CNRS Le Journal n°234-235 jui/aoû 2009
CNRS Le Journal n°234-235 jui/aoû 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°234-235 de jui/aoû 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 4,7 Mo

  • Dans ce numéro : Un été sur le terrain

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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10 © T. Servais/CNRS VIEDESLABOS Actualités ÉVOLUTION Quand la biodiversité fait boom Reconstitution dans un aquarium des écosystèmes ordoviciens datant de 400 millions d’années. Durant l’Ordovicien, entre –489 et –443 millions d’années, la biodiversité a explosé dans les océans. Pourquoi ? Une équipe internationale de 250 scientifiques, emmenée par un chercheur du CNRS, vient d’apporter des réponses : ce sont la géographie et le climat de l’époque qui ont favorisé cette prolifération. L’histoire de la vie sur Terre a été ponctuée par des extinctions en masse qui ont toujours suscité la curiosité. Entre ces « crises », il y eut, ce qui est moins connu, des phases – intrigantes – durant lesquelles la vie s’est – au contraire – diversifiée. La « grande biodiversification ordovicienne », qui se situe entre –489 et –443 millions d’années, est l’une d’elles. Durant cette période, la vie s’est diversifiée dans les océans. Restait à savoir pourquoi cette explosion était survenue à ce moment de l’histoire. La réponse vient d’être apportée par les 250 chercheurs issus d’une trentaine de pays réunis au sein du projet 503 « Paléoclimat et paléogéographie ordovicien » de l’International Geoscience Programme, dirigé par Thomas Servais, du laboratoire Géosystèmes 1, à Lille. Leurs résultats 2 montrent que cette évolution serait liée à la géographie et au climat, propices à la diversification de la vie. À cette époque lointaine, la vie existait principalement (lire article ci-contre) sous l’eau. « L’explosion de la vie, avec l’apparition de la majorité des embranchements des animaux actuels 3, a eu lieu au Cambrien, c’est-à-dire il y a 550 millions d’années, précise Thomas Servais. L’explosion de la biodiversité, elle, avec la survenue des familles, des genres et des espèces, est intervenue à l’Ordovicien », soit 60 à 85 millions d’années plus tard. Pourquoi ? Parce que la nourriture disponible a augmenté Le journal du CNRS n°234-235 juillet-août 2009 et s’est diversifiée et que les nutriments se sont répandus dans l’eau. Ce phénomène a notamment permis à certains organismes d’occuper toute la colonne d’eau et les océans ouverts – les domaines pélagiques –, en ne se limitant plus aux faibles profondeurs. Pour expliquer ces changements de menus et de convives, les chercheurs ont pris leur casquette de géologues afin d’étudier la géographie La vie sortie des eaux La vie sur Terre a débuté sous l’eau il y a 3,5 à 3,8 milliards d’années. Et elle s’est longtemps limitée à ce milieu. De fait, il faut attendre le Silurien (–443 à –416 millions d’années) pour voir se développer des plantes vasculaires – dotées de tissus de soutien pour la circulation de la sève –, qui marquent une étape importante de l’évolution de la flore terrestre, car elles peuvent vivre en dehors de l’eau. C’est du moins ce que l’on pensait, jusqu’à la publication dans la revue Science 1 des travaux d’une équipe internationale dont font partie Alain Le Hérissé, du laboratoire « Domaines océaniques » 2, à Brest, et Florentin Paris, du laboratoire « Géosciences Rennes » 3. En effet, ceux-ci viennent de découvrir un assemblage de spores (cellules de dissémination) de plantes vasculaires dans des sédiments d’Arabie et les climats de l’Ordovicien. Par exemple, l’équipe de Lille a travaillé sur le climat en modélisant les taux de CO 2 présents durant cette période. D’autres chercheurs se sont attachés à établir la hauteur des océans, d’autres encore ont été chargés de l’étude de la répartition des continents. Mises bout à bout, ces informations ont permis de retracer en quelque sorte la carte d’identité de la Terre durant cette période : à