34 ©C. Gaillard INSITU Marie-Hélène Moncel. COLLOQUE La route de l’homme Du 26 au 28 novembre, un colloque international sur les premières migrations des hommes préhistoriques de l’Afrique vers l’Eurasie s’est tenu à Paris. Retour, avec Marie-Hélène Moncel, préhistorienne au CNRS et organisatrice du colloque, sur 2 millions d’années d’histoire. Comment les préhistoriens arrivent-ils à étudier des déplacements humains survenus… il y a plusieurs millions d’années ? Marie-Hélène Moncel : En comparant tout ce que l’on trouve sur les sites préhistoriques d’Afrique et d’Eurasie : l’outillage, la faune, etc. En identifiant les types d’outils, d’animaux chassés, etc., on peut définir les traditions et, par conséquent, les différents groupes humains, que l’on peut situer dans l’espace et dans le temps en datant les objets trouvés (par exemple, les restes osseux). On peut donc tracer le déplacement de ces individus. Certes, les restes humains fossiles sont très rares. Mais on trouve aussi des objets en pierre très précieux pour nous, transformés intentionnellement par les humains, en fait des outils et l’ensemble des sous-produits liés à leur fabrication : ce sont les « assemblages lithiques ». Et qu’est-ce que ces objets nous ont appris ? M.-H. M. : L’étude de ces assemblages suggère l’existence d’au moins deux phases d’expansion humaine, allant de l’Afrique – le berceau de l’humanité selon la plupart des chercheurs – vers l’Eurasie. La première, effectuée de l’Afrique vers l’Asie, remonterait au moins à 1,9 million d’années (Ma), comme en témoignent les plus vieilles traces d’outils trouvées à ce jour, en Chine. Par ailleurs, les plus anciennes traces attestant de la présence de l’homme au carrefour de l’Europe et Le journal du CNRS n°227 décembre 2008 de l’Asie ont été retrouvées à Dmanisi en Géorgie et remontaient à 1,8 million d’années. Et ces dernières années, une équipe russe – invitée à notre colloque – a découvert, au bord de la Mer d’Azov dans le Caucase du Nord, du matériel presque aussi ancien, datant de – 1,1 à – 1,6 Ma. Des découvertes qui suggèrent que l’homme a colonisé rapidement l’Eurasie ! Quant à la seconde migration humaine, plus récente et plus hypothétique, dont une partie a sûrement été en partance de l’Afrique et l’autre en partance de l’Asie, elle est matérialisée par l’apparition de groupes employant un nouvel outil : le biface, réalisé en détachant progressivement des éclats sur les deux faces d’un bloc de pierre. Au Proche-Orient, cet outil est présent vers –1,4 Ma. En Asie, il apparaît vers –1,2 Ma en Inde (Isampur). En Europe, les tout premiers sites à biface, en France (vallée du Cher), ne datent que de – 700 000 à – 600 000 ans. Quels étaient les représentants du genre humain concernés ? M.-H. M. : On considère que le premier membre du genre Homo était Homo ergaster, qui vivait en Afrique, entre – 2,2 Ma et – 1 Ma. La première vague de migration a sûrement été réalisée par cet Homo ergaster puis par Homo erectus. Concernant la seconde vague de peuplement, on n’a pas trouvé beaucoup de restes humains pour trancher © Département de préhistoire du MNHN Biface du site de La Noira (Centre de la France), daté de – 700000 à – 600000 ans. rigoureusement, mais on pense qu’elle a été orchestrée par Homo erectus. Pour les genres Homo qui ont migré vers l’Europe (depuis l’Asie ou directement depuis l’Afrique), on a trouvé, à Atapuerca, en Espagne, des ossements d’Homo antecessor ; lequel aurait vécu entre – 1,2 et – 0,8 Ma. Lors des migrations humaines, aurait-il pu y avoir simplement des contacts entre ces différents groupes humains, plutôt que des mouvements de populations ? M.-H. M. : Oui. En fait, il y a trois possibilités : soit il y a eu un déplacement de personnes ; soit « juste » un déplacement des traditions (façon de travailler les pierres, etc.) entre des groupes différents vivant dans des régions différentes ; soit un développement de traditions similaires dans différents groupes isolés les uns des autres (c’est le phénomène de convergence). Et dans une même région, il peut même y avoir eu ces trois possibilités en même temps. Voilà pourquoi il est complexe de retracer avec précision les migrations humaines préhistoriques… et pourquoi nous devons encore répondre à nombre de questions. Lesquelles ? M.-H. M. : Pourquoi les hommes ont-ils quitté l’Afrique ? Par quels chemins sont-ils parvenus en Europe ? Se sont-ils déplacés de l’Asie vers l’Europe ou y a-t-il eu de multiples vagues de colonisation humaine à partir de l’Afrique, en passant par le détroit de Gibraltar ou par le couloir levantin (Méditerranée orientale) ? Quels facteurs environnementaux et autres ont favorisé ou limité les déplacements ? Etc. Lors de ce colloque, qui a uni pas moins d’une centaine de climatologues, spécialistes des fossiles humains, de la faune, des outils, etc., de différents pays (France, Espagne, Chine, Russie…), nous avons fait un état des lieux des connaissances acquises ces quelques dernières années pour formuler de nouvelles hypothèses afin de répondre à ces questions cruciales. Propos recueillis par Kheira Bettayeb CONTACT ➔ Marie-Hélène Moncel Laboratoire « Les hominidés au quaternaire : milieux et comportements » (CNRS/MNHN), Institut de paléontologie humaine, Paris moncel@mnhn.fr |