POINT DE VUE L’éclat des mathématiques par Mickaël Launay, mathématicien et vidéaste 2 - Sacrées mathématiques ! Je suis à chaque fois épaté par cette faculté qu’ont les mathématiques à s’adapter à mon humeur. À envelopper mes états d’âme. Il y a, je crois, des mathématiques de printemps et des mathématiques d’hiver. De petites énigmes pour les jours où il pleut sur les framboises et de grandes théories pour les nuits claires de Perséides. Cette dualité d’une discipline réputée stricte, rigoureuse, voire froide et sévère, mais à la fois profondément intime et sensible, intensément ancrée dans les humains qui la pratiquent, les mathématiques la cultivent depuis leurs débuts. Si elles sont nées pour être utiles, aux commerçants ou aux administrations, elles ont rapidement débordé du rôle qui leur avait été attribué. Dès l’ancienne Mésopotamie, sont apparues, sur les tablettes d’argile, des procédures gratuites, sans autre but qu’elles-mêmes : on joue à combiner les nombres, à explorer leurs propriétés et à s’en surprendre. Les mathématiques deviennent prétexte à poésie, à philosophie et parfois même, à spiritualité. On attribue des vertus aux nombres, aux carrés magiques ou aux figures symétriques. Sans bien savoir comment, on sent que quelque chose de profond se joue ici. Et aujourd’hui alors ? Qu’est-ce qui nous pousse à faire des mathématiques ? Eh bien ça dépend… ça dépend des jours et ça dépend des gens. Mais si leur charme et leur mystère ont quelque peu changé de Antoine Doyen « Cette dualité d’une discipline réputée stricte, rigoureuse, voire froide et sévère, mais à la fois profondément intime et sensible, intensément ancrée dans les humains qui la pratiquent, les mathématiques la cultivent depuis leurs débuts. » nature, s’ils sont moins mystiques et plus rationnels qu’autrefois, ils n’ont rien perdu de leur éclat. Les mathématiques naviguent sans cesse entre utilité et élégance. Bien entendu, plus que jamais, elles sont utiles. Elles sont outils aux autres sciences qui s’expriment en leur langage et qui, en retour, les nourrissent de nouveaux problèmes. Élégantes aussi. Elles le sont bien sûr, au point de se suffire à elles-mêmes. On explore de nouvelles structures abstraites pour la beauté du geste, par curiosité, ou, pour reprendre les termes de Jean Dieudonné, pour l’honneur de l’esprit humain. Les territoires de l’abstraction ne sont pas moins légitimes que ceux du réel, et quelle différence y a-t-il, finalement, entre la découverte d’un nouveau trou noir aux confins de notre Univers ou celle d’un nouveau théorème aux frontières de notre imagination ? Pourtant, au-delà de leur matière propre, les mathématiques renferment un enseignement qui les dépasse. Comme l’a écrit Terence Tao, « les problèmes mathématiques, ou puzzles, sont importants pour les mathématiques réelles, tout comme les fables, les histoires et les anecdotes sont importantes pour les jeunes dans la compréhension de la vie réelle ». Et c’est peut-être, je crois, l’une de leur plus grande force. Aucun résultat mathématique n’est que lui-même. Chacun porte en lui une promesse supplémentaire, une morale, une aventure à poursuivre… Les mathématiques nous aident à grandir, à suivre un horizon, elles ouvrent des portes, tant sur le monde qu’en nous-mêmes. On ne ressort jamais vraiment indemne d’une nouvelle mathématique. Les voix de la recherche - #70 - Clefs |