l’époque, Rodinia, le supercontinent présent au Inanibigutta diffusa, l’un des zooplanctons les plus anciens de l’Ordovicien moyen. © T.Danelian/Université de Lille Précambrien, s’est fragmenté en de nombreux continents plus petits, le niveau des océans était 200 mètres environ plus élevé qu’aujourd’hui et le climat était plus chaud. « Cette situation a abouti à la présence de nombreuses plateformes tropicales, un peu à l’image de celles qui existent actuellement dans l’Océan indien et les Caraïbes et qui sont très riches en biodiversité marine. De fait, durant l’Ordovicien, tous les ingrédients étaient réunis pour que survienne l’explosion de la biodiversité », conclut Thomas Servais. Et le terme « explosion » n’est pas usurpé. Ainsi, dès le début de l’Ordovicien, les acritarches, des micro-organismes qui font partie du phyto- saoudite datant de l’Ordovicien supérieur (– 460 à – 443 millions d’années), soit 20 à 30 millions d’années plus tôt que ce que l’on croyait. En pratique, ces spores ont été isolées grâce à la palynologie, « une technique qui consiste à dissoudre les roches afin de récupérer l’ensemble des microfossiles organiques et la matière organique amorphe qu’ils contiennent », explique Alain Le Hérissé. Une fois ces résidus obtenus, les chercheurs se sont partagé le travail. Les uns ont analysé les fossiles et ont découvert qu’il s’agissait de spores trilètes 4 produites par les plantes vasculaires. Les équipes de Brest et Rennes ont daté les échantillons à l’aide de fossiles de micro-organismes comme les acritarches et les chitinozoaires, très abondants dans les océans à cette époque. Tous ces résultats © P.Steemans/Université de Liège
plancton et qui sont à la base de la chaîne alimentaire, se sont diversifiés et ont proliféré. « Cette abondance a profité tout d’abord aux invertébrés suspensivores 4 comme les coraux et a posé les bases de la planctotrophie, c’est-à-dire que certaines larves comme par exemple celles de gastéropodes, commencent à se nourrir de phytoplancton, explique Thomas Servais. Par ailleurs, dans le même temps, se sont développés différents types de zooplancton qui se sont répandus dans la colonne d’eau. Enfin, sont apparus les céphalopodes pélagiques – des mollusques, ancêtres des calmars ou des seiches, par exemple – et les premiers poissons. » En résumé, grâce à un climat et à une géographie favorables, en à peine 25 millions d’années, « un laps de temps relativement court à l’échelle de la Terre », précise le chercheur, les océans se sont gorgés de nourriture variée et se sont donc peuplés d’une vie tout aussi diverse. Françoise Dupuy-Maury 1. Laboratoire CNRS/Université Lille-I. 2. « Understanding the Great Ordovician Biodiversification Event (GOBE): Influences of Paleogeography, Paleoclimate, or Paleoecology », GSA Today, vol. 19, n°4, avril 2009. 3. Vertébrés, mollusques, arthropodes, etc. 4. Qui filtrent l’eau située juste au-dessus des fonds marins pour se nourrir des particules qu’elle contient. CONTACT ➔ Thomas Servais Laboratoire Géosystèmes, Lille thomas.servais@univ-lille1.fr Fossile de spore trilète, caractérisée par ses trois branches. confirment la présence des plantes vasculaires dès l’Ordovicien. Enfin, « cette découverte en Arabie saoudite est en faveur d’une origine gondwanienne 5 des plantes vasculaires qui auraient migré ensuite en se diversifiant », souligne Alain Le Hérissé. Françoise Dupuy-Maury 1. « Origin and Radiation of the Earliest Vascular Land Plants », Science, 17 avril 2009, vol. 324, n°5925, p. 353. 2. Laboratoire CNRS/Université de Brest. 3. Laboratoire CNRS/Université Rennes-I. 4. Ces spores portent une fente qui permet la germination en forme de croix à trois branches. 