24 > © G. Rolle/REA L’ENQUÊTE Des experts contre la fraude Traquer le formol dans un lait de toilette pour bébé, rechercher la contrefaçon d’un brevet de médicament, dépister des produits dopants chez un sportif, et découvrir un pesticide dans un produit étiqueté bio : autant d’activités qui dépendent d’un savoir-faire et de méthodes de plus en plus sophistiquées d’analyse chimique. Comme ceux mis au point et utilisés quotidiennement au Service central d’analyse (SCA) du CNRS, à Lyon, dirigé par Jean- Jacques Lebrun. « L’analyse chimique est l’un des outils de lutte contre la fraude », explique Jean-Jacques Lebrun. Le Service central d’analyse est régulièrement saisi par les tribunaux au cours d’instructions judiciaires, par la Gendarmerie nationale ou des ministères. « Nous intervenons principalement sur des questions agroalimentaires, pharmaceutiques, cosmétiques, et sur le dopage », la face la plus spectaculaire de l’activité du SCA, même si elle ne représente que quelques pourcents de ses efforts 1. LE CONTRÔLE DES ÉTIQUETTES Le domaine phare, celui où la demande en analyse croit le plus vite, c’est l’agroalimentaire. Que cela soit pour repérer un ajout d’eau dans un produit « 100% jus de fruits », du sucre dans un produit « sans sucre » ou des produits de synthèse dans une gelée royale « 100% naturelle », les analystes du SCA utilisent des méthodes ultrasophistiquées pour repérer des substances qui ne se trouvent parfois qu’à l’état de traces. « Aujourd’hui, les instruments de mesure sont capables de repérer une substance à une concentration d’un milliardième, par exemple un nanogramme par gramme de matière. Mais nos méthodes permettent d’aller mille fois plus loin. » Pour en arriver là, il faut concentrer jusqu’à mille fois la substance recherchée dans Le journal du CNRS n°232 mai 2009 l’échantillon, sans accumuler au passage les produits qui risqueraient de la masquer. Par quel tour de passe-passe ? Pour saisir le principe (très) général, imaginez que vous prélevez mille litres d’eau et que vous les faites évaporer. Vous récupérez le résidu pour le mettre dans un litre d’eau pure : vous avez concentré mille fois. Sauf qu’en plus de l’eau, les chercheurs se sont débarrassés aussi, au passage, de substances gênantes. « Les performances des instruments Les analyses de mesure plafonnent depuis quelques années, c’est donc l’enrichis- chimiques permettent sement sélectif qui permet les meilleurs progrès. » Une méthode aux douaniers de débusquer les produits contrefaits, souvent compliquée par la nécessité de tester simultanément la comme ici de fausses pilules présence de dizaines de substances. « Par exemple pour détec- de Viagra. ter en une fois la présence ou l’absence de quatre-vingts pesticides différents dans un miel. » © F. Vielcanet/URBA IMAGES SERVER DES PRÉCAUTIONS DRACONIENNES Quand on travaille sur des traces, la préparation des échantillons est cruciale, et le maximum de précautions doivent être prises pour ne pas contaminer les prélèvements. « Nous nous sommes rendu compte, en essayant de déterminer la présence de Fipronil, un insecticide, dans du miel, que nos résultats étaient perturbés parce qu’une personne du laboratoire DES CHIMISTES EN CUISINE Hervé This, dans son labo. « L’alimentation, ce n’est pas de la chimie. » Venant d’Hervé This 1, un des deux créateurs de la gastronomie moléculaire avec Nicholas Kurti, physicien d’Oxford, le propos pourrait surprendre. Car cette discipline s’attache à comprendre les phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires. Mais pour lui, aucun doute : la chimie est une science, alors que la cuisine est une technique, parfois un art. Régulièrement, il met d’ailleurs son savoir-faire de chimiste au service de son ami, traitait son chien contre les tiques avec ce produit ! », souligne Jean-Jacques Lebrun. La précaution est aussi de mise quand les techniciens tentent de déterminer les traces de sous-produits dans un médicament, dont la présence marquerait la contrefaçon d’une méthode de préparation protégée par un brevet. Ou encore quand le laboratoire recherche des traces de Tamoxifène, un médicament contre le cancer du sein dont se servent certains sportifs pour masquer la prise d’anabolisants ! « Nous devons aussi nous préparer à une nouvelle forme de fraude qui s’installe depuis un ou deux ans dans notre pays, prévient Jean- Jacques Lebrun. Profitant de la mode des produits naturels, des sociétés commercialisent des produits par internet pour contourner les contrôles. Et là, on trouve de tout. Comme des extraits de plantes d’Amazonie qui n’en contiennent pas. » Mais cette fois, la balle n’est pas dans le camp des orfèvres de la chimie. Le consommateur doit être méfiant, car faute de pouvoir contrôler ces importations discrètes, les autorités et les analystes ne peuvent pas grand-chose… Denis Delbecq 1. Le Service conduit surtout des analyses pour le compte du CNRS, des universités et le secteur privé, et consacre un quart de son temps à la recherche et à la formation. CONTACT ➔ Jean-Jacques Lebrun jj.lebrun@sca.cnrs.fr le chef Pierre Gagnaire 2. « Nous avons accueilli au laboratoire des thèses sur le bouillon de carottes ou sur le stockage des oignons dans les sauces : qu’est-ce qui sort des tissus végétaux et, surtout, comment ? » Un travail qui s’est notamment appuyé sur la résonance magnétique nucléaire (RMN) quantitative et qui montre que les molécules qui migrent des végétaux aux bouillons et sauces (essentiellement des sucres et des acides aminés) étaient contenues dans les canaux qui font circuler la sève. « Il faut |