CNRS Le Journal n°227 décembre 2008
CNRS Le Journal n°227 décembre 2008
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°227 de décembre 2008

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3 Mo

  • Dans ce numéro : 150 ans après, le monde selon Darwin

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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20 > L’ENQUÊTE par exemple, des espèces allogènes envahissent brutalement un milieu fermé comme une île », poursuit Guillaume Lecointre. Meilleur exemple : les lapins introduits au XIX e siècle en Australie s’y sont mis à pulluler, détruisant la végétation et les cultures. Pour autant, la planète n’est pas dominée par une unique espèce hégémonique, « mais bien au contraire peuplée de millions d’espèces en coexistence et ceci, malgré la capacité naturelle de surpeuplement de chacune d’entre elles. Ainsi, chaque espèce constitue une limite pour les autres soit en occupant leur espace, soit en les exploitant (prédation, parasitisme), soit en partageant les mêmes ressources. Bref, les autres espèces constituent autant de contraintes qui jouent un rôle d’agent sélectif ». Quatrièmement, le succès de la croissance et de la reproduction des espèces dépend d’optima physiques (température, humidité, rayonnement solaire…) et chimiques (pH, molécules odorantes, toxines…). « Ces éléments constituent eux aussi des facteurs contraignants, dit Guillaume Lecointre. S’ils changent, les variants 2 avantagés ne seront plus les mêmes. » En définitive, de multiples facteurs, au sein de l’environnement physique, chimique et biologique dans lequel évolue une espèce, induisent une sélection naturelle à chaque génération, dont le résultat est un « succès reproductif différentiel ». Traduction : au sein d’une même espèce, les individus porteurs d’une variation héritable, momentanément avantageuse par les conditions du milieu, se reproduiront davantage. « Si ces conditions se maintiennent assez longtemps, ajoute Guillaume Lecointre, le variant avantagé finira par avoir une fréquence de 100% dans la population. L’espèce aura alors changé. » Conclusion, aucune espèce n’est stable dans le temps. LES PRÉDÉCESSEURS S’il revient à Darwin d’avoir postulé deux grandes idées – la descendance avec modification et le rôle essentiel de la sélection naturelle dans l’adaptation des formes vivantes, donc dans l’évolution –, celles-ci ne lui sont pas venues tout à trac. Le terrain avait été débroussaillé, entre autres, par le zoologiste Jean-Baptiste de Monet, chevalier de Lamarck, et le géologue écossais Charles Lyell. C’est d’ailleurs lesté du premier volume des Principles of Geology, de Lyell, que le jeune Darwin quitte Plymouth fin 1831, pour effectuer un tour du monde à bord du navire Beagle. Un très long voyage d’exploration naturaliste au cours duquel Darwin pose le pied sur les îles Galapagos où s’ébattent des tortues terrestres, des iguanes, des otaries, des pinsons… Ces oiseaux, tout en présentant entre eux de frappantes ressemblances morphologiques, se distinguent par divers détails comme la forme et la taille de leur bec. Darwin comprend que Le journal du CNRS n°227 décembre 2008 l’isolement de ces volatiles sur des îles les a conduits, à partir d’une souche unique d’origine continentale, à présenter des variations liées probablement à des différences de mode de vie et d’habitudes alimentaires. Plus de vingt ans de labeur vont s’ensuivre avant que ne paraisse De l’origine des espèces. Deux décennies au cours desquelles Darwin « écrit à des correspondants du monde entier, les questionne, leur demande des statistiques, se renseigne sur la systématique des espèces qu’il observe et en tient compte pour ses interprétations. Comme s’il concevait déjà que le principe selon lequel les espèces dérivent d’ancêtres communs devait être utilisé pour étudier l’acquisition des adaptations, comme on le fait aujourd’hui », dit Michel Veuille, du laboratoire « Génomique