CNRS Le Journal n°234-235 jui/aoû 2009
CNRS Le Journal n°234-235 jui/aoû 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°234-235 de jui/aoû 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 4,7 Mo

  • Dans ce numéro : Un été sur le terrain

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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28 L’ENQUÊTE À la rencontre Cet été, archéologues, ethnologues, linguistes et autres chercheurs des sciences humaines et sociales iront sur le terrain retrouver les traces de civilisations disparues et rencontrer nos contemporains. Remettre cette société à sa place. » Voilà qui pourrait être un bon slogan pour les sciences sociales, si jamais elles avaient besoin de slogans. Prenons le cas de l’archéologie : en forgeant une image de ce qu’était la vie quotidienne des hommes qui nous ont précédés, elle a contribué à tordre le cou à bien des idées erronées sur l’histoire humaine. Un exemple parmi tant d’autres : la tolérance religieuse n’a rien d’une invention récente de notre bel Occident, comme le montrent les vestiges de la ville de Xanthos, dans le Sud de la Turquie. Là, durant la domination Perse au sixième siècle avant notre ère, des temples en l’honneur de dieux Grecs continuaient à être érigés sans déclencher apparemment, de violences religieuses. L’ethnologie quant à elle, nous a permis de découvrir d’autres types d’organisation sociale tout aussi pertinents que la nôtre. « Personne ne niera que Tristes Tropiques, de Claude Lévi- Strauss, a participé à la remise en cause de la société occidentale des années 1960 », affirme Jean-François Gossiaux, en charge du domaine « Mondes contemporains » à l’Institut des sciences humaines du CNRS. L’ethnologie, grâce à son regard méticuleux sur des sociétés autres que la nôtre, a sans doute permis de rendre caducs les préjugés hérités du colonialisme au sujet de ces hommes que l’on voulait inférieurs ou irrationnels. Le changement dans notre appréciation des langues minoritaires en est un bel exemple : l’époque où on les voyait comme des dialectes primitifs et sans intérêt semble bel et bien révolue. L’heure est à l’étude et la préservation de ces langues qui véhiculent le mode de vie, la représentation du monde, en un mot, la culture des peuples. Claire Moyse-Faurie, du Laboratoire de Langues & civilisations à tradition orale (Lacito) 1, qui étudie depuis trente ans quelques-unes des 28 langues kanak de Nouvelle-Calédonie, a été témoin de ce changement d’attitude. « Il y a trente ans, on nous prenait vraiment pour des illuminés. Aujourd’hui, au Le journal du CNRS n°234-235 juillet-août 2009 ©L. Rivet/CNRS Sondage réalisé sur le chantier de fouilles de la butte Saint-Antoine, à Fréjus, où les archéologues cherchent à dégager les premiers bâtiments de la ville de Fréjus, fondée par les Romains entre les années 49 et 44 avant notre ère. des hommes ARCHÉOLOGIE EN FRANCE contraire, on constate en Nouvelle-Calédonie un renouveau d’intérêt pour ces langues, dans l’enseignement et la culture. » Si différentes soient-elles, ces sciences qui ont changé notre regard sur nous-mêmes et sur les autres ont un point en commun : l’importance des missions sur le terrain. « Pas d’ethnologie sans étude de terrain », manifeste Jean-François Gossiaux. « Pas de vestiges sans fouilles et pas d’archéologie sans vestiges », ajoute Sophie de Beaune, directrice adjointe à l’Institut des sciences humaines du CNRS. Pour les ethnologues et les linguistes de terrain, les missions prennent la forme d’une rencontre, au sens fort et le plus profondément humain du terme. Le chercheur part le plus souvent seul, et, livré à lui-même, doit savoir convaincre ses interlocuteurs que sa démarche n’a d’autre but que la connaissance. Il se retrouve néanmoins dans une position ambiguë, où il Nous voilà sur le site archéologique romain de la butte Saint-Antoine, à Fréjus. Cela fait trente-cinq ans que Lucien Rivet, archéologue du Centre Camille Jullian 1, s’intéresse à ce lieu où s’élevait jadis une préfecture maritime de la ville romaine, construite aux alentours des années –15 à –10 avant notre ère. À cette époque, Fréjus était une ville toute neuve : elle avait été fondée par Jules César lui-même entre –49 et –44. Néanmoins, Forum Iulii – son nom latin qui signifie « le marché de Jules » – était un port militaire d’une importance stratégique pour l’empire, ce qui explique l’édification de cette imposante préfecture maritime. La question que se pose à présent Lucien Rivet est : ce bâtiment n’a-t-il pas remplacé une construction antérieure de même nature ? C’est en tout cas ce que laissent penser les vestiges découverts lors des fouilles qu’il a réalisées dans les années 1970. Si l’hypothèse se révèle juste, les archéologues toucheraient véritablement à la fondation de Fréjus. Ils espèrent aussi trouver, lors de cette campagne estivale, du mobilier archéologique (monnaies, tessons de céramique, etc.) permettant de préciser la chronologie de l’édification de ce port méditerranéen. S.E. 1. Laboratoire CNRS/Université Aix-Marseille-I. Fréjus la romaine ➔ OÙ Butte Saint Antoine, Fréjus, Var ➔ QUAND Jusqu’à la fin juillet ➔ CONTACT Lucien Rivet, lucien.rivet@free.fr ➔ POUR EN SAVOIR PLUS