sa langue sur ses lèvres. En augmentant la stimulation, il a demandé aux chercheurs s’il avait parlé et ce qu’il avait dit. En réalité, il n’avait pas proféré un son. À l’inverse, la stimulation du cortex prémoteur voisin engendre des mouvements inconscients. Les personnes opérées bougent leur jambe ou leur main sans le savoir. Pourra-t-on permettre aux handicapés d’effectuer quelques mouvements ? C’est un pas qu’Angela Sirigu, prudemment, ne franchit pas pour l’instant. Bien sûr, il y a d’autres articles en préparation. L’équipe doit prochainement vérifier certains aspects de ces réponses telles que leurs latences respectives, c’est-à-dire le temps qui s’écoule entre l’instant où on applique le stimulus et le moment où apparaît cette réponse. Car parfois, le cerveau décide d’un mouvement avant même d’en informer son possesseur. Laissant le monde de la recherche perplexe : d’où viennent alors nos intentions ? Sommes-nous régis par nos neurones ou bien avons-nous encore notre libre arbitre ? La théorie de la chercheuse est qu’il y aurait plusieurs systèmes intentionnels dans le cerveau. Et que l’intention de mouvement ne serait que l’un d’entre eux… Camille Lamotte 1. Centre CNRS/Université de Lyon-I. 2. « Movement Intention after Parietal Cortex Stimulation in Humans », Science, vol. 324, n°5928, 8 mai 2009, p. 811. CONTACT ➔ Angela Sirigu Centre de neuroscience cognitive, Bron sirigu@isc.cnrs.fr © A.Sirigu/ISC/CNRS
PHYSIOLOGIE DU COMPORTEMENT Fourmis : l’odeur de trop Chez les fourmis, on sait déjà que les bons parfums font les bons amis : toutes les habitantes d’une fourmilière ont la même odeur corporelle, qui est différente de celle des voisines. C’est cette appartenance chimique qui permet aux championnes de l’organisation sociale de vivre entre elles en bonne intelligence et de chasser les intrus. Mais comment ces insectes arrivent-ils à faire la part entre le bon et le mauvais fumet à chacune de leurs rencontres ? Sontils des « nez », capables de se souvenir des odeurs ? Non, une fourmi serait capable de reconnaître son ennemi entre mille parce qu’il porte une odeur indésirable, une odeur en trop qui l’alerterait. La suite est instinctive pour la fourmi : si tu n’es pas mon ennemi alors, par défaut, SOCIÉTÉ Chronique d’une mort annoncée © J. J. Lemasson/IRD tu es mon ami. C’est ce qu’a montré Fernando Guerrieri, du Centre de recherches sur la cognition animale de Toulouse (CRCA) 1, dans une récente étude menée avec une équipe de chercheurs de l’université de Copenhague 2. Il confie : « Longtemps, on a cru que les fourmis mémorisaient à long terme l’odeur spécifique de leur colonie. Or, en plus d’une composante génétique propre à chaque société, les substances émises sur la cuticule de l’insecte changent en fonction de la nourriture consommée. Actualiser ces variations nécessiterait donc un système assez complexe d’apprentissage et de mémorisation du profil des congénères. » Pour lui, la cohésion sociale des milliers de fourmis que compte une société reposerait en fait sur un mécanisme de reconnaissance très En Europe, une femme enceinte sur 2 500 meurt en accouchant. En Afrique de l’Ouest, ce ratio passe globalement à une sur dix. Yannick Jaffré, directeur de recherche au laboratoire international « Environnement, santé, sociétés » (ESS) du CNRS, à Marseille, est indigné. « On sait combien de femmes meurent. On sait aussi de quoi elles meurent : hémorragies, éclampsies 1, infections. On sait enfin comment prévenir médicalement ces risques : faire davantage de césariennes, se laver les mains, surveiller la grossesse au stade prénatal. Et pourtant l’hécatombe continue… » Pour comprendre ce drame humain et social, son équipe a observé in situ pendant quatre mois, dans le cadre du programme « Amélioration de la qualité des soins obstétricaux d’urgence » (Aquasou) 2, comment se construisait la mort maternelle dans les services d’obstétrique d’Afrique de l’Ouest. Le résultat : un ouvrage collectif