des populations et génomique évolutive » 3. Alors que de nombreux exégètes de Darwin font de 1859 le temps zéro d’un évènement scientifique hissant la biologie au rang de science historique, l’épistémologue André Pichot, en poste au Laboratoire de philosophie et d’histoire des sciences-Archives Henri Poincaré 4, minimise l’importance de Darwin dans l’histoire des sciences. Selon lui, « le darwinisme de 1859 ne consiste guère qu’en la sélection naturelle. Or, celle-ci n’était plus vraiment une nouveauté au milieu du XIX e siècle. On trouve par exemple ce concept en 1813 chez William Charles Wells En septembre 1835, Darwin a l’occasion de croiser des tortues géantes de terre et de mer dans l’archipel volcanique des Galapagos, au niveau de l’équateur. Jean-Baptiste de Monet, chevalier de Lamarck, contribua à introduire l’idée d’évolution dans la pensée scientifique du début du XIX e siècle. La filiation intellectuelle qui le lie à Darwin semble une évidence. puis, en 1831, chez Patrick Matthew, qui accusera Darwin de plagiat. On sait aussi qu’Alfred Russel Wallace en avait conçu une version comparable à celle de Darwin en même temps que celui-ci. Sans oublier le pasteur, géologue et politologue Joseph Townsend, dont Darwin a quasiment recopié les thèses en ce domaine ». En fait, poursuit André Pichot, l’idée de sélection était déjà plus ou moins dans l’air du temps. Et si elle a fait le succès de Darwin, c’est que le moment était propice. « La seconde moitié du XIX e siècle a vu le triomphe du libéralisme économique 5, et Darwin a apporté à celui-ci un argument de poids en lui donnant un fondement naturel. » Une interprétation qui fait bondir les aficionados du grand Charles. « L’idée novatrice de Darwin, plus que la sélection naturelle, c’est la descendance avec modification, le fait que les espèces ont une histoire et sont apparentées, intervient Hervé Le Guyader. La désormais célèbre réunion organisée en juin 1860 à Oxford par l’évêque Samuel Wilberforce porte d’ailleurs sur ce point. Wilberforce, apostrophant le darwinien Thomas Huxley, lui demande si c’est « par son grand-père ou par sa grand-mère qu’[il] descend du singe » et s’attire cette réponse non moins célèbre : mieux vaut un singe qu’un imbécile… » Iles Galapagos (16 sept. - 20 oct. 1835) Tahiti Callao Le voyage autour du monde qu’effectua Darwin à bord du Beagle dura cinq ans, de décembre 1831 à octobre 1836. LE VOYAGE Valparaiso (23 juil. 1834) Bahia Montevideo Port Désiré Îles
Plymouth départ : 27 déc. 1831 retour : 2 oct. 1836 Archipel des Açores Rio de Janeiro (4 avril - 5 juil. 1832) DE DARWIN Îles du Cap Vert Malouines (mars 1833 - mars 1834) Cap de Bonne-Espérance Îles Cocos Île Maurice Île de la Réunion (29 avril - 9 mai 1836) King George's Sound LA GÉNÉTIQUE EN RENFORT Si la théorie de Darwin bouleverse la vision chrétienne traditionnelle du monde, elle souffre d’un lourd handicap : les causes et les lois de l’hérédité, ainsi que la véritable nature de son support matériel, sont encore inconnues. Tout en soutenant que la sélection naturelle est le mécanisme principal de l’évolution, il pense aussi que les caractères acquis au cours de l’existence peuvent se transmettre à la descendance. Pourtant, les contre-exemples sont faciles à trouver : ainsi, un mari devenu cul-de-jatte donne à sa femme des enfants dotés de deux jambes… « La théorie darwinienne de la sélection naturelle connaît une « éclipse » à partir de la mort de Darwin en 1882, intervient Michel Veuille. Après la redécouverte des lois de Mendel sur la transmission héréditaire 6 en 1900, une science nouvelle, la « génétique des populations », va retrouver toute l’importance de la notion de « sélection naturelle ». Les modèles mathématiques 7 proposés par Fisher, Haldane et Wright reçoivent la reconnaissance de la communauté scientifique en 1932. Ensuite seulement, des expérimentateurs feront de la génétique des populations naturelles une discipline « de terrain » ». Les années 1940 à 1970, quant à elles, vont assister au mariage de la génétique des populations avec la zoologie, la botanique et la paléontologie, qui se regardaient jusqu’ici en chiens de faïence, et à la naissance de la « théorie synthétique de l’évolution ». Ses promoteurs, explique Guillaume Lecointre, « cherchent à décortiquer les mécanismes engendrant la biodiversité en partant des mécanismes décrits par la génétique des populations et en intégrant les savoirs des naturalistes sur les variations naturelles géographiques au sein des espèces et sur la spéciation 8 ». LA POSTÉRITÉ Autre aménagement apporté à la théorie de l’évolution : le modèle dit « neutraliste », du généticien japonais Motoo Kimura. « Selon ce chercheur, dit Michel Veuille, la plupart des changements observés entre le génome des diverses espèces ne s’expliquent pas par la sélection naturelle, dont il admet cependant l’existence, mais par le hasard, qui modifie insensiblement la fréquence des variations d’une génération à l’autre. » Aux cours des dernières décennies, de nombreux autres chercheurs ont apporté de l’eau au moulin de la théorie synthétique de l’évolution et l’ont affinée. À commencer par les paléontologues Stephen Jay Gould et Hobart Poissons, lézards, iguanes… : Darwin décrit l’histoire naturelle « éminemment curieuse » de la faune peuplant les îles Galapagos. Sydney (janvier 1836) Baie des Îles Source : Darwin et la science de l’évolution, P.Tort, Découvertes Gallimard, 2000 L’ENQUÊTE 21 Lors de son escale aux Galapagos, Darwin s’attache à l’étude d’un groupe de moineaux qui deviendront célèbres sous le nom de « pinsons de Darwin ». Niles Eldredge. Leur nouveau modèle, l’ « évolution à équilibres ponctués », montre que la transformation des espèces s’opère par à-coups entrecoupés de longues plages de stagnation, souvent en réponse à des changements dans l’environnement. Pendant la phase « explosive », une petite population de « marginaux » s’isole de sa population souche en occupant un nouvel environnement. Après avoir prospéré, elle étend son territoire et remplace (éventuellement…) la population souche de départ par compétition interspécifique, comme chez les trilobites (des arthropodes marins) de l’ère primaire. « Ainsi interprète-t-on pourquoi, dans une série sédimentaire continue, une espèce stable durant plusieurs millions d’années se trouve brusquement supplantée par une autre espèce qui lui est apparentée », commente Guillaume Lecointre. Associé, cette fois, à Richard Lewontin, Stephen Jay Gould corrige par la suite la vision trop « panglossienne » 9 de la théorie synthétique. Gould et Lewontin font observer que « des variants désavantagés continuent d’apparaître en permanence, et amènent les évolutionnistes à relativiser leur impression d’ « une nature bien faite », précise Guillaume Lecointre. D’autre part, ils mettent en évidence que certaines structures qui paraissent handicapantes (tel l’accouchement par le clitoris chez les hyènes tachetées, qui provoque le décès d’une partie des nouveau-nés) sont en fait liées biologiquement à d’autres structures qui fournissent des avantages déterminants (comme l’agressivité des femelles), d’où leur maintien ». Autre étape-clé dans la sophistication continue de la théorie synthétique : la méthode mise au point dans les années 1950 par l’entomologiste allemand Willi Hennig pour reconstituer l’histoire évolutive des espèces, c’està-dire identifier leurs degrés de parenté et construire l’arbre de la vie, et ses applications informatisées dès les années 1970. Ce remaniement complet de la systématique (la science des classifications des organismes), couplée plus tard avec le séquençage massif des génomes, va permettre de « mettre sur le > Le journal du CNRS n°227 décembre 2008 © Infographie : C. Hein pour le Journal du CNRS, et The Bridgeman Art Library ; The Granger Collection NYC/Rue des Archives



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