16 PAROLED’EXPERT L’Otan, une alliance en mutation Ce mois-ci, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) célèbre ses 60 ans, notamment lors d’un sommet les 3 et 4 avril à Strasbourg et à Kehl en Allemagne. A-t-elle rempli les missions qui ont présidé à sa création ? Bastien Irondelle : Créée le 4 avril 1949 par les États-Unis, le Canada et plusieurs pays européens 2, l’Otan avait à l’origine un double rôle, qu’elle a effectivement tenu : assurer la défense de l’Europe dans un contexte de guerre froide et instaurer des relations transatlantiques entre l’Europe de l’Ouest et les États-Unis. Elle garantissait l’implication des États-Unis dans la sécurité européenne. Or la guerre froide s’est achevée en 1989 par une « victoire » de l’Otan : non seulement le pacte de Varsovie (l’alliance entre la plupart des pays du bloc communiste) a été dissous, mais les pays d’Europe centrale et orientale (Hongrie, Pologne, Roumanie), ainsi que d’anciennes républiques socialistes et soviétiques tels les Pays baltes, ont rejoint l’alliance atlantique. Les relations transatlantiques ont aussi été maintenues. Et après 1989, bien que sa mission de défense collective se soit atténuée, elle a offert une garantie de sécurité pour les nouveaux venus en 1999 et 2004, inquiets d’une résurgence de la menace venant de leur voisin russe. L’Otan aurait donc encore une utilité… B.I. : Indiscutablement. D’abord, elle demeure la seule organisation internationale à la fois politique et militaire constituée par les États- Unis et l’Europe. Ensuite, depuis 1989, ses Le journal du CNRS n°231 avril 2009 Bastien Irondelle, spécialiste des relations internationales au Centre d’études et de recherches international (Ceri) 1 missions ont évolué : elle a élargi son champ d’action hors de la zone euro-atlantique, intervenant dans les Balkans, au Kosovo et en Afghanistan. Et elle a étendu ses fonctions : elle s’occupe de crises internationales, se déployant dans des opérations de stabilisation et de reconstruction ; elle s’inscrit par ailleurs dans la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue, et peut intervenir en cas de catastrophe naturelle. Revers de la médaille, on lui reproche parfois de sortir de son terrain de compétences. Justement, l’Otan est-elle adaptée à ses nouvelles fonctions ? B.I. : Loin de là. Pour preuve, l’intervention en Afghanistan dure depuis huit ans et son résultat est plus que mitigé… L’Otan a en effet été conçue dans le cadre d’une « grande guerre classique » et non pour lutter contre la guérilla. Elle doit aussi prendre en compte la délicate période de transition « Elle demeure la seule organisation internationale à la fois politique et militaire constituée par les États-Unis et l’Europe. » entre le conflit armé et la stabilisation d’une région, tandis qu’il y a souvent concomitance entre phases d’affrontements militaires et phases de stabilisation. C’est pourquoi elle entreprend sa « transformation militaire » pour disposer d’armées plus souples, capables de se déployer vite et loin et de s’adapter à l’évolution du contexte conflictuel d’une crise. Le retour annoncé de la France dans l’Otan divise l’opinion. Pourquoi ? B.I. : Rappelons que la France, l’un des premiers contributeurs de l’Otan en termes de troupes et de budget, n’a jamais quitté l’alliance : c’est de son commandement qu’elle s’est retirée en 1966, lorsque le général De Gaulle a estimé qu’elle devait retrouver sa pleine souveraineté, grâce à l’arme nucléaire. Or sur le plan militaire, France et Otan collaborent de plus en plus depuis 1990, et cette coopération fonctionne plutôt bien. Du coup, se demandent certains, à quoi bon une telle réintégration, ou plutôt une « normalisation » ? D’un point de vue politique, les souverainistes dénoncent un risque d’alignement sur les États-Unis et une perte d’indépendance. Cet argument est à nuancer : l’Otan garantit l’autonomie de ses membres quant à leur participation à des opérations. De plus, la France resterait indépendante en matière nucléaire. Il est vrai, cela dit, qu’en politique étrangère, ne pas être membre à part entière lui conférait plus de marge de manœuvre et d’importance pour dialoguer avec certains pays, notamment le monde arabo-musulman. Enfin, pour les « pro-Européens », ce retour annihilerait le développement d’une défense européenne autonome. Les « atlantistes » estiment au contraire que la relance de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) suppose la levée de notre statut particulier. Dans tous les cas, il faudra éviter que ne se mette en place un partage inégal des tâches entre l’Otan et l’UE, que ne s’instaure un « droit de premier regard » de l’Otan sur les dossiers concernant la sécurité des Européens. Enfin, il faudra que les États-Unis acceptent à long terme le développement d’une défense européenne. Rien n’est moins sûr. Propos recueillis par Stéphanie Arc 1. Centre CNRS/Sciences-Po. 2. L’Otan rassemblait d’abord les signataires du Traité de Bruxelles (Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas et Royaume-Uni), les États-Unis et le Canada ainsi que cinq autres pays d’Europe occidentale (Danemark, Italie, Islande, Norvège et Portugal). Elle compte aujourd’hui 26 membres. CONTACT ➔ Bastien Irondelle Sciences Po, Paris bastien.irondelle@sciences-po.fr |