CNRS Le Journal n°218 mars 2008
CNRS Le Journal n°218 mars 2008
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°218 de mars 2008

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 2,8 Mo

  • Dans ce numéro : SIDA, le combat sans répit

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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26 > L’ENQUÊTE Quand le sida fait irruption en 1981 (voir frise p. 24), toutes les conditions sont réunies pour que la maladie devienne une épidémie. En France, comme dans les autres pays développés, le système de santé publique est simplement inexistant. Le sociologue Claude Thiaudière replante le décor : « Avec les succès de la vaccination et de la médecine thérapeutique, la plupart des maladies infectieuses, tuberculose, poliomyélite, etc. ont été éradiquées, et tout ce qui est lié à l’hygiène sociale, laissé à l’abandon, est devenu défectueux. » Dans les hôpitaux, les services des maladies infectieuses ont été marginalisés. Les systèmes de déclaration obligatoire, en vigueur pour les pathologies contagieuses pour recenser les patients, ne sont plus à jour. Il n’y a plus de dispensaires où pratiquer le dépistage. La controverse sur l’origine virale du syndrome, jusqu’au printemps 1983, n’aide pas. « Personne dans le milieu scientifique ne croyait à l’existence de cette maladie qui n’a pas de signes propres mais occasionne au contraire toutes sortes de pathologies différentes », rappelle le chercheur. Plus tard, jusqu’en 1986, les pouvoirs publics français se bornent encore au silence. Pas question d’apparaître « comme les défenseurs d’une cause marginale : la maladie ne concerne que peu de personnes, homosexuels ou toxicomanes, qui appartiennent socialement à des groupes considérés comme « déviants » », analyse le chercheur. Ce sera donc longtemps au milieu associatif seul de porter la politique de santé publique. « Qu’il s’agisse du cancer ou de la myopathie, ce sont toujours des militants qui s’organisent pour lever des fonds et rendre publique une crise que l’État n’institutionalise qu’ensuite », commente le sociologue. Mai 1986 Santé publique : des ratés au démarrage UNE PRÉVENTION À CONSTRUIRE « Et quand l’État se décide à développer une politique de santé publique, elle ne peut se limiter, en l’absence de vaccin contre le VIH ou de traitement Inscription du sida sur la liste des maladies à déclaration obligatoire à l’autorité sanitaire en France. Une commission internationale de nomenclature virologique donne au virus un nom anglais et français: « HIV » ou « VIH ». Juin 1986 Le journal du CNRS n°218 mars 2008 En France, la ministre de la Santé, Michelle Barzach, présente l’épidémie du sida comme une priorité. La maladie sera déclarée grande cause nationale. Novembre 1986 SIDACTION, SOUTIEN À LA RECHERCHE Seule association française de lutte contre le VIH/sida qui finance la recherche, Sidaction lui attribue tous les ans, selon ses statuts, 50% des fonds collectés. L’autre moitié étant dévolue à la prévention et à l’aide aux malades. De la recherche fondamentale à la recherche clinique et aux sciences sociales, l’association a ainsi attribué, au cours de l’année 2007, 45 aides aux équipes et 33 bourses de recherche, sous forme de contrat de travail, L’antiviral AZT (zidovudine) est testé en Europe. Janvier 1987 Première campagne gouvernementale de prévention en France et autorisation de publicité pour les préservatifs. © F. Ancellet/RAPHO/EYEDEA 1988 © Ginies/SIPA Création des centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) en France. pour un montant total de 3,7 millions d’euros. Issue d’un collectif composé d’associations, de chercheurs et de médecins, Sidaction s’est particulièrement impliquée dans le soutien des jeunes chercheurs au sein des organismes d’accueil. Le grand dispositif annuel de collecte aura lieu les 28, 29 et 30 mars sur le thème « égalité des chances ! ».C.Z. ➔ Pour en savoir plus : www.sidaction.org curatif, qu’à de la prévention. Une prévention par « conviction », dépendant du bon vouloir et de l’implication de la population. » Il faut dire que les libertés individuelles ont fait du chemin depuis le temps de la