28 L’ENQUÊTE À la rencontre Cet été, archéologues, ethnologues, linguistes et autres chercheurs des sciences humaines et sociales iront sur le terrain retrouver les traces de civilisations disparues et rencontrer nos contemporains. Remettre cette société à sa place. » Voilà qui pourrait être un bon slogan pour les sciences sociales, si jamais elles avaient besoin de slogans. Prenons le cas de l’archéologie : en forgeant une image de ce qu’était la vie quotidienne des hommes qui nous ont précédés, elle a contribué à tordre le cou à bien des idées erronées sur l’histoire humaine. Un exemple parmi tant d’autres : la tolérance religieuse n’a rien d’une invention récente de notre bel Occident, comme le montrent les vestiges de la ville de Xanthos, dans le Sud de la Turquie. Là, durant la domination Perse au sixième siècle avant notre ère, des temples en l’honneur de dieux Grecs continuaient à être érigés sans déclencher apparemment, de violences religieuses. L’ethnologie quant à elle, nous a permis de découvrir d’autres types d’organisation sociale tout aussi pertinents que la nôtre. « Personne ne niera que Tristes Tropiques, de Claude Lévi- Strauss, a participé à la remise en cause de la société occidentale des années 1960 », affirme Jean-François Gossiaux, en charge du domaine « Mondes contemporains » à l’Institut des sciences humaines du CNRS. L’ethnologie, grâce à son regard méticuleux sur des sociétés autres que la nôtre, a sans doute permis de rendre caducs les préjugés hérités du colonialisme au sujet de ces hommes que l’on voulait inférieurs ou irrationnels. Le changement dans notre appréciation des langues minoritaires en est un bel exemple : l’époque où on les voyait comme des dialectes primitifs et sans intérêt semble bel et bien révolue. L’heure est à l’étude et la préservation de ces langues qui véhiculent le mode de vie, la représentation du monde, en un mot, la culture des peuples. Claire Moyse-Faurie, du Laboratoire de Langues & civilisations à tradition orale (Lacito) 1, qui étudie depuis trente ans quelques-unes des 28 langues kanak de Nouvelle-Calédonie, a été témoin de ce changement d’attitude. « Il y a trente ans, on nous prenait vraiment pour des illuminés. Aujourd’hui, au Le journal du CNRS n°234-235 juillet-août 2009 ©L. Rivet/CNRS Sondage réalisé sur le chantier de fouilles de la butte Saint-Antoine, à Fréjus, où les archéologues cherchent à dégager les premiers bâtiments de la ville de Fréjus, fondée par les Romains entre les années 49 et 44 avant notre ère. des hommes ARCHÉOLOGIE EN FRANCE contraire, on constate en Nouvelle-Calédonie un renouveau d’intérêt pour ces langues, dans l’enseignement et la culture. » Si différentes soient-elles, ces sciences qui ont changé notre regard sur nous-mêmes et sur les autres ont un point en commun : l’importance des missions sur le terrain. « Pas d’ethnologie sans étude de terrain », manifeste Jean-François Gossiaux. « Pas de vestiges sans fouilles et pas d’archéologie sans vestiges », ajoute Sophie de Beaune, directrice adjointe à l’Institut des sciences humaines du CNRS. Pour les ethnologues et les linguistes de terrain, les missions prennent la forme d’une rencontre, au sens fort et le plus profondément humain du terme. Le chercheur part le plus souvent seul, et, livré à lui-même, doit savoir convaincre ses interlocuteurs que sa démarche n’a d’autre but que la connaissance. Il se retrouve néanmoins dans une position ambiguë, où il Nous voilà sur le site archéologique romain de la butte Saint-Antoine, à Fréjus. Cela fait trente-cinq ans que Lucien Rivet, archéologue du Centre Camille Jullian 1, s’intéresse à ce lieu où s’élevait jadis une préfecture maritime de la ville romaine, construite aux alentours des années –15 à –10 avant notre ère. À cette époque, Fréjus était une ville toute neuve : elle avait été fondée par Jules César lui-même entre –49 et –44. Néanmoins, Forum Iulii – son nom latin qui signifie « le marché de Jules » – était un port militaire d’une importance stratégique pour l’empire, ce qui explique l’édification de cette imposante préfecture maritime. La question que se pose à présent Lucien Rivet est : ce bâtiment n’a-t-il pas remplacé une construction antérieure de même nature ? C’est en tout cas ce que laissent penser les vestiges découverts lors des fouilles qu’il a réalisées dans les années 1970. Si l’hypothèse se révèle juste, les archéologues toucheraient véritablement à la fondation de Fréjus. Ils espèrent aussi trouver, lors de cette campagne estivale, du mobilier archéologique (monnaies, tessons de céramique, etc.) permettant de préciser la chronologie de l’édification de ce port méditerranéen. S.E. 1. Laboratoire CNRS/Université Aix-Marseille-I. Fréjus la romaine ➔ OÙ Butte Saint Antoine, Fréjus, Var ➔ QUAND Jusqu’à la fin juillet ➔ CONTACT Lucien Rivet, lucien.rivet@free.fr ➔ POUR EN SAVOIR PLUS http:Ilsites.univ-provence.fr/ccj/spip.php ? article592 doit à la fois se faire accepter, voire susciter la sympathie, tout en restant objectif dans ses observations. « Sur le terrain on est en quelque sorte un intrus, ou du moins une personne surnuméraire, il faut donc être très patient », explique Jean- François Gossiaux, dont la carrière est ponctuée de séjours dans les Balkans et en Asie centrale. « On a souvent l’impression de perdre énormément de temps sur le terrain. Les informateurs ne sont pas toujours au rendez-vous. Alors il faut attendre, apprendre à vivre à un autre rythme et tirer parti de tous les incidents. Car si l’interlocuteur ne vient pas, c’est qu’il a une raison : ce peut être une façon de souligner son importance, ou alors le résultat de tensions au sein de la communauté étudiée, vis-àvis du chercheur. Quelle qu’elle soit, cette raison est importante pour l’ethnologue. » Le chercheur doit être attentif à tout, et si une grande partie de ses informations provient d’entretiens et de questionnaires, une partie non moins impor- |