10 VIEDESLABOS Actualités BIODIVERSITÉ La Méditerranée, un refuge pour les espèces Lorsque le climat change, les espèces végétales cherchent des refuges pour survivre. Des chercheurs viennent de montrer qu’une cinquantaine de sites méditerranéens, connus pour leur biodiversité actuelle, jouaient ce rôle d’abri depuis plusieurs centaines de milliers d’années. Quand on évoque les points chauds (hotspots) de la biodiversité, ces zones riches en espèces mais menacées par l’activité humaine, les regards se tournent souvent vers les forêts tropicales humides. Mais plus près de chez nous, le bassin méditerranéen accueille entre vingt-cinq mille et trente mille espèces végétales ! Frédéric Médail, de l’Institut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie (Imep) 1, et sa collègue Katia Diadema, du Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles, ont examiné les lieux privilégiés où persiste la biodiversité méditerranéenne. Et ils révèlent dans le Journal of Biogeography 2 qu’une cinquantaine de ces sites ont été de véritables refuges pour la flore au fil des aléas climatiques des derniers millénaires. Depuis l’ère tertiaire, le climat terrestre a plus d’une fois basculé. On relève notamment quatre époques de forte glaciation depuis sept cent mille ans, entrecoupées de périodes interglaciaires. Avec pour conséquences d’intenses variations de température (une quinzaine de degrés) et de pluviométrie (du simple au double) en Méditerranée, qui auraient pu entraîner la disparition d’une forte proportion de la flore, si les plantes n’avaient pu se trouver des abris. « Les refuges sont souvent des zones montagneuses, insulaires, des gorges, où la topographie locale a amorti les variations climatiques depuis la fin du tertiaire », explique Frédéric Médail. Ces refuges ont ensuite permis une reconquête géographique pour les espèces les plus aptes à la dispersion, ou sont devenus des réservoirs pour Le journal du CNRS n°231 avril 2009 © Photos : CBNMED Le mont Pablia Orba, dans le nord-ouest de la Corse, fait partie des 52 refuges de biodiversité répartis autour du bassin méditerranéen. PROTÉGER DE PLUS GRANDS ESPACES ! les espèces endémiques : ce qui explique en partie que la moitié des végétaux méditerranéens ne se trouve nulle part ailleurs. Pour cartographier les zones refuges, Frédéric Médail et Katia Diadema ont analysé quinze années de travaux scientifiques (une centaine de publications scientifiques) portant sur la « phylogéographie » du bassin méditerranéen, une Il faut revoir la politique de gestion des espaces naturels. C’est ce que conclut l’équipe dirigée par David Mouillot, du Laboratoire « Écosystèmes Lagunaires » 1, dans des travaux publiés en octobre dernier dans PNAS. Les chercheurs ont étudié la manière dont est modélisée la relation entre la surface des « points chauds » de biodiversité de la planète et le nombre d’espèces qu’ils contiennent. Ils ont constaté de grandes incertitudes dans ces modélisations. Or celles-ci sont utilisées pour définir les régions à protéger. Ils en concluent qu’il faudrait protéger des régions beaucoup plus vastes. Car si des doutes subsistent, c’est rien de moins que la survie de nombreuses espèces qui dépend de la définition exacte de ces « points chauds ». 1. Laboratoire CNRS/Université Montpellier-II/Ifremer/IRD Montpellier. L’orchis des marais (une orchidée), la ciste ladanifère et le frêne à fleur (de gauche à droite) ont profité de refuges pour survivre aux époques glaciaires. discipline qui étudie la distribution géographique des espèces, en lien avec leur diversité et leur originalité génétique. C’est ainsi qu’ils ont révélé 52 « refuges » : 33 à l’ouest et 19 à l’est du bassin. Ces derniers, moins nombreux, sont aussi moins fragmentés. « Sans doute parce que l’impact des aléas climatiques a été plus sévère à l’ouest, ce qui a morcelé les refuges », explique le chercheur. Bien souvent, ce sont des régions montagneuses littorales qui ont permis aux espèces de résister, la proximité de la mer atténuant l’aridité liée aux baisses de pluviométrie au cours des glaciations. « La montagne permet des migrations en altitude à de courtes distances, et donc les végétaux peuvent plus facilement retrouver des niches écologiques favorables à leur survie. » Ces régions sont situées pour la plupart dans la péninsule Ibérique, en Italie, dans les Balkans, et au Maghreb. Ces études sont essentielles pour dessiner de nouvelles stratégies de conservation de la biodiversité, notamment face à la croissance démographique. « La connaissance des refuges est indispensable aussi pour imaginer ce que pourrait être |