24 > L’ENQUÊTE rémunération des donneurs de gamètes, hommes et femmes, et les oblige à conserver l’anonymat ». La loi française s’avère ainsi l’une des plus strictes d’Europe, avec les lois allemande et italienne (voir carte p. 20). NAISSANCE D’UNE LOI Quelle est l’origine de cette loi ? Dans les années 1970, « les pratiques de l’AMP se sont développées avant même que leur légitimité ne soit complètement assise », analyse Dominique Memmi, chercheuse CNRS au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (Cresppa) 1. Ainsi, « en vingt ans, en même temps que l’AMP se banalisait, des résistances éparses à ces pratiques se sont solidifiées, notamment chez certains chercheurs, hommes politiques et médecins ». Et pour cause : jusqu’en 1994, les équipes médicales se sont retrouvées seules à administrer l’AMP. « Elles ont alors « bricolé » des critères pour décider de l’accès des patients à l’AMP, et ont élaboré des discours de légitimation pour justifier leur choix, non sans quelque malaise parfois. » La loi a ensuite donné un cadre à ces pratiques. « Elle a aussi rassuré les praticiens qui craignaient d’être instrumentalisés par cette « médecine du désir » », conclut Marie Gaille, « et ceux qui soutiennent que la Sécurité sociale [qui prend en charge l’AMP] ne doit pas rembourser les « demandes non médicales » ». La loi étaye donc une sélection des « bons » candidats à l’AMP et à son remboursement. Mais pourquoi eux et pas les autres ? Parce que la loi de bioéthique de 1994, souligne Dominique Mehl, sociologue au laboratoire « Communication et politique » du CNRS, a opté pour un certain modèle de parenté : celui de la famille « naturelle » constituée d’un père, d’une mère et de leurs enfants biologiques. « Et c’est de ce choix qu’ont découlé toutes les interdictions. Il fallait par exemple que la « famille IAD » se fonde dans ce moule biologique. » C’est pourquoi le législateur a tenu à instaurer l’anonymat : « Les donneurs devaient être rayés du paysage familial. Du coup, 70 à 80% des parents ont choisi de ne pas révéler à l’enfant le secret de sa conception », commente la sociologue. Depuis Amandine, environ 200 000 bébés – soit 5% des naissances – sont issus d’une fécondation in vitro. Le journal du CNRS n°233 juin 2009 Le gynécologue qui avait permis à la première femme ménopausée de devenir mère en 1994 prétend avoir « contribué à faire naître avec la technique du clonage humain trois enfants ». Comme quelques autres annonces précédentes, l’information n’est pas confirmée. L’AMP à tous et toutes Les candidats subissent tout de même une évaluation (qui porte par exemple sur la stabilité du couple, etc.) réalisée par l’équipe médicale et le comité d’éthique de l’hôpital. 2008 Mars 2009 Février à juin 2009 Au-delà, ce choix de la formule « père-mèreenfant » reflète la représentation que se fait la société de ce que doit être une « bonne famille ». Il renvoie donc à un état des mœurs. « Bien qu’il n’ait jamais été le seul, ce modèle de parenté était le plus fréquent en 1994, constate la chercheuse. Et on jugeait encore hors normes les familles recomposées ou monoparentales. » Mais nous ne sommes plus du tout dans ce cas de figure. « Ce modèle traditionnel n’est plus ni majoritaire ni considéré comme supérieur aux autres. La multiplicité des façons d’être parent est désormais intégrée par la société, affirme-t-elle. La loi de bioéthique entre donc en contradiction totale avec cette évolution des mœurs. » États généraux de la bioéthique. 2010 Discussion du projet de loi de révision de la loi de bioéthique. DES CITOYENS SUR LE CARREAU « Indéniablement, analyse Martine Gross, sociologue au Centre d’études interdisciplinaires des faits religieux (CEIFR) 2, la loi française laisse bon nombre de citoyens sur le carreau. » Elle cite ainsi les enfants nés par IAD, « dont certains, sans pour autant vouloir remettre en cause les parents qui les ont élevés, revendiquent aujourd’hui d’accéder aux informations sur leurs origines biologiques ». Elle évoque les femmes qui ne peuvent porter leur enfant « et à qui l’on refuse l’aide d’une mère porteuse ». Enfin, autres laissés-pourcompte : les personnes qui ne vivent pas en couple et les couples de même sexe, « alors que de nombreuses enquêtes prouvent que ces derniers font d’aussi bons parents que les autres 3, commente la sociologue. Ces personnes n’ont d’autre solution que de se rendre en Belgique, en Grande-Bretagne ou en Espagne, pays qui ouvrent l’AMP à tous et toutes, autorisent la GPA et le don de gamètes non anonyme. D’ailleurs, les couples peuvent même venir avec leur donneuse d’ovocytes. » Selon Dominique Mehl, bien qu’on ne puisse prévoir si, ni comment, la loi sera révisée sur ces points précis, les termes des débats sont désormais plus explicites et les hypothèses ouvertes. Il faut rappeler que « lors de l’élaboration de la loi, les délibérations avaient réuni toutes les instances de la société et l’ensemble des experts : médecins, juristes, biologistes, anthropologues, sociologues, psychiatres, religieux, politiques, etc. » Mais pas les principaux concernés, les usagers, qui étaient pour diverses raisons difficilement repérables. « Depuis, se sont créées des associations de patients, futurs patients et enfants de l’AMP, qui vont sans doute donner un tour plus concret à la réflexion et opposer leurs expériences aux représentations dogmatiques sur la parenté », conclut la sociologue. La voix des usagers se fait donc entendre. Et elle sera probablement fort audible lors des états généraux de la bioéthique. Le législateur sera-t-il prêt à écouter ces différentes revendications ? Prendra-t-il en compte la pluralité actuelle des formes de parenté ? Une gestation est en cours… Stéphanie Arc 1. Laboratoire CNRS/Université Paris-VIII. 2. Centre CNRS/EHESS Paris. 3. Lire L’homoparentalité, Martine Gross, coll. Idées reçues, éd. Le Cavalier bleu, 2009. CONTACTS ➔ Marie Gaille, mariegaille@yahoo.fr ➔ Dominique Memmi dominique.memmi@csu.cnrs.fr ➔ Dominique Mehl, mehl@ehess.fr ➔ Martine Gross, gross@ehess.fr |