10 VIEDESLABOS Actualités NEUROSCIENCES Ces neurones qui gardent la peur en mémoire C’est une première : une équipe internationale, comprenant un chercheur CNRS, a réussi à apporter la preuve qu’un souvenir est encodé au sein d’un réseau de neurones spécifique et identifiable ! « Auparavant, nous avions montré que les neurones qui surproduisent une substance particulière, la protéine CREB (Cyclic adenosine monophosphate Response Element- Binding), situés dans une région du cerveau appelée « amygdale latérale », sont activés lorsqu’on évoque un évènement qui fait peur. Mais personne n’avait réussi à identifier précisément et rigoureusement le réseau de ces neurones dans le cerveau ; ce que nous avons fait ! », dit Bruno Bontempi, co-auteur de l’étude et chercheur au Centre de neurosciences intégratives et cognitives 1. Un grand pas pour la recherche fondamentale, mais aussi pour la recherche clinique. Publié dans la revue Science 2, BIOCHIMIE Un dangereux poison pris sur le fait Sournois, ubiquitaires et très toxiques : ce sont les organoétains, petites molécules contenant un atome d’étain. L’industrie semble ne pouvoir s’en passer : on les retrouve aussi bien dans les pesticides que dans les canalisations en PVC, les plastiques et même les couches pour bébés. Leur utilisation dans les peintures marines a eu des effets dévastateurs sur plusieurs populations de mollusques et de poissons. Chez les mammifères, ils agissent sur le système immunitaire, le système reproductif et pourraient même jouer le rôle d’ « obésogènes environnementaux », en favorisant l’accumulation de graisse corporelle. Si les effets toxiques de ces composés commencent à être bien connus, en revanche, leur mode d’action demeurait un mystère… jusqu’à ce que deux équipes de chercheurs montpelliérains, dirigées par William Bourguet, du Centre de biochimie Le journal du CNRS n°233 juin 2009 © S.Josselyn/SicksKids Hospital,Toronto, Canada Ce sont des neurones surproduisant la protéine Creb (flèches) qui gardent la peur en mémoire – les autres neurones de l’amygdale apparaissent en bleu. structurale (CBS) 1, et Patrick Balaguer, de l’équipe « Signalisation hormonale, environnement et cancer » à l’Institut de recherche en cancérologie de Montpellier 2, s’emparent du sujet. « Nous avons élucidé un mécanisme d’action qui pourrait expliquer pourquoi les organoétains, même à des concentrations très faibles, sont des perturbateurs endocriniens aussi efficaces », affirme William Bourguet. Pour arriver à ce résultat, les chercheurs se sont penchés sur l’interaction entre un organoétain très toxique, le tributylétain (TBT), et une protéine du noyau des cellules, un facteur de transcription appelé RXRα, de la famille des récepteurs nucléaires. Ces derniers, lorsqu’ils sont activés par leurs hormones naturelles, se fixent sur l’ADN et régulent l’expression de certains gènes. Les chercheurs ont montré que l’atome d’étain du TBT se lie facilement à l’un des acides aminés – une cystéine – du site actif de RXRα. De ce résultat pourrait permettre un jour d’effacer les souvenirs d’évènements traumatisants. Et pour connaître précisément le réseau neuronal impliqué, Bruno Bontempi et ses collègues ont dû fabriquer une « construction génétique » particulière : ils ont inséré dans une même portion d’ADN le gène de CREB, celui d’une protéine fluorescente, et celui d’une substance rendant les neurones sensibles à une toxine donnée, celle de la diphtérie. Les chercheurs ont administré cette construction génétique dans le cerveau de souris. La molécule fluorescente va permettre de situer les neurones où CREB s’exprime. La construction a ainsi été imaginée pour d’une part repérer les neurones de l’amygdale latérale activés lors de la mise en mémoire d’un évènement effrayant – ici un son associé à un choc électrique – et d’autre part, les détruire sélectivement par l’injection d’une toxine. La construction s’est intégrée dans les neurones en fonctionnement des animaux, dans l’amygdale latérale. Résultat : les neurones surproducteurs de la fameuse protéine CREB sont précisément ceux qui conservent la trace mémorielle la peur. « La destruction sélective de ces neurones, et non d’autres choisis au hasard, efface les souvenirs de la peur plus, entre l’étain et cet acide aminé se forme une liaison covalente, c’est-àdire une liaison extrêmement solide. Le TBT oblige donc la protéine à rester dans son état actif, ce qui bouleverse les équilibres délicats du système endocrinien. « Ce mode d’action du TBT semble pouvoir être extrapolé à d’autres récepteurs nucléaires contenant une cystéine dans leur site actif », affirme le chercheur. Paradoxalement, ces recherches sur la dangerosité des organoétains pourraient déboucher sur de nouveaux remèdes contre certaines pathologies. « L’on sait que des récepteurs nucléaires sont impliqués dans certains types de cancers. Si l’on parvenait à créer un organoétain parfaitement spécifique de ces récepteurs, on pourrait modifier artificiellement leur activité et combattre la maladie », conclut William Bourguet. Sebastián Escalón à ce son : les souris ne s’immobilisent plus lorsqu’elles l’entendent », précise le chercheur. La localisation de ces neurones pourrait permettre à long terme de développer des traitements capables d’effacer sélectivement un ou plusieurs souvenirs désagréables ou anxiogènes, comme ceux à l’origine d’un stress post-traumatique, survenant par exemple après un attentat ou un accident grave. Mais comme le précise, prudent, Bruno Bontempi : « Des années de recherche seront encore nécessaires pour en arriver là. » Kheira Bettayeb 1. Centre CNRS/Univ. Bordeaux-I et II. 2. Science, vol. 323, n°5920, 13 mars 2009,pp. 1492-1496. CONTACT ➔ Bruno Bontempi Centre de neurosciences intégratives et cognitives, Talence b.bontempi@cnic.u-bordeaux1.fr Les organoétains comme le TBT (en jaune) sont des poisons très efficaces : lorsqu’ils se fixent sur le site actif d’un facteur de transcription, rien ne peut les en déloger. La protéine se bloque dans son état actif, ce qui affecte les équilibres hormonaux de tout l’organisme. 1. Centre CNRS/Universités Montpellier-I et II/Inserm. 2. Cet institut résulte d’un partenariat entre l’Inserm, l’Université Montpellier-I et le Centre régional de lutte contre le cancer. CONTACT ➔ William Bourguet Centre de biochimie structurale (CBS), Montpellier william.bourguet@cbs.cnrs.fr © W. Bourguet |