24 > © Photos : E. Perrin/CNRS Photothèque L’ENQUÊTE RÉVÉLATIONS DANS LES LABOS Percer les mystères de l’évolution des formes vivantes consiste aussi à questionner son impact sur la diversité biologique. Pour ce faire, l’écologue Nicolas Mouquet, en poste à l’Isem, a jeté son dévolu sur la bactérie Pseudomonas fluorescens. L’expérience menée avec Patrick Venail, Thierry Bouvier et Michael Hochberg, dit-il, « a consisté à créer en laboratoire, à l’aide de microplaques en plastique, différents environnements constitués de plusieurs sources de carbone 3 (à base de glucose, de fructose, d’acides aminés…). Nous avons placé des bactéries strictement identiques sur le plan génétique dans chacun de nos 96 puits et nous les avons laissées libres d’évoluer pendant plus de 500 générations (soit une cinquantaine de jours), tout en déplaçant une petite fraction d’entre elles d’un puits à l’autre ». Et alors ? Ce cocktail mélangeant hétérogénéité spatiale des ressources disponibles et dispersion a eu pour effet d’accélérer la diversification des génotypes des communautés de Pseudomonas fluorescens et d’accroître leur efficacité à créer de la biomasse. « Ces travaux prouvent qu’il existe une relation positive entre la complexité de l’environnement et la diversité biologique qui peut y émerger par évolution », précise Nicolas Mouquet. Et montrent indirectement qu’une homogénéisation des écosystèmes terrestres, sous la pression des activités humaines, pourrait à terme réduire les capacités du vivant à se diversifier. Le journal du CNRS n°227 décembre 2008 En suivant, pendant 500 générations, la diversification d’une bactérie, Pseudomonas fluorescens, les chercheurs ont mis en évidence un lien entre la complexité de l’environnement et la diversité biologique qui peut s’y produire par évolution. Autre « manip » d’évolution expérimentale : celle conduite sur des acariens phytophages, se nourrissant de végétaux, toujours dans les murs de l’Isem. Principe : installer des populations de Tetranychus urticae dans un environ- nement peuplé de différentes plantes-hôtes (concombre, tomate). « Nous laissons évoluer chacune des populations tantôt sur un seul et unique substrat, tantôt sur un substrat puis sur un autre, tantôt dans un milieu présentant un mélange de ces substrats », explique Isabelle Olivieri, qui pilote cette expérience. Objectif : tester les prédictions de modèles mathématiques décrivant les processus d’adaptation et de spécialisation en fonction de l’hétérogénéité du milieu, et paramétrer ces modèles pour mieux comprendre les mécanismes de ce que l’on appelle la « spéciation adaptative », en particulier dans un contexte de fragmentation croissante des habitats. « Les résultats obtenus à ce jour montrent que même au bout de 400 générations d’évolution sur une seule et même plante-hôte, les populations présentent encore une très grande diversité génétique leur permettant de vivre sur de nouveaux milieux, dit Isabelle Olivieri. Ce potentiel évolutif leur permet de s’adapter à de nouvelles plantes-hôtes. À terme, nous aimerions mettre en évidence les gènes impliqués dans ces processus. En particulier, nous souhaitons déterminer dans quelle mesure les mécanismes d’adaptation se répètent : un processus de spécialisation donné est-il toujours réalisé de la même façon, ou bien les gènes recrutés diffèrent-ils d’une population à l’autre pour un même environnement sélectif ? » SUR LE TERRAIN… Pour étudier les mécanismes de l’évolution à l’origine de la biodiversité actuelle, Hervé Le Guyader écume quant à lui le plancher océanique. Ce dernier offre le gîte et le couvert à une faune extraordinaire vivant autour des sources QUAND L’ÉVOLUTION SE BOIT COMME DU PETIT LAIT Si un exemple prouve que des différences culturelles induisent des modifications biologiques et se répercutent sur la diversité génétique de sapiens sapiens, c’est bien la lactase, une enzyme intestinale permettant de digérer le lactose (un sucre nécessaire à la croissance des enfants) présent dans le lait. « Cette enzyme, rappelle Évelyne Heyer, responsable de l’équipe de génétique des populations du laboratoire « Éco-anthropologie et ethnobiologie » 1, est en général inactivée chez les mammifères après le sevrage, ce qui les empêche de digérer le lait au stade adulte. Or, dans certaines populations humaines, notamment en Europe du Nord (Suède) et en Afrique de l’Est (chez les Tutsis), une forte proportion d’adultes (jusqu’à 90%) présentent une lactase active. » Le point commun entre ces groupes ? Tous sont constitués d’éleveurs ou de descendants d’éleveurs et accordent au lait une place prépondérante dans leur alimentation depuis plusieurs milliers d’années. « Quand ces populations se sont mises à boire beaucoup de lait frais, poursuit Évelyne Heyer, les individus capables de le digérer ont présenté un avantage sélectif (meilleure absorption de calcium, meilleure résistance à la déshydratation…). Les outils de la génétique des populations nous permettent même de dater le moment où cette mutation a commencé à augmenter en fréquence. » Pour la mutation européenne, cet âge est estimé à 8000-9000 ans, des dates cohérentes avec ce que l’archéologie nous apprend de la domestication des animaux d’élevage. P.T.-V. 1. Laboratoire CNRS/Muséum nat. hist. nat./Université Paris-VII. CONTACT : Évelyne Heyer, heyer@mnhn.fr |