CNRS Le Journal n°232 mai 2009
CNRS Le Journal n°232 mai 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°232 de mai 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 2,5 Mo

  • Dans ce numéro : Les talents cachés de la chimie

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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12 VIEDESLABOS Actualités BIOMÉCANIQUE Sur le bout des doigts… Évaluer la finesse d’une étoffe, débusquer les minuscules aspérités d’un mur fraîchement repeint, ou éviter qu’un précieux vase en cristal nous glisse des mains, tel serait le rôle insoupçonné de nos empreintes digitales. L’équipe de Georges Debrégeas et Alexis Prevost, du Laboratoire de physique statistique de l’ENS (LPS) 1, à Paris, vient de publier en janvier une étude à ce sujet dans le magazine Science 2. « Passer nos doigts sur un objet crée des vibrations à la surface de la peau, explique Georges Debrégeas. Nous savions déjà que ce sont ces vibrations qui permettent de sentir les structures fines de moins de 200 micromètres 3, soit environ deux fois le diamètre d’un cheveu », poursuit-il. Ces vibrations informent certaines cellules nerveuses dites « mécanoréceptrices », situées dans le derme, des contraintes qui s’exercent à chaque instant à la surface de la peau. Et c’est d’ailleurs ainsi que, lorsque nous soulevons un objet, le moindre glissement est immédiatement détecté et conduit à un accroissement de la pression exercée par les doigts. Mais on ignorait que les empreintes digitales jouent sans doute un rôle capital dans ce processus en amplifiant certaines de ces vibrations… Pour le montrer, l’équipe de l’ENS a tout bonnement construit un « doigt artificiel ». La cellule mécanoréceptrice y est remplacée par un microcapteur 4, une sorte de joystick en silicium, d’une taille de l’ordre du millimètre, capable de mesurer les forces qu’il subit dans les différentes directions. Ce capteur est recouvert d’une « peau » en caoutchouc dont la surface présente de fins sillons imitant nos empreintes digitales. Ce « doigt artificiel » est ensuite frotté contre une lame de verre rugueuse, exactement comme lorsque nous passons nos doigts sur une surface pour en évaluer les propriétés. « Bien entendu, nous avons également réalisé l’expérience avec une « peau » artificielle parfaitement lisse, c’est-à-dire « sans empreintes BRÈVE Un pilotage au doigt et au sel Le journal du CNRS n°232 mai 2009 digitales », pour évaluer la contribution de ces dernières dans la perception tactile », précise Georges Debrégeas. Alors, comment réagissent les deux types de peau ? Les signaux mesurés par les capteurs sont sans appel. Avec la peau dotée « d’empreintes digitales », de grandes oscillations se superposent aux vibrations. Oscillations qui n’apparaissent pas avec la peau lisse. En fin de compte, les empreintes digitales amplifient les vibrations presque d’un facteur 100 autour d’une fréquence particulière ! Reste maintenant à faire le lien avec nos propres doigts et nos cellules… Les chercheurs supposent en effet qu’une telle amplification du signal rend plus aisée sa détection par les cellules mécanoréceptrices de la peau. « On sait depuis une dizaine d’années que ce sont les corpuscules de Pacini, les mécanorécepteurs situés le plus profondément dans la peau, qui sont responsables de la perception tactile des textures très fines. Et nous essayons donc à présent de montrer que l’amplification des vibrations de la peau par les empreintes digitales augmente leurs performances », conclut l’équipe de chercheurs. D’ici là, leur résultat de recherche fondamentale pourrait permettre d’améliorer considérablement la sensibilité des mains de robots humanoïdes en les dotant, eux aussi… d’empreintes digitales ! Charline Zeitoun 1. Laboratoire CNRS/École normale supérieure Paris/Universités Paris-VI et VII. 2. Du 29 janvier 2009. 3. 1 micromètre = 10 -6 mètre. 4. Capteur de force de type Mems (Micro-Electro-Mechanical System), fabriqué par le Leti/CEA de Grenoble. CONTACTS Laboratoire de physique statistique de l’ENS, Paris ➔ Georges Debrégeas georges.debregeas@lps.ens.fr, ➔ Alexis Prevost alexis.prevost@lps.ens.fr Comment diriger des microparticules en solution dans un fluide ? Avec une pincée de sel, ont répondu récemment dans la revue Nature Materials les physiciens du Laboratoire de physique de la matière condensée et nanostructures (LPMCN, CNRS/Université Lyon-I) et de l’unité Gulliver (CNRS/ESPCI Paris). Ils ont piloté la migration de particules, leur vitesse et leur direction, uniquement par l’intermédiaire de différences de salinité entre le fluide porteur et un fluide externe en contact avec lui. Alliés à une description théorique du phénomène, ces travaux promettent des applications notamment pour les fameux « laboratoires sur puce », des appareils pour l’analyse biologique ultraperformants et ultraminiaturisés. > www.cnrs.fr/inp/spip.php ? article209 SOCIÉTÉ Une anthropolo Spécialiste de l’hôpital, l’anthropologue Marie-Christine Pouchelle observe les jeux de pouvoir liés à l’introduction de la chirurgie robotique dans les blocs opératoires. Elle part en mai au Japon, pour étudier la question au royaume des robots. L’utilisation de la robotique pour la chirurgie ? Une solution d’avenir, incontestablement… mais aussi une source de crispation potentielle chez les chirurgiens. Tel est le constat que dressait en 2007 Marie-Christine Pouchelle, anthropologue, après avoir observé l’introduction de la Gros plan sur les instruments opératoires (en haut) guidés sur un patient par l’intermédiaire de manettes (ci-dessus) que manipule un chirurgien. Ci-contre, une salle d’opération où le chirurgien installé à une console (à gauche de la photo) visualise l’opération sur un écran et déplace les manettes qui dirigent les instruments chirurgicaux.
