38 GUIDE Livres 3 questions à… Bernard Andrieu Toucher, Se soigner par le corps Préf. David Le Breton, éd. Les Belles Lettres, coll. « Médecine et sciences humaines », janvier 2008, 285 p. – 21 € Bernard Andrieu est professeur en épistémologie du corps et des pratiques corporelles, membre du Laboratoire de philosophie d’histoire et des sciences-Archives Henri Poincaré (CNRS/Université Nancy-II). Un événement semble avoir décidé de l’écriture de ce livre consacré à l’étude d’un phénomène social très à la mode depuis une dizaine d’années : les thérapies corporelles… Oui. J’étais au Brésil et découvrais l’image de la canicule : 70000 morts en Europe dont 20000 en France… Comment un tel abandon était-il possible dans une période où le narcissisme corporel occupait autant de temps dans la vie des gens ? Pour moi, la canicule fut le symptôme d’une crise sociale, le révélateur d’un investissement aveugle dans son corps au détriment du corps d’autrui. Cette constatation m’a décidé à plonger dans ces « parcours de santé » et à dresser l’inventaire de toutes ces pratiques corporelles qui semblaient apporter une telle satisfaction égotiste face à la désincarnation et à la virtualisation du lien Le journal du CNRS n°218 mars 2008 social et qui étaient utilisées la plupart du temps, d’ailleurs, sans discernement. Nanosciences La révolution invisible Christian Joachim et Laurence Plévert, éd. Seuil, coll. « Science ouverte », janvier 2008, 192 p. – 18 € Proposé par un chercheur à l’origine de ce que l’on peut appeler la saga des nanosciences, ce petit livre apporte des réponses claires en se frayant un chemin entre marketing médiatico-scientifique et angoisses non maîtrisées. Il rappelle que le champ des nanosciences est plus étroit qu’on ne se plaît à le dire, qu’il ne s’est élargi que pour des raisons de politique intérieure états-unienne et que les enjeux éthiques restent encore très surévalués. Ces pratiques sont-elles une nouveauté ? Non. C’est la qualité du toucher qui est nouvelle. Ces pratiques ne datent pas d’aujourd’hui et ne proviennent pas, comme on le croit, des Américains. Elles ont été inventées en Europe à partir de 1850 par des gens comme Moreno, Reich, Gindler… qui, réfugiés aux États-Unis face à l’antisémitisme, ont formé des écoles de thérapies corporelles, et c’est par leurs disciples qu’elles nous sont revenues dans les années 1970 lors de la « libération du corps » (libération sexuelle, drogue, engouement pour l’Orient, body-building, aérobic, fitness, relaxation, méthodes Feldenkrais, Pilatès, bioénergie orgastique…). Le corps est devenu alors un objet de toutes les investigations jusqu’à être considéré comme une machine libidinale où seule comptait l’apparence, la beauté extérieure. En revanche, au début des années 1990, à la fois en réaction contre cette mécanisation du corps, contre le dogme psychanalytique de la cure verbale et, sans doute, face à l’hypertechnicité médicale, survient, à travers la diététique, le partage émotionnel et la recherche du contact vrai, ce que Michel Foucault appelle le « souci de soi » : le corps devient une totalité énergétique dans laquelle le sujet s’expérimente par le toucher dans des pratiques en partie hédonistes – s’immerger dans l’eau, être massé par quelqu’un d’autre que soi ou se masser soi-même, anti-gymnastique (tai-chi) – et en partie réellement thérapeutiques – « packing » (enveloppement), aromathérapie, sophrologie, Rolfing, chiropractie, massages énergétiques (shiatsu, massage suédois), médecine ayurvédique, watsu… La société pourrait ainsi être bénéficiaire de cette nouvelle prise de contact avec le corps ? Cela va de soi ! Nous avons d’abord l’évidence heureuse que nous sommes loin de la médecine intrusive du début du XX e siècle qui considérait le toucher comme un mode de violation de l’intimité de la femme et comme une prise de contrôle du corps de l’enfant au nom de principes éducatifs hygiénistes et « chastes » (Kellogg, l’inventeur des céréales, recommandait d’attacher la main des enfants dans leur lit ou interdisait de dormir à plat ventre !). Aujourd’hui, s’offre à nous, grâce à ce nouveau rapport à soi, par un toucher que j’appellerai attentif – même si subsiste pour chaque cas la difficulté de l’évaluation entre croyance et efficacité sur l’auto-santé – toute une gamme de possibilités d’existence positives : nouvelle convivialité dès la petite école, découverte d’une compassion vécue, connaissance approfondie de soi et de l’autre. N’oublions pas que, de la naissance à la mort, le contact d’une peau contre une autre reste l’expérience première. Cette nouvelle forme de toucher qui appelle à un état conscient redonne une sensorialité au monde dont il faut dorénavant « prendre soin ». Propos recueillis par Léa Monteverdi C’est en marchant qu’on devient président La République et ses chefs de l’État, 1848-2007 Nicolas Mariot, éd. Aux lieux d’être, coll. « Mondes contemporains », quatrième trimestre 2007, 362 p. – 24,50 € Parmi les formules et gestes du répertoire public des présidents, la marche avec serrement de mains occupe une place de choix. Par beau temps, sous la pluie, dans le vent, le président « est proche des gens », il « aime le contact simple et direct », il prend un « bain de foule », il devient président… C’est à l’observation de ce phénomène – marcher en serrant des mains pour incarner la fonction présidentielle – que l’auteur se consacre ici, en mettant en évidence les mécanismes d’élaboration de l’image publique des hommes politiques. Une image qui occulte souvent les réalités de la fonction. |