intitulé La bataille des femmes, qui livre des pistes pour réduire cette mortalité maternelle et améliorer l’offre de soins. Les chercheurs se sont fondus dans le paysage, assistant aux opérations et aux réunions des personnels des services de médecine. Il s’agissait de montrer que si les patientes mouraient bien sûr d’un problème médical, elles décédaient surtout de l’indifférence envers les plus démunis, de réelles incompréhensions des préventions, des attentes interminables dans le couloir sans médecin et sans sages-femmes dans des services d’urgence… © G. De Brito-Sánchez simple basé sur un signal entraînant le rejet : la présence inopinée sur un individu de seulement une ou deux familles d’hydrocarbures particulières, tels que les alcanes à deux ramifications. « Nous avons utilisé une technique originale, proche du comportement naturel de la fourmi, qui consiste à lui apporter une substance odorante en plus par le biais d’une alimentation enrichie en hydrocarbures », explique le chercheur. Une confrontation entre fourmis de la même colonie dont certaines avaient consommé du miel très odorant a été organisée. Constatation : les fourmis qui avaient mangé normalement rejetaient les fourmis qui avaient mangé anormalement mais pas le contraire. Cette drôle d’asymétrie de comportement révèle bien que les fourmis « Dans les dossiers, il était écrit : M me X est morte à telle heure des suites d’une éclampsie, raconte Yannick Jaffré. Moi je racontais toute l’histoire. La banque de sang fermée alors que l’hémorragie implique une disponibilité immédiate de sang, la corruption avec des tarifs sans rapport avec ceux affichés, des négligences pour dépister et expliquer les risques… Nous avons ainsi dressé un état des lieux afin de définir des politiques de santé publique correspondant à des faits. Le tout, sans juger. Les conditions de vie précaires Yannick Jaffré a analysé sur le terrain la réalité de la mortalité maternelle en Afrique de l’Ouest. Dans un ouvrage, il témoigne, et surtout, propose des solutions simples. VIEDESLABOS 9 À gauche, la fourmi reconnaît l’odeur de sa colonie. À droite, elle ouvre ses mandibules en signe d’agressivité car l’odeur est suspecte. n’analysent pas la totalité d’une odeur. En effet, les deux groupes ne se rejettent pas de façon égale. En d’autres termes, dans la nature, c’est uniquement la possession d’une odeur en plus qui donnera l’alerte, mais pas le manque d’une odeur propre à la colonie. Plus étonnant encore : une fourmi ne sait donc pas reconnaître spécifiquement un ami. C’est ne pas être considéré comme un ennemi qui fera de l’individu rencontré un ami. Isoline Fontaine 1. Centre CNRS/Université Toulouse-III. 2. Étude publiée dans Proceedings of The Royal Society B, vol. 276, n°1666,pp. 2461-2468, 7 juillet 2009. CONTACT ➔ Fernando J. Guerrieri Centre de recherches sur la cognition animale (CRCA), Toulouse guerrier@cict.fr des professionnels de santé expliquent beaucoup ces situations. » Avec ce livre, le chercheur espère contribuer à créer des îlots de soins cohérents. « Il suffirait de peu pour changer beaucoup, comme d’harmoniser le fonctionnement des banques de sang avec l’urgence des maternités, d’informer les femmes dans les langues nationales ou d’aider à la bonne gestion des kits de césarienne… Éthiquement, il faut donner un visage à la mort maternelle et faire que ces décès fassent enfin signal : ce n’est jamais une dystocie 3 qui meurt, mais une femme ayant une histoire. » Camille Lamotte 1. Éclampsie : convulsions accompagnées de perte de connaissance. 2. Programme financé par le ministère des Affaires étrangères et européennes. 3. Dystocie : un accouchement difficile, cordon enroulé autour du cou, bassin trop étroit, mauvaise présentation du bébé. CONTACT ➔ Yannick Jaffré Laboratoire « Environnement, santé, sociétés (ESS) », Marseille jaffre@univmed.fr Le journal du CNRS n°234-235 juillet-août 2009



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