tuberculose, à la fin du XIX e siècle, et des inspections d’hygiène chez les particuliers. Les mesures coercitives, tel le dépistage obligatoire, provoquent de logiques levées de bouclier chez les associations, gaies pour la plupart, rompues aux luttes militantes et d’un niveau socioculturel élevé, auxquelles l’État n’a pas l’habitude de se confronter. Différentes contradictions ralentissent aussi la machine. En France, la première campagne télévisée de prévention en 1987 doit se contenter d’un laconique « Le sida, il ne passera pas par moi », sans expliquer comment se protéger, car la loi de 1920, qui interdit la publicité pour les préservatifs au nom des bonnes mœurs et de la politique de natalité, n’a pas été modifiée assez tôt. Pour réduire les contaminations chez les toxicomanes, le ministre de la Santé doit lutter contre celui de la Justice afin de modifier la loi de 1970 qui interdit la vente libre des seringues. Cette mesure, enfin effective en 1994, a contribué à faire chuter la proportion de toxicomanes chez les séropositifs : probablement un quart au début l’épidémie contre quelques « pour cent » aujourd’hui. Depuis 2003 seulement, les cas de séropositivité sont obligatoirement déclarés à l’administration, un système de cryptage des données garantissant enfin l’anonymat. Aujourd’hui, il y a plus de 350 centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) dans toute la France 1. Plus de 5 millions de tests y ont été réalisés en 2006 mais un quart des séropositifs ignorerait encore être contaminé. Le ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, a promis deux distributeurs de préservatifs par lycée en 2008. L’épidémie semble enfin marquer le pas : les 6700 nouvelles contaminations en France en 2005 sont passées l’année suivante à 6 300. Encore 6 300 de trop. Charline Zeitoun 1. Liste disponible sur : www.sida-info-service.org © A. Duclos/GAMMA/EYEDEA CONTACT ➔ Claude Thiaudière claude.thiaudiere@u-picardie.fr Tronc de collecte. Dès sa création en 1994, l’association Sidaction décide que l’argent des dons ira pour moitié à la recherche. L’événement du jeudi publie un article prouvant que le Centre national de transfusion sanguine a sciemment distribué, entre 1984 et 1985, des produits sanguins dont certains pouvaient être contaminés par le VIH. Des centaines de personnes transfusées ont été contaminées. Avril 1991
Les laissés-pour-compte des trithérapies Signature d’accords touchant au commerce, qui mettent fin au droit des pays du Sud à produire ou importer sous forme de copies génériques les médicaments brevetés au Nord. Avril 1994 Reconnaissance officielle par les Américains de la découverte française du virus. © I. Simon/SIPA Les trithérapies, associant plusieurs molécules antirétrovirales, amènent à une nette amélioration de l’état de santé des malades. 1996 Dans certains pays, on meurt du sida plus que dans d’autres. En Afrique subsaharienne, qui concentre à elle seule 22,5 millions de personnes séropositives, ce sont ainsi 1,6 million de personnes – sur 2,1 millions dans le monde – qui en 2007 ont succombé à la maladie. Faute d’antirétroviraux (ARV). En effet, dans l’ensemble des pays à revenus faibles ou intermédiaires, à peine plus d’une personne séropositive sur quatre qui en a besoin y a accès, selon le rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (lire « Pour en savoir plus », cicontre). Ce n’est évidemment pas encore suffisant, même si cela représente dix fois plus de personnes soignées qu’il y a quatre ans. À l’origine du problème, se trouvent les « Accords sur les droits de propriété intellectuelle touchant au commerce » (ADPIC), signés en 1994. « À ce moment-là, commente Benjamin Coriat, économiste au Centre d’économie de l’Université de Paris Nord (LEII) 1, on a mis fin au droit des pays du Sud à produire ou importer sous forme de copies génériques les médicaments brevetés au Nord ». Désormais, au détriment du droit à la santé, les molécules thérapeutiques sont protégées par des brevets au Sud comme au Nord. Conséquence : comme une trithérapie brevetée coûte environ 14 000 dollars par personne et par an, elle est inaccessible aux malades du