gue au pays des robots chirurgie robotique dans le bloc opératoire d’un grand centre hospitalier parisien. Les causes de ce malaise ressenti par certains chirurgiens : un bouleversement des pratiques qui privilégient désormais la vue au détriment du toucher, ou encore une atteinte à leur aura dans la salle d’opération. Forte de ce constat franco-français, la directrice de recherche CNRS de l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain 1 part en mai au Japon observer les comportements des chirurgiens nippons vis-à-vis de la robotique. Et comparer leurs perceptions avec celles de leurs confrères français. Avec la chirurgie robotique, le praticien se retrouve aux manettes de bras articulés qui lui permettent de s’introduire dans le corps du patient et d’opérer à distance. Elle présente bien des avantages : l’ouverture pratiquée dans la peau étant réduite par rapport à une opération standard, les risques de contamination de microbes sont faibles et la cicatrisation de la plaie est rapide, d’où une réduction du temps d’hospitalisation postopératoire. En outre, l’assistance informatique propose un meilleur champ visuel et élimine tout tremblement. Et pourtant, comme Marie- Christine Pouchelle l’a observé en France, la chirurgie robotique n’est pas toujours une panacée pour les chirurgiens. Première source du malaise ressenti par les spécialistes : le remplacement du toucher par la visualisation sur écran. Éliminer le sens tactile entraîne une gêne sur le plan cognitif pour les chirurgiens, habitués à « appréhender » le corps humain à travers leurs doigts. Autre source de tension, la présence même du robot, considéré parfois comme un concurrent par les chirurgiens. « L’introduction d’anesthésistes professionnels dans les salles d’opération, depuis la fin des années 1940, ne s’était déjà pas faite sans conflits de pouvoir, raconte Marie-Christine Pouchelle. Ajoutez à cela d’autres facteurs comme l’importance grandissante des droits accordés aux patients : le pouvoir chirurgical se sent amoindri par rapport à ce qu’il pouvait être il y a vingt ou trente ans. La robotique peut alors être vécue comme une atteinte de plus à l’aura des chirurgiens, bien que certains praticiens en aient fait au contraire un outil de valorisation, assumant une position de chef d’orchestre. » Au Japon, la chirurgie robotique met-elle à l’œuvre les mêmes forces ? Pour y répondre, Marie- Christine Pouchelle mènera ses observations dans deux centres hospitaliers adeptes des technologies de pointe, le Kameda Medical Center, à Kamogawa City, et le Tokyo Women’s Hospital, situé dans la capitale. Elle compte également © Photos : 2009 Intuitive Surgical, Inc Mission VIEDESLABOS 13 profiter d’un congrès de robotique chirurgicale à Kobe pour sonder l’opinion des chirurgiens. Mais pourquoi le Japon ? « L’Extrême-Orient m’intéresse depuis toujours. Mais c’est surtout parce que c’est le pays d’élection de la robotique », explique-t-elle. La chercheuse y a déjà effectué une première mission en 2007. Elle en est revenue stupéfaite : au pays du chien Aibo et des robots humanoïdes autonomes capables de marcher, l’usage de la chirurgie robotique n’en est qu’au stade embryonnaire. Tandis que la France dispose de vingt robots utilisés en routine dans les hôpitaux, le Japon n’en possède que quatre, employés de façon expérimentale. Une autorisation de mise sur le marché d’un robot chirurgien est en attente depuis sept ans. Alors, pourquoi le pays accumule-t-il un tel retard ? Est-ce en raison de questions purement administratives ou bien des réticences cachées existent-elles ? Autant de questions auxquelles tentera de répondre Marie-Christine Pouchelle. Qui, lors de son voyage, observera également les pratiques chirurgicales sous l’angle culturel. Car là-bas plus qu’ailleurs, culture et usage de la robotique seraient intimement liés, comme l’illustre le robot japonais Myspoon. Aide mécanique aux handicapés, il s’agit en fait d’un bras articulé qui porte la nourriture à la bouche. Compte tenu des codes qui régissent strictement les relations entre personnes au Japon, et qui rendent difficile l’expression directe des refus, il est délicat pour un handicapé de décliner la nourriture qu’on peut lui proposer. Avec Myspoon, il peut se libérer de cette contrainte sociale et décider seul du rythme de son repas. Cet exemple démontre bien qu’un aspect de la culture peut orienter l’utilisation que la société fait des robots. Quels sont au juste les traits culturels qui empêcheraient ou pourraient au contraire favoriser le développement de la chirurgie robotique au Japon ? Réponse au retour de Marie- Christine Pouchelle. Xavier Müller 1. Institut CNRS/EHESS Paris. Ce robot est équipé des différents instruments chirurgicaux qui effectueront l’acte opératoire commandés à distance par un chirurgien. Un outil ultrasophistiqué, mais pas toujours bien accepté par les professionnels. CONTACT ➔ Marie-Christine Pouchelle Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain, Paris pouchel@ehess.fr Le journal du CNRS n°232 mai 2009



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