32 INSITU DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES La recherche ne peut ignorer le droit Protection contre l’exploitation frauduleuse des brevets, gestion des contentieux, conseils pour la mise en place de collaborations… La direction des affaires juridiques (DAJ) du CNRS est là pour défendre les intérêts de l’organisme. Sa directrice, Danièle Dauvignac, décrypte le travail de ses équipes. Dans les entreprises, les directions juridiques sont des entités visibles avec une valeur économique incontestée. Dans le monde de la recherche, les choses sont différentes. Ces directions sont plus « discrètes ». Pourquoi ? Danièle Dauvignac : Les risques et les enjeux sont tout aussi importants dans les deux cas, mais la prise de conscience n’est pas la même. Si l’industrie est extrêmement sensibilisée à la valeur économique du droit, qui peut tout à la fois lui faire perdre ou lui faire gagner beaucoup d’argent, le monde de la science a encore des difficultés à intégrer les risques juridiques dans son activité, pendant longtemps relativement préservée des remous socio-économiques. Les scandales du sang contaminé et de l’amiante, dans les années 1990, sont venus mettre un terme à cet équilibre en fragilisant la confiance qui liait le chercheur à ses concitoyens. Les acteurs sociaux, refusant le risque, n’hésitent pas à utiliser le droit comme une arme et à réclamer des garanties. Le CNRS, comme tous les grands organismes de recherche, était encore récemment un rempart efficace. Mais ce qui était possible hier l’est plus difficilement aujourd’hui, dans une organisation de la recherche plus éclatée où le chercheur devient l’acteur direct des projets et fait face à des interlocuteurs et financeurs multiples. Il doit donc connaître les risques auxquels il s’expose et expose l’institution. Et chaque année, nous dépensons environ 300 000 euros d’honoraires pour défendre des contentieux représentant plusieurs millions d’euros d’enjeu pour le CNRS. Quels sont les risques encourus aujourd’hui par le CNRS et les laboratoires ? D.D. : Aucun responsable du CNRS n’a été condamné jusqu’à présent devant un tribunal pénal. C’est rassurant sur la qualité des agents du CNRS et l’organisation de l’établissement, mais cela n’exclut pas pour autant les mises en Le journal du CNRS n°234-235 juillet-août 2009 cause. En revanche, les procès civils sont, eux, en augmentation, signe de la croissance des domaines de risques en matière de propriété industrielle, de marchés publics, de responsabilité. Chaque jour, des dizaines de nouveaux contrats sont signés avec des partenaires souvent très aguerris, en France ou à l’étranger où la législation est encore différente et ce, sans conseil en amont d’un juriste. De plus en plus, des scientifiques n’appartenant pas au CNRS transitent par nos laboratoires sans encadrement juridique préalable et suffisant. Cette situation est aussi porteuse de risques notamment pour la sécurité de nos informations et la protection de notre patrimoine. Deux exemples : récupérer aux États- Unis un brevet déposé en fraude des droits du CNRS a coûté l’an dernier beaucoup de travail et d’argent à l’organisme. Autre cas : la Commission européenne demande aux chercheurs eux-mêmes © N. Tiget/CNRS Photothèque de rendre compte de l’utilisation de chaque euro versé sur les projets européens auxquels ils participent, à défaut de quoi ils peuvent être amenés à s’expliquer et le CNRS à faire l’objet de redressement. Vous menez actuellement dans ce domaine une campagne de sensibilisation active auprès des directeurs d’unités. Quel est votre objectif ? D.D. : Les convaincre du bien-fondé de l’apport juridique qui ne doit pas être une contrainte mais une « assurance ». Car ce sont eux qui sont en première ligne. Il faut les sensibiliser aux risques juridiques, les éclairer sur leurs responsabilités et les aider à se prémunir au mieux. Le réseau « e-loi », créé en 2008, s’inscrit dans cette démarche. Il réunit à ce jour en région une quarantaine d’agents du CNRS ayant une activité de juriste. Nous accentuons donc notre présence dans le cadre de formations ou d’outils pour assurer une réelle prévention en amont. Quelle est l’expertise de votre direction ? D.D. : La DAJ a la taille moyenne d’un bon cabinet d’avocats, compétent dans les principaux domaines du droit relevant de l’organisme, à l’exception des questions de gestion de personnel, traitées par la DRH. Dix-neuf personnes dont quinze juristes s’appuient sur un solide bagage de connaissances et un fonds documentaire très pointu pour traiter quasiment en temps réel tout type de demande, en donnant, et j’y tiens particulièrement, des solutions applicables immédiatement. Nous dispensons essentiellement des actions de conseil, et accessoirement nous gérons des contentieux. Environ soixante demandes sont traitées chaque semaine. Elles concernent par exemple le montage de collaborations, les responsabilités en matière de recherches biomédicales ou de transport de matières et de produits dangereux, des clauses de retour financier sur les résultats de recherche avec les industriels… J’encourage chaque agent confronté à une interrogation à prendre conseil auprès des services de sa délégation, de son institut ou du correspondant local « e-loi », auxquels nous apportons notre expertise. Si les risques existent et continueront d’exister, certains pourront ainsi être mieux maîtrisés et des litiges évités. C’est là tout le sens de notre démarche aujourd’hui. Propos recueillis par Séverine Lemaire-Duparcq CONTACT ➔ Danièle Dauvignac Direction des affaires juridiques du CNRS daniele.dauvignac@cnrs-dir.fr |