http:Ilsites.univ-provence.fr/ccj/spip.php ? article592 doit à la fois se faire accepter, voire susciter la sympathie, tout en restant objectif dans ses observations. « Sur le terrain on est en quelque sorte un intrus, ou du moins une personne surnuméraire, il faut donc être très patient », explique Jean- François Gossiaux, dont la carrière est ponctuée de séjours dans les Balkans et en Asie centrale. « On a souvent l’impression de perdre énormément de temps sur le terrain. Les informateurs ne sont pas toujours au rendez-vous. Alors il faut attendre, apprendre à vivre à un autre rythme et tirer parti de tous les incidents. Car si l’interlocuteur ne vient pas, c’est qu’il a une raison : ce peut être une façon de souligner son importance, ou alors le résultat de tensions au sein de la communauté étudiée, vis-àvis du chercheur. Quelle qu’elle soit, cette raison est importante pour l’ethnologue. » Le chercheur doit être attentif à tout, et si une grande partie de ses informations provient d’entretiens et de questionnaires, une partie non moins impor-
© S.Roturier/MNHN/SLU Que deviendront les Samis, éleveurs de rennes, dans une Laponie suédoise qui veut se développer et exploiter ses richesses forestières et minières ? tante s’obtient grâce à une disposition d’esprit particulière que les ethnologues appellent « attention flottante » : tout sur le terrain est significatif, et chaque situation peut être riche d’enseignements. L’affaire est fort différente pour les archéologues. Eux ne partent pas seuls, mais en de véritables expéditions chargées de matériel et d’instruments. Leur présence dans un pays étranger n’a pas cette ambiguïté qui caractérise la position de l’ethnologue. Ils bénéficient d’avance d’un certain prestige. « Plus personne ne craint de voir ses trésors pillés par les archéologues. Maintenant, au contraire, ce sont les pays en voie de développement qui sont le plus demandeurs de missions archéologiques », explique Sophie de Beaune. D’autant plus que, derrière les équipes en charge des fouilles, les archéologues français disposent d’une excellente expertise en archéométrie, ensemble de techniques qui permettent l’analyse des vestiges. Car il ne suffit pas de déterrer des objets : il faut aussi savoir les faire parler. « Par exemple, des analyses de tessons de poterie permettent de connaître la composition de la pâte Vue de la chaîne himalayenne depuis le chemin menant au village de Mukli, région où vit le peuple Rai. © A.Lahaussois/CNRS > ➔ OÙ Laponia, Suède ➔ QUAND Juillet et août ➔ CONTACT Marie Roué, roue@mnhn.fr Enregistrer les derniers locuteurs d’une langue en voie de disparition du Népal, le koyi rai : c’est l’objectif que s’est fixé Aimée Lahaussois, spécialiste des langues tibéto-birmanes. ETHNOLOGIE EN LAPONIE Crise au pays des rennes LINGUISTIQUE AU TIBET Nous voici à Laponia, en compagnie de Marie Roué, ethnologue qui arpente ce territoire du Grand Nord depuis près de quarante ans à la rencontre des Samis, éleveurs de rennes. Ce peuple autochtone a été, lui aussi, rattrapé par la modernité. L’ethnologue s’intéresse aux conflits et aux discussions qui s’engagent entre les Samis, l’État suédois et les industriels qui exploitent l’immense forêt lapone. Comment rendre cette exploitation durable et compatible avec l’élevage Bravant les soubresauts politiques qui agitent le Népal, une jeune linguiste du Laboratoire de langues & civilisations à tradition orale (Lacito) 1 est partie étudier une langue en voie de disparition : le koyi rai. Pendant trois semaines, Aimée Lahaussois va enregistrer la parole de quelques-uns des deux mille derniers membres de la communauté koyi rai qui s’expriment en cette langue de la famille tibéto-birmane. Ceci, dans le but de créer un dictionnaire, une grammaire, et, dans le même temps, de sauvegarder une partie des savoirs et des traditions de ce peuple habitant le toit du monde. Les enregistrements seront mis à disposition du public dans l’archive du Lacito, site recueillant données sonores et transcriptions d’un certain nombre de langues rares. S.E. 1. Laboratoire CNRS/Université Paris-III/Université Paris-IV. L’ENQUÊTE 29 de rennes ? Voilà l’un des enjeux de ces négociations qui mêlent écologie, respect des traditions et développement du territoire. Historiquement, les Samis ont toujours été écartés de toute décision concernant leurs territoires ancestraux. Cependant, depuis 1998, la donne a changé : l’Unesco a déclaré Laponia patrimoine mondial culturel et naturel, donnant ainsi une nouvelle légitimité aux revendications des Samis. Les décideurs sauront-ils établir un plan de développement durable de Laponia qui tienne réellement compte des besoins et des savoirs locaux développés par les Samis ? Voilà l’une des questions auxquelles tentera de répondre Marie Roué lors de cette campagne. S.E. Une linguiste sur le toit du monde ➔ OÙ Katmandou, Népal ➔ QUAND Juillet 2009 ➔ CONTACT Aimée Lahaussois, aimee@vjf.cnrs.fr ➔ POUR EN SAVOIR PLUS LACITO http:Illacito.vjf.cnrs.fr/index.htm PROGRAMME ARCHIVAGE DU LACITO http:Illacito.vjf.cnrs.fr/archivage/presentation_fr.htm © A.Lahaussois/CNRS Le journal du CNRS n°234-235 juillet-août 2009



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