16 PAROLED’EXPERT D’ici à 2010, l’Union souhaiterait achever la mise en place d’une politique d’asile européenne. Pour cela, les Vingt-sept multiplient les démarches : conférence européenne sur l’asile en septembre, adoption du Pacte européen sur l’immigration et l’asile en octobre, etc. Aujourd’hui, pourtant, de fortes disparités demeurent entre les États membres dans l’octroi de la protection aux réfugiés et dans les formes qu’elle revêt… Catherine Gousseff : … En effet, depuis le programme de La Haye en 2004, l’Union s’est fixé comme objectif de bâtir une Europe de l’asile. Or, face à la diversité des traditions institutionnelles nationales, il est très difficile d’envisager une unification politique. Chacun des États a ainsi inséré le traitement institutionnel des réfugiés dans son propre système d’administration des étrangers. Par ailleurs, en raison de la configuration géopolitique et historique de l’Europe, chaque État est confronté, dans ses sollicitations d’asile, à des réalités dominantes très variées. Pendant les guerres de Yougoslavie, par exemple, l’Allemagne a accepté d’accueillir un très grand nombre de réfugiés, tout en soulignant d’emblée le caractère temporaire de cet accueil. Cette mesure a pris fin au terme du conflit. Pourtant, il existe un texte de référence en matière de droit d’asile : la Convention de Genève de 1951. Son cadre juridique est-il encore adapté à l’explosion du nombre des demandeurs d’asile de ces trente dernières années ? C.G. : La Convention de Genève est le premier grand texte international à définir le réfugié par référence à une persécution politique, religieuse ou liée à l’appartenance à un groupe social stigmatisé. Mais elle est souvent dénoncée par les uns pour l’interprétation trop large qui peut être faite du réfugié, Le journal du CNRS n°227 décembre 2008 Catherine Gousseff 1, historienne et chargée de recherche au CNRS Quel droit d’asile pour l’Europe ? et par les autres pour son cadre trop restrictif qui ne permet pas, par exemple, de prendre en considération le réfugié humanitaire, victime des cataclysmes naturels. Ce texte est contraignant dans la mesure où, notamment, le demandeur d’asile doit démontrer qu’il est personnellement visé par une persécution, fait difficile à prouver pour tous ceux qui fuient la guerre, par exemple. Malgré ses imperfections, ce texte a le mérite d’exister et de donner une définition juridique commune du réfugié. « Le droit d’asile est sacrifié au nom de la nécessité proclamée d’une « maîtrise » sélective de l’immigration. » Depuis quelque temps, l’harmonisation se fait dans le sens du durcissement. Les politiques d’accueil sont de plus en plus restrictives, et l’accueil des réfugiés se déplace vers les pays pauvres. L’élargissement de l’espace Schengen 2 à des pays comme la Roumanie, souvent considérés comme poreux, peut-il être l’une des raisons de cette évolution ? C.G. : Des pays intégrés depuis plus de vingt ans dans la communauté européenne, comme la Grèce ou l’Espagne, ont été régulièrement montrés du doigt pour leur manque de vigilance dans le contrôle des étrangers. À l’inverse, plusieurs nouveaux pays entrants, telle la République tchèque, se sont montrés rapidement déterminés à harmoniser leur politique dans le sens du durcissement. Je ne suis donc pas convaincue que l’élargissement joue un rôle si décisif dans cette évolution. Celle-ci s’explique davantage par la radicalisation et la généralisation de la préoccupation sécuritaire des politiques, qui se traduit par la construction de la forteresse Europe pour parer l’immigration. Le droit d’asile est-il menacé ? C.G. : L’asile est de plus en plus sacrifié au nom de la nécessité proclamée d’une « maîtrise » sélective de l’immigration. A priori, le réfugié est le seul étranger à pouvoir prétendre « légitimement » passer une frontière clandestinement, à être sans papiers, ayant perdu la protection de son État d’appartenance. Mais il est, de facto, de plus en plus assimilé aux immigrants illégaux qu’il s’agit de poursuivre… Le drame actuel réside principalement dans les changements de procédures et de pratiques de la demande d’asile aux frontières, notamment aéroportuaires, au cours de la dernière décennie. Le caractère souvent expéditif de l’examen des demandes, le raccourcissement des délais de recevabilité, l’absence ou la carence de traducteurs et d’avocats mettent en péril l’accès même au droit d’asile. C’est donc moins le droit en tant que tel qui est menacé que l’accès à ce droit d’asile. Quelle serait la conception idéale d’un droit d’asile commun à l’Union européenne ? C.G. : Parler d’idéal n’est pas vraiment de mise dans la période actuelle… Si on parle du droit d’asile, on peut dire qu’il en existe un, commun aux Vingt-sept, basé sur la validité de la Convention de Genève. Aujourd’hui, il faut que ce droit existe au-delà des textes et qu’il s’impose dans la réalité. Il devrait permettre à tous les demandeurs d’asile d’avoir les mêmes chances pour accéder à une protection équivalente dans tous les pays de l’Union. Propos recueillis par Géraldine Véron 1. Juge assesseur du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies, à la Commission de recours des réfugiés (2000-2005). 2. Cet espace est constitué d’états membres de l’UE pour la plupart – entre lesquels la libre circulation des personnes est autorisée et les contrôles des voyageurs sont harmonisés. CONTACT ➔ Catherine Gousseff Centre Marc Bloch, Berlin gousseff@ehess.fr |