38 GUIDE Livres 3 questions à… Michèle Petit L’art de lire ou comment résister à l’adversité Éd. Belin, coll. « Nouveaux mondes », octobre 2008, 272 p. – 19 € Michèle Petit est anthropologue, membre du Laboratoire « Dynamiques sociales et recompositions des espaces » (Ladyss, CNRS/Université Paris-I). Chaleureux éloge de la lecture, votre livre, qui se situe à la croisée de l’anthropologie et de la psychanalyse, fait état d’expériences singulières de cette pratique : pouvezvous nous en parler ? De très longue date, on a observé que lire aidait à résister aux adversités, même dans les contextes les plus terribles. Cependant, la plupart de ceux qui en ont témoigné avaient baigné dès leur plus jeune âge dans la culture écrite. Les expériences littéraires auxquelles je me suis intéressée en Amérique latine rassemblent, elles, des personnes qui ont grandi au plus loin des livres : en Colombie, des jeunes sortis de la guérilla ou des groupes paramilitaires, des toxicomanes, des soldats blessés, des populations déplacées ; en Argentine, des La voie du imari L’aventure des porcelaines à l’époque Edo Présenté par un universitaire collectionneur installé au Japon, richement illustré de documents photographiques issus des plus grands musées internationaux et notamment japonais, ce somptueux ouvrage retrace toute l’histoire des imari. Au Japon, « imari » désigne la porcelaine par excellence. « Jouant avec le vide et la forme », la première mention du mot imari apparaît dans un recueil de poésie haïku en 1638. Digne héritière de ses sœurs chinoise et coréenne, la porcelaine japonaise fut source d’inspiration pour tous les porcelainiers d’Europe dès le début du XVIII e siècle dans un contexte d’échanges historiques, artistiques et technologiques de haut rang. L’histoire commence sur les collines d’Arita, près du port d’Imari, sur l’île méridionale de Kyûshû, jouxtant une carrière de kaolin, une petite ville où les bornes kilométriques sont en porcelaine bleue… Le journal du CNRS n°227 décembre 2008 femmes avec des bébés en situation de grande pauvreté, des enfants maltraités ou des victimes de catastrophes naturelles. Dans le cadre de nos expériences, un médiateur culturel propose des supports écrits qu’il lit à haute voix aux participants assis en cercle, puis des récits surgissent parmi ces participants, qui leur permettent de symboliser peu à peu ce qu’ils ont vécu. Toutefois, ces médiateurs ne font pas de la « bibliothérapie » : leur démarche est d’ordre culturel, éducatif, social et politique. C’est à tous ces niveaux que la lecture est « réparatrice ». Et en quoi ? D’abord, une lecture est réparatrice uniquement s’il y a une véritable appropriation du texte. Celle-ci est Yvan Trousselle, préf. Catherine Bréchignac, CNRS Éditions, coll. « Réseau Asie », novembre 2008, 227 p. – 85 € rendue possible par l’attitude chaleureuse, subtile, discrète, des médiateurs, leur disponibilité profonde, leur écoute. N’étant pas perçus comme quelque chose d’imposé, les textes lus à haute voix vont ouvrir un espace en rupture avec la situation des participants et relancer leur activité psychique, leur pensée, leurs paroles, en leur envoyant des échos du plus profond d’eux-mêmes. Non pas que les textes lus évoqueraient des situations proches de ce qu’ils ont vécu ! Ceux qui ont un effet réparateur sont même souvent très surprenants. Un conte ou une poésie quelquefois écrits à l’autre bout de la terre permettent de lire les pages douloureuses de sa vie de façon indirecte, de parler de sa propre histoire autrement, de l’objectiver et de la partager. C’est lorsque le texte permet un tel déplacement dans le temps ou dans l’espace qu’il « travaille » le plus son lecteur. Cette force du détour, de la métaphore, les médiateurs la connaissent bien : par exemple, aux anciens guérilleros, on ne lit pas de récits de rapts perpétrés par la guérilla, mais plutôt la légende du Mohán, un ogre séducteur enlevant les jeunes lavandières. Voilà l’un des processus par lesquels la lecture est réparatrice. Ces processus peuvent-ils être aussi salvateurs dans nos démocraties européennes ? Bien sûr ! Car ici aussi, beaucoup de gens sont aux prises avec des adversités multiples, et tout être humain, où qu’il vive, a, de façon vitale, besoin de trouver des échos symbolisés de sa propre expérience. Il serait dangereux de laisser le monopole du sens et des récits aux seuls pouvoirs politiques, économiques, religieux, ou à l’ « ordre de fer télévisuel », pour parler comme l’historien italien Armando Petrucci. Il est essentiel de préserver des espaces de liberté, de rêverie et de pensée non assujettis à une rentabilité immédiate, où puisse surgir de l’imprévu, de l’inattendu, du « jeu ». Et c’est bien ce que font les médiateurs de lecture aujourd’hui, en Europe et ailleurs : œuvre de résistance. Propos recueillis par Léa Monteverdi L’invention de l’alpinisme Olivier Hoibian (dir.), éd. Belin, coll. « Histoire et société », octobre 2008, 367 p. – 22 € Inspirée par le savant genevois Horace Bénédict de Saussure, l’ascension du mont Blanc par Balmat et Paccard en 1786 est considérée symboliquement comme l’acte de naissance de l’alpinisme. La « contemplation des glaciers suisses et de Chamonix » se trouve littéralement absorbée par le romantisme ambiant et pose les prémisses du tourisme en montagne auquel s’intéressent les milieux bourgeois. Contrairement à l’aristocratie, qui pratique l’oisiveté, la bourgeoisie « éclairée » s’empare de ces nouveaux territoires. Elle construit des refuges, définit les usages des sentiers, crée des « clubs » et inaugure sanatoriums et solariums sur les cimes enneigées. Cet ouvrage raconte cette « invention » de l’alpinisme à travers l’étude des us et coutumes des clubs alpins européens. |