16 PAROLED’EXPERT Les nations montent les marches Le 13 mai, le 62 e Festival de Cannes déroulera une fois de plus le tapis rouge à une sélection de films très diversifiés. Pourquoi le premier festival du monde est-il une extraordinaire vitrine des cultures, des valeurs ou des idées venues des quatre coins de la planète ? Monique Dagnaud : Le cinéma reflète presque toujours une culture, une identité nationale ou régionale. Lorsque l’on regarde un film, et même sans le son, on retrouve une signature très identitaire. Y compris si le casting ou l’équipe technique sont internationaux. En peu de temps, le spectateur est capable d’identifier la nationalité du film. Car le plus souvent, ce dernier dénote un regard, une esthétique qui portent l’empreinte d’un contexte socio-géographique ; il exprime une société particulière. Les décors, la manière de filmer, le jeu des acteurs, le rythme sont des indicateurs très précieux. Le cinéma social anglais, par exemple, est reconnaissable par ses mises en scène d’univers déstructurés ou par ses acteurs qui ont toujours l’air de gens ordinaires. Des cas plus extrêmes existent également, tel que le cinéma de Bollywood, fortement marqué par le « Bollywood masala 1 » : un mélange de danses, de musiques, de chants… Justement, le cinéma indien et sa culture s’exportent de plus en plus. En quoi ces films contribuent-ils à construire une image de l’Inde dans le monde ? M.D. : Le cinéma indien est le miroir des traditions et des modes de vie. On retrouve très souvent des scénarios où sont interrogées les valeurs morales de la société traditionnelle (déchirements familiaux, mariages arrangés, combats sociaux et politiques). En Inde, le cinéma est partout : dans le quotidien, à la radio qui diffuse à 80% des musiques de films, dans la mode où les saris sont ceux des derniers films à succès… Le public indien adhère complètement à ce cinéma. C’est avant Le journal du CNRS n°232 mai 2009 Monique Dagnaud, directrice de recherche CNRS à l’Institut Marcel Mauss (CNRS/EHESS) à Paris tout pour lui qu’il est fabriqué ! Avec plus de 1000 films par an, le pays est le plus prolifique du monde. Les films sont certes un divertissement lucratif mais ils représentent aussi une institution qui définit et assure la cohésion de ce pays qui compte des groupes d’intérêts très divers depuis son indépendance, obtenue en 1947. D’ailleurs, dans chaque pays où il existe une tradition cinématographique, le cinéma joue ou a joué un rôle dans les processus d’affirmation nationale. « Le cinéma reflète presque toujours une culture, une identité nationale ou régionale. » Aujourd’hui, le phénomène de mondialisation affecte l’organisation du cinéma, historiquement structuré au niveau national. Quelles en sont les conséquences pour le 7 e art ? M.D. : La mondialisation a apporté un certain élan à l’industrie du 7 e art. Les données réunies par l’Observatoire européen de l’audiovisuel en mai 2008 témoignent de ces tendances. Si l’hégémonie du cinéma américain demeure 2, la Chine, la France, l’Inde, le Japon ou la Corée du Sud se révèlent être de redoutables concurrents. Le cinéma chinois, par exemple, est en plein essor : 260 films produits en 2005, 330 en 2006, 402 en 2007. Quant à l’Europe, elle finance de plus en plus de films : 921 en 2007 dont 240 films pour la France. Ces grandes puissances cinématographiques ne cessent de produire davantage et de diversifier les genres : blockbusters 3, comédies sentimentales, policiers, films d’animation, films d’auteur plus identitaires ou encore documentaires. On note toutefois l’absence de pays tels que le Brésil ou la Grande-Bretagne sur la scène cinématographique internationale. Pourquoi ? M.D. : Il existe en effet peu de pays disposant d’industries cinématographiques d’envergure. Plusieurs raisons à cela. Premièrement, toutes les nations ne privilégient pas l’investissement dans le cinéma. C’est le cas de l’Angleterre qui, malgré une tradition et un milieu cinématographiques talentueux, a préféré parier sur la production télévisuelle pour diffuser sa culture, ses valeurs ou ses idées. Ce sont ainsi près de 1 600 heures de fictions télévisées produites par an, le double de la France ! Deuxièmement, tous ne possèdent pas le dynamisme financier des entrepreneurs privés américains ou indiens ni les aides publiques apportées, par exemple, par l’État français à tous les stades de la production et de la diffusion. Quels autres atouts permettent au cinéma français de véhiculer et de valoriser sa culture et ses idées ? M.D. : Le rayonnement culturel du cinéma français tient dans une large mesure à sa force de production et à la compétence de son milieu professionnel. Favorable à une sorte d’équilibre entre l’expression d’auteur et la recherche d’un cinéma de qualité, il ne se cantonne pas à exporter un type de films. Ainsi sont distribués à l’étranger des films très marqués par la « french touch », tels que Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, des films aux sujets universels (La marche de l’empereur) ou encore des films d’auteur comme Le scaphandre et le papillon, de Julian Schnabel. En France, le cinéma est considéré comme un art à part entière. Il est consacré au même titre que la peinture ou l’architecture. Propos recueillis par Géraldine Véron 1. Mélange d’épices. 2. Plus de 60% de ses revenus proviennent de l’exportation. 3. Films bénéficiant d’un budget de production et de promotion très important et marqués par des scènes d’action spectaculaires. Ils visent un public planétaire jeune. CONTACT ➔ Monique Dagnaud Institut Marcel Mauss, Paris dagnaud@ehess.fr |