CNRS Le Journal n°233 juin 2009
CNRS Le Journal n°233 juin 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°233 de juin 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 5,4 Mo

  • Dans ce numéro : La bioéthique en débat

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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16 PAROLED’EXPERT Nicolas Herpin, sociologue à l’Observatoire sociologique du changement (OSC), directeur de recherche au CNRS et chargé de mission à l’Insee 1 Les Français consommateurs durables… en théorie ! Les opérations de sensibilisation à une meilleure consommation se multiplient (Semaine du développement durable, Assises nationales du développement durable, Journée de la Terre…) et nous semblons de plus en plus acquis à la cause qu’il faut faire durer les ressources de la planète. Cela se traduit-il dans les pratiques des Français au quotidien ? Nicolas Herpin : Au-delà du tri sélectif des ordures, que les ménages respectent assez largement, leur comportement vertueux ne va pas beaucoup plus loin. Les évolutions récentes de la consommation ne sont globalement pas en phase avec la réforme écologique. Prenons l’exemple de l’alimentation : les produits « bio » commercialisés à des prix relativement plus élevés que les autres peinent à s’installer dans le panier de la ménagère. Des produits industriels trop sucrés, trop gras et dont la valeur nutritionnelle est faible mais qui ne demandent aucune préparation constituent l’essentiel de l’alimentation de nombreux jeunes. Dans l’habillement, rien n’indique non plus un retour du goût vers des articles durables voire recyclables. Au contraire, la tendance est de faire des modes s’adressant à toutes les strates de la société, donc à petits prix. C’est ce que les anglo-saxons appellent des « fast clothes », dont la caractéristique essentielle est d’être « tape-à-l’œil » et de ne pas résister au-delà du premier lavage. Comment expliquer ces tendances ? N.H. : C’est d’abord l’information du consommateur qui est déficiente. Reprenons le cas des vêtements. Un rapport Le journal du CNRS n°233 juin 2009 de l’Université de Cambridge compare l’empreinte carbone des tissus, en particulier celle du coton et celle des fibres synthétiques. Les résultats remettent en question l’usage du coton, généralement considéré comme « durable ». Si sa fabrication est assez faible en énergie, son coût d’entretien est très élevé (lavage à haute température, emploi de détergents très polluants pour l’eau, repassage, etc.) par rapport à la viscose. Il y a ensuite la contrainte budgétaire, particulièrement serrée pour les milieux modestes. Les produits bio coûtent plus cher. Il y a aussi et surtout « Face à ces tendances lourdes, les convictions écologiques restent à l’état de bonnes intentions. » le mode de vie qui crée des besoins. Habiter une maison dans la périphérie d’une grande agglomération oblige à avoir deux voitures si les deux membres du couple sont actifs. Enfin, une fois que l’individu s’est habitué à vivre d’une certaine façon, il peut trouver beaucoup de bonnes raisons de ne pas changer son mode de vie. En se passant de voiture, une personne estimera qu’elle contribue généreusement au développement durable… mais, à côté de cela, elle fait deux longs trajets touristiques par avion et par an, engendrant autant de gaz à effet de serre qu’une voiture sur toute l’année. Face à ces tendances lourdes, les convictions écologiques restent à l’état de bonnes intentions. Par ailleurs, la crise financière n’incite pas les consommateurs à modifier leurs comportements dans un sens écolo. Le parc automobile, en particulier, en fait les frais : avant la crise, le renouvellement de ce parc laissait apparaître un intérêt pour les voitures hybrides. Mais avec la baisse des prix des carburants, les bonnes résolutions semblent oubliées. Même les voitures hybrides sont en fort recul, alors que leurs constructeurs n’arrivaient pas à satisfaire la demande au premier semestre 2008. Mais à votre avis, existe-t-il une déception à l’égard de la consommation de masse ? N.H. : Oui, effectivement, mais la contestation de la société de consommation n’est pas nouvelle. Rappelez-vous le choc pétrolier en 1973, l’absurdité économique des encombrements de la circulation et la dénonciation du gaspillage des ressources énergétiques. Aujourd’hui, ce désaveu dispose de deux atouts pour acquérir une puissance et une durabilité inédites : il est peu marqué politiquement, et le réchauffement climatique rend chaque jour plus urgent de consommer autrement. Ailleurs, les idées bougent aussi. D’autres pays comme la Chine et l’Inde, qui sont des nouveaux venus à la société de consommation, prennent des mesures pour éviter les erreurs de parcours… si difficiles à corriger maintenant dans les pays occidentaux les plus riches. Y a-t-il un profil des Français prêts à consommer autrement ? N.H. : Les mieux disposés sont les jeunes, et notamment ceux qui ont fait ou font des études longues. Mieux que les personnes plus âgées, ils conçoivent les nouvelles opportunités qu’offre la période actuelle dans l’organisation matérielle de leur vie privée. Dans les emplois aussi, et notamment dans le domaine des énergies renouvelables, les jeunes apportent de nouvelles qualifications et de nouvelles idées pour produire autrement. Propos recueillis par Patricia Chairopoulos 1. Auteur avec Daniel Verger de l’ouvrage Consommation et modes de vie en France, une approche économique et sociologique sur un demi-siècle, collection « Grands repères », éd. La Découverte, 2008 CONTACT ➔ Nicolas Herpin Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), Paris nicolas.herpin@insee.fr