Sud. « Heureusement, les pays à revenus intermédiaires comme le Brésil, la Thaïlande, l’Inde, etc., dont les industries ont les moyens de produire les médicaments génériques, ont bénéficié d’un sursis à ces accords jusqu’en 2005 », explique l’économiste. L’Inde gagne alors une première bataille des prix et devient « la pharmacie du Tiers Monde » en produisant une trithérapie générique à 140 dollars par personne et par an. « Mais en 2005, c’est la catastrophe », reprend Benjamin Coriat. « L’Inde, à son tour, tombe sous le coup des ADPIC pour ce qui concerne de nouvelles molécules thérapeutiques. Or, leur besoin se fait maintenant cruellement sentir pour traiter les patients dits de « 2 e ligne », ceux chez lesquels le virus s’est adapté au traitement et a muté. » LE COMMERCE CONTRE LA SANTÉ Aujourd’hui, s’est engagé un bras de fer entre pays du Sud et firmes pharmaceutiques. Cellesci mettent en avant les coûts de recherche (en réalité gonflés par les dépenses marketing selon de nombreux experts) pour justifier leurs brevets. « Mais pour la première fois, des pays ont résisté », se réjouit l’économiste. L’an dernier en effet, l’Inde, le Brésil et la Thaïlande ont utilisé une des dispositions prévues par les ADPIC, le recours à des « licences obligatoires ». Elles permettent aux pouvoirs publics d’un pays de déroger aux ADPIC en cas d’urgence nationale comme une épidémie. « Malgré de très fortes pressions de certains laboratoires et du gouvernement des États-Unis (menaces de retrait de la commercialisation locale de certains médicaments, menaces de fermeture du marché intérieur américain aux exportations…), ces pays ont tenu bon », poursuit le chercheur. Bien sûr, tous ne pourront faire de même et le problème se pose à chaque nouvelle molécule. « Tout cela prouve qu’il faut revenir sur les ADPIC, qui apparaissent comme insoutenables devant l’enjeu majeur qu’est devenue la santé publique. » Et vite. Déjà les groupes pharmaceutiques lorgnent sur En 2005, l’Inde, pharmacie du Tiers Monde, n’a plus le droit de fournir les génériques des nouveaux traitements brevetés au Nord. Onusida lance l’opération « 3 by 5 » destiné à fournir des traitements antisida à 3 millions de personnes des pays du Sud d’ici à 2005. Décembre 2003 © P.-Y. Ginet/RAPHO/EYEDEA © Act Up-Paris L’ENQUÊTE 27 les 6 milliards de dollars collectés par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme 2, arguant que l’argent nécessaire est bien là pour payer les traitements au prix fort. Un raisonnement intenable selon Benjamin Coriat, qui craint de voir l’aide se tarir si les grands donateurs internationaux apprennent que les fonds collectés servent à acheter des molécules à des prix extravagants, alors que les mêmes molécules sont disponibles sous forme de génériques. Pour une prise en charge totale de la maladie dans le monde d’ici à 2010, il faudra, selon l’OMS, réunir 42 milliards de dollars. Charline Zeitoun 1. Centre CNRS/Université Paris-XIII. 2. www.theglobalfund.org/fr Juin 2007 L’accès aux traitements progresse dans les pays du Sud mais reste insuffisant : seul un malade sur quatre peut se soigner. CONTACT ➔ Benjamin Coriat, coriat@club-internet.fr POUR EN SAVOIR PLUS EN LIGNE > Brevets pharmaceutiques, génériques et santé publique. Le cas de l’accès aux traitements antirétroviraux, Benjamin Coriat et Fabienne Orsi, mis en ligne en janvier 2006 : www.economie-publique.fr/document389.html > Enquête ANRS-Vespa, premiers résultats, ANRS actualité novembre 2004 : www.anrs.fr/index.php/anrs/ressourceset_publications/grandes_enquetes > Vers un accès universel, Étendre les interventions prioritaires liées au VIH/SIDA dans le secteur de la santé, OMS, Onusida, Unicef, avril 2007 : www.who.int/hiv/mediacentre/universalaccess_progress_report_fr.pdf À LIRE > Vivre avec le VIH, Enquête de longue durée auprès des personnes infectées, Janine Pierret, éd. Puf, 2006, 232 p. > Sociologie du sida, Claude Thiaudière, éd. La Découverte, 2002, 120 p. © Sidaction 2007 33,2 millions de personnes vivent avec le VIH dans le monde. Début 2008 Des militants du Sidaction Le journal du CNRS n°218 mars 2008



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