CNRS Le Journal n°234-235 jui/aoû 2009
CNRS Le Journal n°234-235 jui/aoû 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°234-235 de jui/aoû 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 4,7 Mo

  • Dans ce numéro : Un été sur le terrain

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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16 PAROLED’EXPERT Jean Viard, sociologue, directeur de recherches CNRS au Cevipof, Centre de recherches politiques de Sciences Po 1 Tourisme : quoi de nouveau sous le soleil ? Selon les estimations de l’Organisation mondiale du tourisme, le tourisme international va connaître en 2009 une baisse de 2%, la première depuis des années. Faut-il, selon vous, s’en inquiéter ? Jean Viard : On ne peut nier que la crise économique mondiale va avoir des conséquences sur le tourisme, notamment international – celui qui consiste à franchir une frontière. Les compagnies aériennes annoncent ainsi une baisse de 5,7% du trafic des passagers pour 2009. Cependant, pas de quoi s’alarmer. Chaque année, 1 personne sur 10 traverse une frontière, soit 600 millions de personnes environ. C’est là un phénomène majeur, inédit dans l’histoire, et en perpétuelle augmentation. Ainsi dans vingt ans, 20 à 30% de l’humanité se rendra à l’étranger, soit largement plus de 1 milliard de personnes par an. Le désir d’aller visiter d’autres pays semble enraciné dans notre culture de la mondialisation : nous vivons au « dedans » du monde terrien, et notre envie de parcourir ce monde et de se frotter à sa diversité est sans limite ; un monde appréhendé chaque jour grâce à la télévision, à Internet, ou tout simplement à ce qu’il y a dans notre caddy ! Certes, mais 52% des Français ont déclaré qu’ils n’allaient pas partir en vacances… J.V. : En réalité, je crois qu’ils seront un peu moins nombreux. Sans doute décideront-ils, au dernier moment, de s’aérer un peu, y compris du discours de crise ! Cela dit, rappelons que chaque année, près de 40% des Français ne partent pas en vacances – contre 30% qui partent très souvent, et 30% une fois par an. Et on a le même pourcentage de non-départ en Europe. Ainsi, même dans les pays développés, le tourisme – qu’il soit international ou national – reste une activité de demi-luxe : son taux de pénétration chez les consommateurs est bien moindre que celui de la « Notre envie de parcourir ce monde et de se frotter à sa diversité est sans limite. » télévision ou de la voiture ! La crise risque néanmoins d’avoir deux conséquences majeures. Primo, elle va renforcer les difficultés de ceux qui avaient déjà le plus de mal à partir : les femmes seules avec enfant, les immigrés, les personnes âgées ou les personnes en handicap… c’est-à-dire ceux qui ont été exclus des politiques publiques, à l’œuvre depuis cinquante ans pour démocratiser les vacances. Ces politiques visent les populations « organisées » socialement : fonctionnaires ou salariés en grandes entreprises, couples et familles, etc. Deuzio, elle va inciter les gens à modifier leurs pratiques : ils vont aller moins loin, et rendre visite à des amis ou de la famille plutôt que d’aller à l’hôtel. La découverte du vaste monde, ce ne sera donc pas pour cet été ? J.V. : Peut-être moins que les années précédentes, effectivement. Les vacanciers opteront plutôt, finances obligent, pour une semaine chez l’oncle de Bretagne plutôt que pour quinze jours dans une villa à Marrakech. Quoi qu’il en soit, les voyages ne constituent de toute façon pas le cœur des pratiques touristiques. Certes, ils représentent une part importante de l’économie (transport, hébergement, restauration, etc.). Mais les vacances pour une grande majorité sont plutôt synonymes de retour dans un lieu de villégiature que l’on apprécie. Les gens se rendent d’abord dans un endroit familier, où ils aiment à revenir d’une année à l’autre, le plus souvent dans une région ensoleillée au bord de l’eau, et le plus près possible de leur domicile. Autre aspect : ces migrations saisonnières mettent l’accent sur le sentiment. On part en famille ou entre amis, dans l’idée de partager (avec les mêmes personnes) une vie différente (où l’on se déconnecte du quotidien) et de revisiter ses relations intrapersonnelles dans un autre imaginaire (celui de la détente, de la plage…). Cette réduction du budget « vacances » va-t-elle dans le sens du développement durable ? J.V.: Oui, si on considère l’évolution des pratiques de consommation, amorcée bien avant la crise : après les années 1970-1980, où les consommateurs voulaient des produits toujours plus rapides, plus grands, plus performants, ils souhaitent aujourd’hui dépenser moins, mais mieux. Ajoutons à cela la dimension quasi obscène des sommes d’argent astronomiques évoquées durant la crise bancaire… La société va ainsi se trouver en demande d’une éthique de la dépense. Parallèlement, la nécessité de réduire notre empreinte écologique s’ancre rapidement dans les mentalités. Si tant est que les infrastructures nécessaires soient mises en place, les vacanciers vont probablement opter peu à peu pour des déplacements moins polluants : préférer le train à l’avion pour se déplacer en Europe ou choisir de partir en voyage moins souvent, mais plus longtemps… Propos recueillis par Stéphanie Arc 1. Centre CNRS/Sciences Po Paris. Dernier livre publié : Éloge de la mobilité, éd. de L’Aube, 2006. CONTACT ➔ Jean Viard Cevipof, Paris jean.viard@wanadoo.fr
