10 © T. Servais/CNRS VIEDESLABOS Actualités ÉVOLUTION Quand la biodiversité fait boom Reconstitution dans un aquarium des écosystèmes ordoviciens datant de 400 millions d’années. Durant l’Ordovicien, entre –489 et –443 millions d’années, la biodiversité a explosé dans les océans. Pourquoi ? Une équipe internationale de 250 scientifiques, emmenée par un chercheur du CNRS, vient d’apporter des réponses : ce sont la géographie et le climat de l’époque qui ont favorisé cette prolifération. L’histoire de la vie sur Terre a été ponctuée par des extinctions en masse qui ont toujours suscité la curiosité. Entre ces « crises », il y eut, ce qui est moins connu, des phases – intrigantes – durant lesquelles la vie s’est – au contraire – diversifiée. La « grande biodiversification ordovicienne », qui se situe entre –489 et –443 millions d’années, est l’une d’elles. Durant cette période, la vie s’est diversifiée dans les océans. Restait à savoir pourquoi cette explosion était survenue à ce moment de l’histoire. La réponse vient d’être apportée par les 250 chercheurs issus d’une trentaine de pays réunis au sein du projet 503 « Paléoclimat et paléogéographie ordovicien » de l’International Geoscience Programme, dirigé par Thomas Servais, du laboratoire Géosystèmes 1, à Lille. Leurs résultats 2 montrent que cette évolution serait liée à la géographie et au climat, propices à la diversification de la vie. À cette époque lointaine, la vie existait principalement (lire article ci-contre) sous l’eau. « L’explosion de la vie, avec l’apparition de la majorité des embranchements des animaux actuels 3, a eu lieu au Cambrien, c’est-à-dire il y a 550 millions d’années, précise Thomas Servais. L’explosion de la biodiversité, elle, avec la survenue des familles, des genres et des espèces, est intervenue à l’Ordovicien », soit 60 à 85 millions d’années plus tard. Pourquoi ? Parce que la nourriture disponible a augmenté Le journal du CNRS n°234-235 juillet-août 2009 et s’est diversifiée et que les nutriments se sont répandus dans l’eau. Ce phénomène a notamment permis à certains organismes d’occuper toute la colonne d’eau et les océans ouverts – les domaines pélagiques –, en ne se limitant plus aux faibles profondeurs. Pour expliquer ces changements de menus et de convives, les chercheurs ont pris leur casquette de géologues afin d’étudier la géographie La vie sortie des eaux La vie sur Terre a débuté sous l’eau il y a 3,5 à 3,8 milliards d’années. Et elle s’est longtemps limitée à ce milieu. De fait, il faut attendre le Silurien (–443 à –416 millions d’années) pour voir se développer des plantes vasculaires – dotées de tissus de soutien pour la circulation de la sève –, qui marquent une étape importante de l’évolution de la flore terrestre, car elles peuvent vivre en dehors de l’eau. C’est du moins ce que l’on pensait, jusqu’à la publication dans la revue Science 1 des travaux d’une équipe internationale dont font partie Alain Le Hérissé, du laboratoire « Domaines océaniques » 2, à Brest, et Florentin Paris, du laboratoire « Géosciences Rennes » 3. En effet, ceux-ci viennent de découvrir un assemblage de spores (cellules de dissémination) de plantes vasculaires dans des sédiments d’Arabie et les climats de l’Ordovicien. Par exemple, l’équipe de Lille a travaillé sur le climat en modélisant les taux de CO 2 présents durant cette période. D’autres chercheurs se sont attachés à établir la hauteur des océans, d’autres encore ont été chargés de l’étude de la répartition des continents. Mises bout à bout, ces informations ont permis de retracer en quelque sorte la carte d’identité de la Terre durant cette période : à l’époque, Rodinia, le supercontinent présent au Inanibigutta diffusa, l’un des zooplanctons les plus anciens de l’Ordovicien moyen. © T.Danelian/Université de Lille Précambrien, s’est fragmenté en de nombreux continents plus petits, le niveau des océans était 200 mètres environ plus élevé qu’aujourd’hui et le climat était plus chaud. « Cette situation a abouti à la présence de nombreuses plateformes tropicales, un peu à l’image de celles qui existent actuellement dans l’Océan indien et les Caraïbes et qui sont très riches en biodiversité marine. De fait, durant l’Ordovicien, tous les ingrédients étaient réunis pour que survienne l’explosion de la biodiversité », conclut Thomas Servais. Et le terme « explosion » n’est pas usurpé. Ainsi, dès le début de l’Ordovicien, les acritarches, des micro-organismes qui font partie du phyto- saoudite datant de l’Ordovicien supérieur (– 460 à – 443 millions d’années), soit 20 à 30 millions d’années plus tôt que ce que l’on croyait. En pratique, ces spores ont été isolées grâce à la palynologie, « une technique qui consiste à dissoudre les roches afin de récupérer l’ensemble des microfossiles organiques et la matière organique amorphe qu’ils contiennent », explique Alain Le Hérissé. Une fois ces résidus obtenus, les chercheurs se sont partagé le travail. Les uns ont analysé les fossiles et ont découvert qu’il s’agissait de spores trilètes 4 produites par les plantes vasculaires. Les équipes de Brest et Rennes ont daté les échantillons à l’aide de fossiles de micro-organismes comme les acritarches et les chitinozoaires, très abondants dans les océans à cette époque. Tous ces résultats © P.Steemans/Université de Liège |