Anne-Valérie Ruzette Séduite par le plastique Pare-chocs de voiture, verres de lunettes, touillette à café, tous ces objets sont liés à mes recherches », s’amuse Anne-Valérie Ruzette, du laboratoire « Matière molle et chimie » 1, à Paris. Point commun ? Ils sont faits de polymères, plus connus sous le nom abusif de « plastique ». Mais des plastiques devenus hyperrésistants aux chocs, ou bien qui ne craignent plus la chaleur, etc., et qui permettent de fabriquer désormais toutes sortes d’objets dont la vie mouvementée réclamait auparavant des matières classiques comme le verre ou le métal. « Mes travaux consistent à imaginer ces nouveaux matériaux aux propriétés inédites, à les synthétiser chimiquement puis à les tester », reprend la jeune femme de 36 ans, affable et volubile, dont le parcours a été salué l’an dernier par la médaille de bronze du CNRS. Comment devient-on designer de matériaux ? En suivant la voie royale, une école d’ingénieur civil, la seule filière qui dans son pays d’origine, la Belgique, filtre à coup d’examen d’entrée. Elle se spécialise en sciences des matériaux et, lors d’un séminaire, la brillante étudiante est remarquée par un chercheur du Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Cambridge, aux États-Unis. « Il m’a invitée là-bas pour un stage d’été », se souvient-elle. Son goût pour l’aspect créatif de la recherche se développe. L’année suivante, elle retourne donc au MIT pour y faire une thèse qui durera quatre ans. « Je me suis alors tournée vers le domaine des plastiques, un univers bien plus récent que celui des métaux, et vraiment riche de découvertes à venir », s’enthousiasme-t-elle. Mais son mari est français et l’Europe lui manque… Pour son postdoc, elle choisit donc Paris. « J’ai été attirée par le laboratoire où je travaille aujourd’hui encore : tout en faisant figure de référence en recherche fondamentale, il est très ouvert sur les applications industrielles », explique-t-elle avec conviction. Son talent fera le reste, et dès l’année suivante, elle réussit le concours d’entrée au CNRS. « En France, j’ai notamment tourné mes recherches vers les copolymères à bloc », reprend Anne-Valérie Ruzette. Pour comprendre ce dont il s’agit, revenons d’abord sur les polymères : ces très grandes molécules sont composées de motifs qui se répètent, « Pare-chocs de voiture, verres de lunettes, touillette à café, tous ces objets sont liés à mes recherches. » les monomères. « Ceux-ci sont comme les « perles » d’un collier », illustre la jeune chercheuse dans un sourire. Et lorsque plusieurs séquences de « perles » différentes s’enchaînent, selon un ordre particulier, on parle de copolymère à bloc. Intérêt ? Les propriétés mécaniques des différentes séquences qui composent le « collier » se combinent ! « Et c’est ainsi qu’on obtient des matériaux aux propriétés nouvelles. » Facile à dire, mais plus ardu à faire. « En pratique, nous partons de polymères existant déjà et on essaie de forcer la nature pour les mélanger entre eux car ils sont généralement non miscibles. » JEUNESCHERCHEURS 17 Heureusement, Anne-Valérie Ruzette est arrivée sur la scène de la chimie à point nommé. Les nouvelles méthodes de synthèse viennent en effet de faire des progrès remarquables : créer des conditions de pureté et de vide absolus n’est ainsi plus indispensable pour travailler sur les copolymères à bloc. « C’est grâce à cela que des ingénieurs comme moi, non spécialisés en chimie au départ, ont pu se lancer dans cette voie prometteuse », souligne-t-elle. Déjà à son actif : un nouveau plexiglas, plus résistant aux chocs tout en restant parfaitement transparent. Et des collaborations avec de grands industriels comme Arkema et Total. Et pour la suite ? « Actuellement je suis en congé parental », explique la jeune femme à l’allure impeccable, qui vient d’avoir sa quatrième petite fille. « À l’avenir, je rêve d’orienter mes recherches vers le domaine du vivant. » En étudiant les propriétés mécaniques de matériaux d’origine végétale par exemple ? « C’est encore trop tôt et trop flou pour en parler… », insiste-t-elle, devenue subitement bien mutique… Charline Zeitoun 1. Laboratoire CNRS/École supérieure de physique et chimie industrielles de Paris (ESPCI). CONTACT ➔ Anne-Valérie Ruzette Laboratoire « Matière molle et chimie », Paris anne-valerie.ruzette@espci.fr Le journal du CNRS n°233 juin 2009 © CNRS Photothèque



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