Pierre Braunstein Chimiste À la poursuite d’ovnis moléculaires Avenant et courtois, l’homme se définit comme un « réaliste profondément optimiste ». De quoi comprendre sa soif de partager ses savoirs et d’inventer de nouvelles molécules. Ses « stars » ? Les « clusters polymétalliques », dotés d’un cœur métallique et d’une enveloppe organique. Reconnu de longue date par ses pairs de France et d’ailleurs, Pierre Braunstein vient de recevoir pour l’excellence de ses recherches le prix Descartes-Huygens, décerné par l’Académie royale néerlandaise. « C’est toujours agréable de savoir que des collègues étrangers apprécient vos travaux. Mais j’ai surtout une grande reconnaissance envers ceux qui m’ont permis de les mener au mieux. » À savoir ses collaborateurs, passés et présents, et ses étudiants cosmopolites qu’il aime accueillir dans son laboratoire « Chimie de coordination », au sein de l’Institut de chimie de Strasbourg 1. Dans ce domaine guère prisé du grand public, le chimiste mène ses recherches à la croisée du fondamental et de l’appliqué… lesquelles, à l’orée de ses 62 ans, l’ « électrisent » toujours autant. Aussi loin qu’il remonte le fil de sa vie, Pierre Braunstein aime la chimie. Il doit sa vocation autant à des enseignants du secondaire qu’à la boîte du « petit chimiste » et à ses expériences « colorées, bruyantes et odorantes ». 1969. En route vers une carrière d’ingénieur dans l’industrie chimique, le jeune mulhousien fait escale à l’Institut d’économie appliquée de Strasbourg. Objectif : compléter sa formation. Ayant alors du temps et une tendance familiale à « ne pas ménager ses efforts », il se lance « un peu par hasard » dans une thèse sur de nouveaux composés à liaisons entre atomes métalliques, tels que le palladium ou le platine. L’enjeu ? Apprivoiser ces ovnis moléculaires, quasi inconnus en France. 1971 signe son entrée au CNRS et son départ pour un postdoc londonien, chez le P r Nyholm, l’un des « pontes » de la chimie inorganique. Il y découvre la chimie de l’or, métal dont la parenté électronique avec le mercure doit permettre, imagine-t-il, de concevoir de toutes nouvelles molécules. Trois ans et un doctorat d’État plus tard, un stage à Munich, aux côtés du fraîchement nobélisé P r Ernst Otto Fischer, l’initie à la synthèse des composés organométalliques. Retour à Strasbourg, ville chère à cet humaniste. S’ensuivent trois décennies passées à défricher de nouvelles pistes moléculaires… sans quitter le laboratoire qu’il dirige aujourd’hui. Jouissant d’une liberté totale dès 1975, le voici fin prêt à créer ses premiers « clusters moléculaires ». « Au départ, nous ne savions rien de leur structure. Nous étions dans un no man’s land chimique où presque rien n’était prévisible… » Soumis à la diffraction de rayonsX, ils vont bientôt révéler leur « souvent très belle » structure. Succès. Et notre chercheur d’enchaîner les « duos » jusqu’alors inconnus, associant platine, palladium ou or à d’autres métaux. Le cluster moléculaire est formé d’un noyau métallique entouré par des ligands 2. Reste ensuite à décortiquer les interactions entre métal et ligand, à comprendre les structures et à concevoir des méthodologies de synthèse. En une dizaine d’années, la petite équipe acquiert une visibilité internationale… Tout en explorant d’autres territoires, comme celui des « ligands multifonctionnels ». Dotées de différentes fonctions chimiques, ces molécules permettent de contrôler l’environnement et l’activité des métaux dans nombre de réactions catalytiques. La catalyse, justement, occupe les esprits chimistes des années 1980. Et l’idée d’un catalyseur bimétallique, plus performant que sa version « monométallique », fait son chemin. Imagi- RENCONTREAVEC 17 « Nous avons vocation à publier, et les industriels à utiliser les nouvelles molécules, sources de progrès. » nant de déposer ses clusters sur de la silice, Pierre Braunstein leur impose ainsi un « striptease » – il ôte les ligands associés – pour laisser les métaux à nu. Construire pour mieux défaire… Qu’importe s’il passe pour « iconoclaste » aux yeux de certains : le concept d’ « alliage moléculaire » est né. « En collaboration avec un industriel, nous avons testé les alliages palladium-molybdène et palladium-fer en catalyse. Et ça a marché ! » S’ensuivent brevets et publications. « Nous avons vocation à publier, et les industriels à utiliser les nouvelles molécules, sources de progrès. » Reste que sur le terrain, les liens sont longs à tisser. Question de réseaux, de dialogue et de meilleure connaissance mutuelle à instaurer… Insatiable travailleur, le chimiste consacre son temps restant à rédiger des articles, donner des conférences, œuvrer pour l’Académie des sciences… Mais encore ? À travers la Fondation nationale Alfred Kastler, « j’ai à cœur de mettre mon expérience internationale au service de l’attractivité de la recherche française, de l’accueil et du suivi des chercheurs étrangers de haut niveau ». Et celui qui aurait aimé dans une autre vie se consacrer aux arts se ressource dans des musées alentours et au son de la musique classique. Patricia Chairopoulos 1. Institut CNRS/Université Strasbourg-I. 2. Atome, ion ou molécule qui porte des fonctions chimiques, ce qui lui permet de se lier à un ou plusieurs atomes ou ions centraux. CONTACT ➔ Pierre Braunstein Laboratoire « Chimie de coordination », Strasbourg braunst@chimie.u-strasbg.fr Le journal du CNRS n°234-235 juillet-août 2009 © B. Rajau/CNRS Photothèque



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