CNRS Le Journal n°233 juin 2009
CNRS Le Journal n°233 juin 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°233 de juin 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 5,4 Mo

  • Dans ce numéro : La bioéthique en débat

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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10 VIEDESLABOS Actualités NEUROSCIENCES Ces neurones qui gardent la peur en mémoire C’est une première : une équipe internationale, comprenant un chercheur CNRS, a réussi à apporter la preuve qu’un souvenir est encodé au sein d’un réseau de neurones spécifique et identifiable ! « Auparavant, nous avions montré que les neurones qui surproduisent une substance particulière, la protéine CREB (Cyclic adenosine monophosphate Response Element- Binding), situés dans une région du cerveau appelée « amygdale latérale », sont activés lorsqu’on évoque un évènement qui fait peur. Mais personne n’avait réussi à identifier précisément et rigoureusement le réseau de ces neurones dans le cerveau ; ce que nous avons fait ! », dit Bruno Bontempi, co-auteur de l’étude et chercheur au Centre de neurosciences intégratives et cognitives 1. Un grand pas pour la recherche fondamentale, mais aussi pour la recherche clinique. Publié dans la revue Science 2, BIOCHIMIE Un dangereux poison pris sur le fait Sournois, ubiquitaires et très toxiques : ce sont les organoétains, petites molécules contenant un atome d’étain. L’industrie semble ne pouvoir s’en passer : on les retrouve aussi bien dans les pesticides que dans les canalisations en PVC, les plastiques et même les couches pour bébés. Leur utilisation dans les peintures marines a eu des effets dévastateurs sur plusieurs populations de mollusques et de poissons. Chez les mammifères, ils agissent sur le système immunitaire, le système reproductif et pourraient même jouer le rôle d’ « obésogènes environnementaux », en favorisant l’accumulation de graisse corporelle. Si les effets toxiques de ces composés commencent à être bien connus, en revanche, leur mode d’action demeurait un mystère… jusqu’à ce que deux équipes de chercheurs montpelliérains, dirigées par William Bourguet, du Centre de biochimie Le journal du CNRS n°233 juin 2009 © S.Josselyn/SicksKids Hospital,Toronto, Canada Ce sont des neurones surproduisant la protéine Creb (flèches) qui gardent la peur en mémoire – les autres neurones de l’amygdale apparaissent en bleu. structurale (CBS) 1, et Patrick Balaguer, de l’équipe « Signalisation hormonale, environnement et cancer » à l’Institut de recherche en cancérologie de Montpellier 2, s’emparent du sujet. « Nous avons élucidé un mécanisme d’action qui pourrait expliquer pourquoi les organoétains, même à des concentrations très faibles, sont des perturbateurs endocriniens aussi efficaces », affirme William Bourguet. Pour arriver à ce résultat, les chercheurs se sont penchés sur l’interaction entre un organoétain très toxique, le tributylétain (TBT), et une protéine du noyau des cellules, un facteur de transcription appelé RXRα, de la famille des récepteurs nucléaires. Ces derniers, lorsqu’ils sont activés par leurs hormones naturelles, se fixent sur l’ADN et régulent l’expression de certains gènes. Les chercheurs ont montré que l’atome d’étain du TBT se lie facilement à l’un des acides aminés – une cystéine – du site actif de RXRα. De ce résultat pourrait permettre un jour d’effacer les souvenirs d’évènements traumatisants. Et pour connaître précisément le réseau neuronal impliqué, Bruno Bontempi et ses collègues ont dû fabriquer une « construction génétique » particulière : ils ont inséré dans une même portion d’ADN le gène de CREB, celui d’une protéine fluorescente, et celui d’une substance rendant les neurones sensibles à une toxine donnée, celle de la diphtérie. Les chercheurs ont administré cette construction génétique dans le cerveau de souris. La molécule fluorescente va permettre de situer les neurones où CREB s’exprime. La construction a ainsi été imaginée pour d’une part repérer les neurones de l’amygdale latérale activés lors de la mise en mémoire d’un évènement effrayant – ici un son associé à un choc électrique – et d’autre part, les détruire sélectivement par