5. Le Gondwana était un supercontinent qui occupait l’hémisphère Sud. CONTACT ➔ Alain Le Hérissé Laboratoire « Domaines océaniques », Brest alain.le.herisse@univ-brest.fr La « nanopincette » saisit les molécules biologiques entre ses deux mâchoires microscopiques. BIOLOGIE Prendre les molécules avec des pincettes Ajoutez une pincée d’ADN à la solution de protéines et mettez au four. Quel bonheur pour les biologistes, si l’étude expérimentale de molécules était aussi facile. L’équipe de Dominique Collard, spécialiste en nanotechnologie, vient de réaliser leur vœu : elle a mis au point une « nanopincette » à molécules qui permet de réaliser des tests biophysiques au niveau moléculaire. Un instrument d’emploi bien plus rapide et plus pratique que les techniques actuelles de manipulation directe. Aujourd’hui, la biologie moléculaire expérimentale ressemble plus à de la cuisine de collectivité qu’à celle d’une maisonnée. Les tests de réactivité de molécules sur l’ADN se font dans des éprouvettes qui mettent en présence une foule de molécules. Avec un inconvénient : l’effet recherché est parfois difficile à isoler parmi les multiples interactions moléculaires qu’ont subies les brins d’ADN. Les biologistes disposent bien d’outils pour manipuler individuellement des molécules, tels le microscope à force atomique et les pinces optiques (un système où la lumière vient soulever les molécules), mais outre leur coût élevé, ces instruments, issus du monde de la physique, sont d’utilisation fastidieuse avec des matériaux biologiques. C’est dire si l’outil mis au point par Dominique Collard est attendu par les biologistes. La nanopincette est constituée de deux minuscules mâchoires, séparées d’une dizaine de micromètres. Au départ non adhésives, elles deviennent collantes pour certaines molécules, comme l’ADN, lorsqu’on applique une tension électrique. La manipulation est enfantine : il suffit de la plonger dans la solution qui contient les molécules d’ADN pour se retrouver, en quelques secondes, armé d’un bouquet d’une centaine d’entre elles suspendues entre les mâchoires. En les écartant ou les resserrant, on peut ensuite étudier la rigidité des brins d’ADN sous l’influence d’une autre molécule (la plupart des molécules testées sur l’ADN agissent sur sa rigidité). VIEDESLABOS 11 Il a fallu une dizaine d’années pour développer l’outil au sein d’un laboratoire francojaponais, le Laboratory for Integrated Micro Mechatronics Systems (Limms) 1. Situé au cœur de l’Institut des sciences industrielles (IIS) de l’université de Tokyo, ce fleuron de la recherche nippone en ingénierie a permis à Dominique Collard et à ses collègues de réussir à loger sur un carré de 5 millimètres de côté la partie mécanique de la nanopincette, mais aussi tous les capteurs nécessaires à son fonctionnement. De coût dérisoire malgré sa technicité, la nanopincette pourrait rapidement intégrer la panoplie du biologiste. L’ADN n’est pas la seule molécule vouée à être « nanopincée ». En théorie, toute molécule suffisamment longiligne 2 pour pouvoir être électriquement agrippée l’est aussi. L’équipe du Limms a ainsi pu manipuler les « poutres » qui rigidifient les cellules – les filaments d’actine –, ainsi que les microtubules – des « rails » pour le transport moléculaire dans les cellules. Cet outil pourrait aussi permettre l’assemblage de polymères et de « nanodots ». Ces grains de métal ou d’alliages de taille nanométrique, greffés sur des polymères, forment les briques de nouveaux matériaux destinés à fabriquer des cellules solaires ou des systèmes d’affichage. Physiciens et chimistes ont désormais une facilité d’expérimentation inégalée pour concevoir ces structures. Xavier Müller ➔ En savoir plus http:Illimmshp.iis.u-tokyo.ac.jp/1. Laboratoire CNRS/Université de Tokyo. La mécatronique désigne le mariage de l’électronique et de la mécanique. 2. Il faut que la molécule soit allongée et longue pour être agrippée par les pinces ; si elle est petite, elle se colle sur le bord des pinces et on ne peut pas l’étirer proprement pour tester sa rigidité. CONTACTS ➔ Dominique Collard Laboratory for Integrated Micro Mechatronics Systems (Limms), Tokyo collard@iis.u-tokyo.ac.jp Le journal du CNRS n°234-235 juillet-août 2009 © LIMMS/CNRS/IIS



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