10 © A. NelLMuséum National d’Histoire Naturelle VIEDESLABOS Actualités CHIMIE Paris sous les tropiques Le journal du CNRS n°227 décembre 2008 Imaginez : notre capitale à l’ombre d’une luxuriante forêt tropicale… Surprenant, mais probablement vrai il y a 55 millions d’années ! C’est à cette conclusion qu’a abouti Akino Jossang, chercheuse au laboratoire « Chimie et biochimie des substances naturelles » 1, à Paris, en se penchant sur les échantillons d’un gisement d’ambre découvert en 1996 dans l’Oise 2. L’ambre ? Cailloux aux reflets or et miel prisés des bijoutiers, mais avant tout gouttes de résine tombées d’arbres voici des millions d’années, puis fossilisées en emprisonnant insectes, fleurs et feuilles du passé. Les gisements les plus connus, car les plus importants, proviennent de conifères ayant poussé à l’emplacement de l’actuelle mer Baltique voici 30 millions d’années. Celui de l’Oise date de 55 millions d’années. Quelles espèces végétales l’ont produit ? L’analyse des échantillons menée par Akino Jossang et son équipe à l’aide de la technique de résonance Les gisements d’ambre trouvés dans l’Oise sont issus d’un probable ancêtre d’arbre amazonien. magnétique nucléaire (RMN) révèle vite une composition différente de celle de la mer Baltique. Les investigations se poursuivent, et une substance pure est finalement isolée. En collaboration avec le Laboratoire de Chimie inorganique et matériaux moléculaires (CIM2) 3, à Paris, la chercheuse découvre qu’il s’agit d’une molécule inédite, dès lors baptisée « quesnoin », du nom du hameau (le Quesnoy) où le gisement a été découvert. Si la substance est sans équivalent aujourd’hui, peut-être peut-on trouver le composé dont elle provient. Bingo ! L’intéressé ne tarde pas à être démasqué : il s’agit de l’acide isoozique, une molécule si ressemblante qu’il n’aura fallu que quelques remaniements atomiques spontanés pour donner la fameuse quesnoin, voici plusieurs millions d’années. Or, les arbres du genre Hymenaea sécrètent justement une résine très riche en acide isoozique. L’équipe se lance donc dans la comparaison chimique (toujours par RMN) de la résine des actuels représentants du genre avec l’ambre de SANTÉ Un espoir pour une grave maladie de l’œil C’est une maladie rare mais très grave : touchant plus de 6000 personnes en France, la neuropathie optique héréditaire de Leber (NOHL) entraîne une perte de la vision souvent irréversible, voire une cécité complète. À ce jour, il n’existe aucun traitement. Marisol Corral-Debrinski et ses collègues, à l’Institut de la vision 1, à Paris, ont pourtant réussi à traiter des animaux souffrant de cette pathologie 2. « Se caractérisant par la mort des cellules de la rétine – les cellules ganglionnaires – et l’atrophie du nerf optique, la NOHL est due, dans 60% des cas, à une anomalie sur un gène appelé ND4. Pour la traiter, nous avons donc pensé à utiliser la thérapie génique, qui consiste à injecter, dans les cellules de l’œil, une version normale de ce gène », précise Marisol Corral-Debrinski, chargée de recherche du CNRS. « En fait, notre stratégie est plus complexe que la thérapie génique classique, testée actuellement pour d’autres maladies, comme la myopathie de Duchenne. Car le gène ND4 ne se trouve pas dans le compartiment de nos cellules qui enferme la plupart de nos gènes, le noyau, mais dans un autre, la mitochondrie, où il est moins aisé de faire entrer des gènes médicaments », poursuit la chercheuse. Et pour cause, la mitochondrie est entourée de deux membranes, et non d’une seule comme le noyau. Les scientifiques y sont tout de même parvenus en utilisant comme transporteur du gène ND4 normal un virus inoffensif, le virus adénoassocié (AAV). Testée sur des rats atteints de l’anomalie génétique responsable de la NOHL, cette thérapie a permis d’éviter la cécité chez les animaux soignés avant l’évolution irréversible de la maladie (avant 14 jours). « Débutés en mars 2006 dans le cadre de la thèse de Sami Ellouze, nos travaux ont été de longue haleine : nous avons d’abord dû générer pas moins de 150 animaux portant le gène ND4 anormal et tester la thérapie sur la moitié d’entre deux », précise la chercheuse. Les biologistes souhaiteraient maintenant tester leur stratégie chez un animal plus proche de l’homme : le singe. « Pour ces travaux, nous l’Oise. L’hypothèse est confirmée : l’un d’eux, Hymenaea oblongifolia, semble bien être le descendant de celui dont provient l’ambre en question. Or, il s’avère que cet arbre ne pousse, de nos jours, qu’en Amazonie. Ce qui porte à croire que Paris était bien, il y a 55 millions d’années, un marécage tropical ! Une hypothèse corroborée par les données sur la tectonique des plaques qui situent notre capitale d’alors à une latitude d’environ 30°N (contre près de 49°aujourd’hui). Lætitia Brunet 1. Laboratoire CNRS/Muséum national d’histoire naturelle. 2. Travaux publiés dans Journal of Organic Chemistry, vol. 73, n°2, p. 412. 3. Laboratoire CNRS/Université Paris-VI. CONTACT ➔ Akino Jossang Laboratoire « Chimie et biochimie des substances naturelles », Paris jossang@mnhn.fr espérons être aidés financièrement par des associations, en particulier l’Association française contre les myopathies, initiatrice du célèbre Téléthon », indique Marisol Corral-Debrinski. Si tout se passe bien, mais pas avant au moins quatre ans, les chercheurs pourront enfin passer à des tests chez des patients. Kheira Bettayeb 1. Lire Le journal du CNRS, n°216-217, janvier-février 2008, p. 33. 2. Résultats publiés dans The American Journal of Human Genetics, septembre 2008. CONTACT ➔ Marisol Corral-Debrinski Institut de la vision, Paris marisol.corral@inserm.fr DR |