l’injection d’une toxine. La construction s’est intégrée dans les neurones en fonctionnement des animaux, dans l’amygdale latérale. Résultat : les neurones surproducteurs de la fameuse protéine CREB sont précisément ceux qui conservent la trace mémorielle la peur. « La destruction sélective de ces neurones, et non d’autres choisis au hasard, efface les souvenirs de la peur plus, entre l’étain et cet acide aminé se forme une liaison covalente, c’est-àdire une liaison extrêmement solide. Le TBT oblige donc la protéine à rester dans son état actif, ce qui bouleverse les équilibres délicats du système endocrinien. « Ce mode d’action du TBT semble pouvoir être extrapolé à d’autres récepteurs nucléaires contenant une cystéine dans leur site actif », affirme le chercheur. Paradoxalement, ces recherches sur la dangerosité des organoétains pourraient déboucher sur de nouveaux remèdes contre certaines pathologies. « L’on sait que des récepteurs nucléaires sont impliqués dans certains types de cancers. Si l’on parvenait à créer un organoétain parfaitement spécifique de ces récepteurs, on pourrait modifier artificiellement leur activité et combattre la maladie », conclut William Bourguet. Sebastián Escalón à ce son : les souris ne s’immobilisent plus lorsqu’elles l’entendent », précise le chercheur. La localisation de ces neurones pourrait permettre à long terme de développer des traitements capables d’effacer sélectivement un ou plusieurs souvenirs désagréables ou anxiogènes, comme ceux à l’origine d’un stress post-traumatique, survenant par exemple après un attentat ou un accident grave. Mais comme le précise, prudent, Bruno Bontempi : « Des années de recherche seront encore nécessaires pour en arriver là. » Kheira Bettayeb 1. Centre CNRS/Univ. Bordeaux-I et II. 2. Science, vol. 323, n°5920, 13 mars 2009,pp. 1492-1496. CONTACT ➔ Bruno Bontempi Centre de neurosciences intégratives et cognitives, Talence b.bontempi@cnic.u-bordeaux1.fr Les organoétains comme le TBT (en jaune) sont des poisons très efficaces : lorsqu’ils se fixent sur le site actif d’un facteur de transcription, rien ne peut les en déloger. La protéine se bloque dans son état actif, ce qui affecte les équilibres hormonaux de tout l’organisme. 1. Centre CNRS/Universités Montpellier-I et II/Inserm. 2. Cet institut résulte d’un partenariat entre l’Inserm, l’Université Montpellier-I et le Centre régional de lutte contre le cancer. CONTACT ➔ William Bourguet Centre de biochimie structurale (CBS), Montpellier william.bourguet@cbs.cnrs.fr © W. Bourguet
GÉNÉTIQUE DES POPULATIONS VIEDESLABOS 11 50000 ans d’histoire génétique des Pygmées Une grande diversité génétique, des langues différentes, des cultures différentes : les populations pygmées de l’Ouest de l’Afrique centrale n’ont pas de sentiment d’appartenance à un groupe commun. Pourtant, elles ont bien une origine commune, qui remonte à 50000 ans. Les Pygmées sont certainement le plus grand groupe de chasseurscueilleurs du monde. Et ils sont constitués de nombreuses populations différentes qui n’ont pas le sentiment d’une origine commune. Pourtant, récemment, des travaux de génétique des populations 1 d’une équipe française 2 ont jeté un éclairage inattendu sur l’origine des Pygmées de l’Ouest de l’Afrique centrale, et sur les conséquences des relations qu’ils entretiennent avec leurs voisins agriculteurs sédentaires, non pygmées. Les chercheurs ont étudié une vingtaine de marqueurs génétiques sur 604 personnes du Cameroun, du Gabon et du Congo, qui proviennent de douze groupes non pygmées et de neuf populations pygmées voisines. Trois résultats notables ont été obtenus. D’abord, vraisemblablement 3, les Pygmées de l’Ouest de l’Afrique centrale ont divergé des non-Pygmées depuis au moins 50 000 ans. Ils ont ensuite commencé à se fractionner en groupes plus petits il y a seulement 3 000 ans environ. « D’après nos résultats, tous les groupes pygmées de l’Ouest de l’Afrique centrale ont bel et bien une origine commune », résume Paul Verdu, généticien des populations au laboratoire « Écoanthropologie et ethnobiologie » et co-auteur de ces travaux. « Ce qui est assez étonnant, puisque la catégorie « Pygmées » est une projection d’un mythe occidental