26 © Garftys > L’ENQUÊTE ensuite à détacher ces dépôts de quelques dizaines de nanomètres d’épaisseur de leur support de fabrication, avant de pouvoir créer les revêtements souhaités. L’équipe de Pierre Schaaf a d’autres cordes à son arc. Un exemple, les matériaux à vocation biologique : « En effet, précise le chercheur, nous travaillons aussi en collaboration avec l’Inserm. Par exemple en intégrant de l’ADN dans les films, pour apporter des fonctions biologiques à des implants. » QUAND LA CHIMIE PREND CORPS D’ailleurs ces matériaux biomédicaux ont le vent en poupe. À Nantes, au laboratoire « Chimie et interdisciplinarité : synthèse, analyse, modélisation » (Ceisam) 2, en coopération avec une équipe de l’Inserm, Bruno Bujoli se penche sur les matériaux dits « réparateurs ». « Nous essayons de mettre au point des ciments injectables afin de prévenir les fractures dues à l’ostéoporose, un problème majeur de santé publique. » Des ciments qui sont par exemple implantés dans le col du fémur, après avoir été modifiés par un principe actif contre l’ostéoporose. Au fil du temps, les fluides qui pénètrent dans ce phosphate de calcium, un matériau identique au principal constituant de l’os, captent et diffusent le médicament, ce qui stimule la repousse osseuse. « Nous achevons des études sur l’animal, explique Bruno Bujoli. Nous espérons bien démarrer les essais cliniques de phase 1 cette année en association avec une PME (Graftys). » Un beau résultat à suivre ! Revenons dans le Sud de la France, à Toulouse, au Centre interuniversitaire de recherche et d’ingénierie des matériaux (Cirimat) 3, où l’équipe de Christèle Combes travaille elle aussi sur les tissus biologiques durs, en particulier sur les nanocristaux qui forment 70% de nos os. « Nous étudions leurs phénomènes de minéralisation », explique Christian Rey. Outre les matériaux de réparation osseuse, l’équipe s’intéresse aussi à l’utilisation de ces minuscules cristaux pour l’imagerie médicale. « Nous avons un projet avec le pôle Cancer-Bio-Santé de Toulouse, poursuit la chercheuse. En rendant Le journal du CNRS n°232 mai 2009 Un ciment à base de phosphate de calcium combiné à un médicament (le bisphosphonate) et injecté dans un fémur atteint d’ostéoporose (en bas à gauche) permet la repousse osseuse (en bas à droite). © B. Bujoli ces nanocristaux luminescents et en fixant un composé à leur surface pour qu’ils soient reconnus par les cellules cancéreuses, nous espérons vivement améliorer l’imagerie des tumeurs. » Finissons ce tour de France par la capitale, où Ludwik Leibler, du Laboratoire « Matière molle et chimie » 4, s’est illustré il y a peu. Avec son équipe, il a réussi à fabriquer un matériau extraordinaire : une matière élastique capable de se réparer toute seule. Après avoir coupé le matériau, il suffit de remettre les deux morceaux en contact pour qu’il retrouve sa résistance de départ. Le secret ? L’usage de molécules qui ont la propriété de s’autoassembler, de la même manière que les molécules d’un brin d’ADN peuvent se « reconnaître » et s’apparier. « Pendant le processus d’autoréparation, les liaisons qui ont été rompues se reforment et redonnent la cohésion au matériau », explique Ludwik Leibler. Après une heure de réparation, l’élastique retrouve sa capacité d’extension initiale de 700% ! Aujourd’hui, la technologie est commercialisée par Arkema et les perspectives de ces produits hors du commun sont en phase d’exploration : adhésifs, films de protection, avec des applications imaginables dans le bâtiment. Ou encore, bien entendu, les pneumatiques… Denis Delbecq 1. Institut CNRS/Université de Pau. 2. Institut CNRS/Université de Nantes. 3. Centre CNRS/Université Toulouse-III/INP Toulouse. 4. Laboratoire CNRS/Éc. sup. phys. chim. ind. Paris. CONTACTS ➔ Philippe Poulin poulin@crpp-bordeaux.cnrs.fr ➔ Stéphanie Reynaud stephanie.reynaud@univ-pau.fr ➔ Pierre Schaaf, schaaf@ics.u-strasbg.fr ➔ Bruno Bujoli, bruno.bujoli@univ-nantes.fr ➔ Christèle Combes christèle.combes@ensiacet.fr ➔ Christian Rey, christian.rey@ensiacet.fr ➔ Ludwik Leibler, ludwik.leibler@espci.fr L’élastomère supramoléculaire fait à partir d’acides gras est capable de s’autoréparer et de résister à un test de traction. © F. Tournilhac,L. Leibler/CNRS Photothèque Les sentinelles Les chimistes s’occupent bel et bien de dépollution. Ils n’ont d’ailleurs pas leur pareil pour traquer polluants aquatiques et atmosphériques. Mais la tâche est immense. « En effet, dans les milieux aquatiques, nous avons affaire à des milliers de molécules », précise Hélène Budzinski, animatrice du Groupe de recherches de physico- et toxicochimie de l’environnement à l’Institut des sciences moléculaires 1. Avec ses collègues, la scientifique tente de repérer la présence des composés organiques et de diagnostiquer leurs effets sur les organismes aquatiques. Et le catalogue est impressionnant : pesticides, médicaments, solvants, retardateurs de flamme et toutes sortes de perturbateurs endocriniens soupçonnés de participer aux phénomènes de féminisation observés chez de nombreux organismes aquatiques. « Or, les substances que l’on retrouve sont liées à notre mode de vie. » C’est pour cette raison que la chercheuse appelle parfois en renfort ses collègues des sciences humaines et sociales. « Les études sociales, les enquêtes peuvent nous faire gagner beaucoup de temps, explique Hélène Budzinski. Car elles nous orientent sur le type de molécules à rechercher dans un environnement donné. Chaque ville, chaque pays, chaque région affiche souvent des habitudes qui lui sont propres. » CES ESPÈCES QUI DONNENT Plus elle progresse, plus l’analyse chimique se heurte au problème des faibles doses, sans pouvoir répondre à la question essentielle des effets sur la santé des cocktails de substances qui nous entourent. Pour le toxicologue Jean-François Narbonne, de l’Institut des sciences moléculaires 1, il y a urgence à développer les « bioessais », c’est-à-dire les essais sur des tissus vivants. « Une substance ou un mélange de substances peuvent être indétectables mais modifier le comportement cellulaire. Les bioessais sont indispensables pour l’avenir. » C’est le cas du fameux test « souris », qui détecte la présence de toxines dans les huîtres : on prélève un échantillon sur des mollusques pour l’injecter dans l’abdomen de trois souris. La mort de deux souris sur trois dans les 24 heures implique un danger pour l’homme et l’interdiction de la consommation. « Nous travaillons avec l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) pour déterminer des types cellulaires plus sensibles et spécifiques pour détecter les phycotoxines, explique Jean-François Narbonne. Nous avons aussi développé depuis trente ans des biomarqueurs sur espèces sentinelles, véritables reporters de la contamination des milieux. » Ainsi, |