16 PAROLED’EXPERT Jean Viard, sociologue, directeur de recherches CNRS au Cevipof, Centre de recherches politiques de Sciences Po 1 Tourisme : quoi de nouveau sous le soleil ? Selon les estimations de l’Organisation mondiale du tourisme, le tourisme international va connaître en 2009 une baisse de 2%, la première depuis des années. Faut-il, selon vous, s’en inquiéter ? Jean Viard : On ne peut nier que la crise économique mondiale va avoir des conséquences sur le tourisme, notamment international – celui qui consiste à franchir une frontière. Les compagnies aériennes annoncent ainsi une baisse de 5,7% du trafic des passagers pour 2009. Cependant, pas de quoi s’alarmer. Chaque année, 1 personne sur 10 traverse une frontière, soit 600 millions de personnes environ. C’est là un phénomène majeur, inédit dans l’histoire, et en perpétuelle augmentation. Ainsi dans vingt ans, 20 à 30% de l’humanité se rendra à l’étranger, soit largement plus de 1 milliard de personnes par an. Le désir d’aller visiter d’autres pays semble enraciné dans notre culture de la mondialisation : nous vivons au « dedans » du monde terrien, et notre envie de parcourir ce monde et de se frotter à sa diversité est sans limite ; un monde appréhendé chaque jour grâce à la télévision, à Internet, ou tout simplement à ce qu’il y a dans notre caddy ! Certes, mais 52% des Français ont déclaré qu’ils n’allaient pas partir en vacances… J.V. : En réalité, je crois qu’ils seront un peu moins nombreux. Sans doute décideront-ils, au dernier moment, de s’aérer un peu, y compris du discours de crise ! Cela dit, rappelons que chaque année, près de 40% des Français ne partent pas en vacances – contre 30% qui partent très souvent, et 30% une fois par an. Et on a le même pourcentage de non-départ en Europe. Ainsi, même dans les pays développés, le tourisme – qu’il soit international ou national – reste une activité de demi-luxe : son taux de pénétration chez les consommateurs est bien moindre que celui de la « Notre envie de parcourir ce monde et de se frotter à sa diversité est sans limite. » télévision ou de la voiture ! La crise risque néanmoins d’avoir deux conséquences majeures. Primo, elle va renforcer les difficultés de ceux qui avaient déjà le plus de mal à partir : les femmes seules avec enfant, les immigrés, les personnes âgées ou les personnes en handicap… c’est-à-dire ceux qui ont été exclus des politiques publiques, à l’œuvre depuis cinquante ans pour démocratiser les vacances. Ces politiques visent les populations « organisées » socialement : fonctionnaires ou salariés en grandes entreprises, couples et familles, etc. Deuzio, elle va inciter les gens à modifier leurs pratiques : ils vont aller moins loin, et rendre visite à des amis ou de la famille plutôt que d’aller à l’hôtel. La découverte du vaste monde, ce ne sera donc pas pour cet été ? J.V. : Peut-être moins que les années précédentes, effectivement. Les vacanciers opteront plutôt, finances obligent, pour une semaine chez l’oncle de Bretagne plutôt que pour quinze jours dans une villa à Marrakech. Quoi qu’il en soit, les voyages ne constituent de toute façon pas le cœur des pratiques touristiques. Certes, ils représentent une part importante de l’économie (transport, hébergement, restauration, etc.). Mais les vacances pour une grande majorité sont plutôt synonymes de retour dans un lieu de villégiature que l’on apprécie. Les gens se rendent d’abord dans un endroit familier, où ils aiment à revenir d’une année à l’autre, le plus souvent dans une région ensoleillée au bord de l’eau, et le plus près possible de leur domicile. Autre aspect : ces migrations saisonnières mettent l’accent sur le sentiment. On part en famille ou entre amis, dans l’idée de partager (avec les mêmes personnes) une vie différente (où l’on se déconnecte du quotidien) et de revisiter ses relations intrapersonnelles dans un autre imaginaire (celui de la détente, de la plage…). Cette réduction du budget « vacances » va-t-elle dans le sens du développement durable ? J.V.: Oui, si on considère l’évolution des pratiques de consommation, amorcée bien avant la crise : après les années 1970-1980, où les consommateurs voulaient des produits toujours plus rapides, plus grands, plus performants, ils souhaitent aujourd’hui dépenser moins, mais mieux. Ajoutons à cela la dimension quasi obscène des sommes d’argent astronomiques évoquées durant la crise bancaire… La société va ainsi se trouver en demande d’une éthique de la dépense. Parallèlement, la nécessité de réduire notre empreinte écologique s’ancre rapidement dans les mentalités. Si tant est que les infrastructures nécessaires soient mises en place, les vacanciers vont probablement opter peu à peu pour des déplacements moins polluants : préférer le train à l’avion pour se déplacer en Europe ou choisir de partir en voyage moins souvent, mais plus longtemps… Propos recueillis par Stéphanie Arc 1. Centre CNRS/Sciences Po Paris. Dernier livre publié : Éloge de la mobilité, éd. de L’Aube, 2006. CONTACT ➔ Jean Viard Cevipof, Paris jean.viard@wanadoo.fr |