sur des populations africaines. Le terme est en effet dérivé d’un mot grec, pygmaios, qui signifie « haut d’une coudée ». » Le premier à l’employer fut Homère. « Puis c’est au XIX e siècle que les premiers explorateurs européens en Afrique centrale ont baptisé « Pygmées » tous les hommes de petite taille qu’ils ont rencontrés, si bien qu’une trentaine de groupes ethniques, dispersés dans huit pays, sont aujourd’hui désignés ainsi. » D’ailleurs, ce terme englobe des réalités culturelles, écologiques et même morphologiques très variées. « Selon les groupes, la taille moyenne d’un homme adulte varie, par exemple, de 1,43 à 1,61 mètre. De même, si les Pygmées sont majoritairement des chasseurs-cueilleurs nomades, qui vivent en forêt, certains pratiquent l’agriculture et habitent la savane. Leurs différentes communautés n’ont pas de langue commune. Elles Paul Verdu mesure la stature d’un Pygmée Babongo, au Gabon. Bien qu’assez petite, la taille moyenne des Pygmées d’Afrique de l’Ouest diffère fortement d’un groupe à l’autre. parlent généralement celles des groupes non pygmées voisins, avec lesquels elles entretiennent des relations complexes. » Second résultat : chacune des populations pygmées d’Afrique de l’Ouest présente une diversité génétique plus grande que celles des non- Pygmées qui les entourent. « La date à laquelle, d’après nos résultats, les populations pygmées auraient commencé à se fragmenter, correspond à l’époque de la révolution néolithique dans la région. En favorisant l’expansion des agriculteurs de langue bantoue, ce phénomène a pu entraver la mobilité des Pygmées. Leur groupe d’origine se serait alors fractionné en populations d’assez faible effectif, ce qui aurait conduit, par un phénomène de « dérive génétique », à l’importante variabilité constatée aujourd’hui. » Enfin, le flux génique 4 entre Pygmées et non- Pygmées est asymétrique : il s’effectue préférentiellement des non-Pygmées vers les Pygmées. Il trouve peut-être son origine dans la discrimination qui s’exerce en partie sur ces derniers. « Pour un homme pygmée, il est impossible de se marier à une femme non pygmée. Cependant, il est assez fréquent qu’un homme non pygmée prenne pour épouse une femme pygmée, explique Paul Verdu. Théoriquement, les épouses sont alors accueillies dans la famille du mari, mais compte tenu de la pression sociale, un grand nombre de ces « mariages mixtes » se soldent par une séparation. Les enfants, dont la moitié des gènes est non pygmée, retournent alors, avec leur mère, dans la communauté d’origine de celleci. Ce flux de gènes, des populations non pygmées vers les populations pygmées, pourrait être renforcé par la présence, chez les Pygmées, d’enfants illégitimes de père non-pygmée. » Maintenant, il faudrait comparer le lien de parenté des Pygmées de l’Ouest de l’Afrique centrale avec ceux qui peuplent l’Est du continent, afin de voir si eux aussi ont une origine commune, entre eux d’abord, et avec leurs congénères de l’Ouest ensuite. Enfin, la génétique pourrait aider à élucider la cause de leur faible stature. « Il peut s’agir d’une adaptation à l’environnement ou d’un « effet fondateur », si le groupe d’origine était composé d’individus de petite taille. Une thèse vient de débuter, dans notre laboratoire, pour essayer d’y voir plus clair », précise le chercheur. Marie Lescroart 1. Publication dans la revue Current Biology, vol. 19, n°4, 24 février 2009,pp. 312-318. 2. Associant notamment des chercheurs des laboratoires « Éco-anthropologie et ethnobiologie » (CNRS/MNHN), « Écologie, systématique et évolution » (ESE, CNRS/Université Paris-XI/Inst. Sciences et industries du vivant et de l’environnement), « Dynamique du langage » (CNRS/Université Lyon-II) et « Hôtes, vecteurs et agents infectieux : biologie et dynamique » (CNRS/Institut Pasteur). 3. Selon un modèle statistique calculant la vraisemblance de divers « scénarii des origines » à partir de ces données génétiques. 4. Flux génique : échange de gènes entre deux populations par reproduction sexuée. © E. Heyer CONTACT ➔ Paul Verdu Muséum national d’histoire naturelle, Paris verdu@mnhn.fr Le journal du CNRS n°233 juin 2009



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