Auditoriums > Jacqueline de Romilly, professeur d’humanité(s) De la grande helléniste récemment disparue, on connaît les engagements, au fil d’une vie dédiée à la double passion de la culture grecque et de la transmission. Le président Bruno Racine, qui se souvient avec émotion de sa bienveillance d’examinatrice à l’oral du concours d’entrée de la rue d’Ulm, a souhaité que la BnF rende hommage à cette grande dame de la culture humaniste. Son combat en faveur des lettres anciennes reste plus que jamais actuel. En attendant cet hommage public, il a demandé à Patrick Morantin, chargé de collections en littérature grecque et latine au département Littérature et art de la BnF, de nous confier ses souvenirs. Patrick Morantin : J’ai rencontré Jacqueline de Romilly alors qu’elle était déjà très âgée, pour l’exposition Homère 1. Je garde d’elle ce souvenir de quelqu’un qui se mettait au service des autres, et qui l’a fait jusqu’à son dernier souffle. À sa mort, c’est son côté « première en tout », comblée d’honneurs et de distinctions, qui a été mis en avant. Cela m’a paru en décalage avec sa simplicité et son dépouillement qui m’avaient frappé. Elle était enjouée et pleine d’humour. Elle plaisantait sur elle-même alors qu’elle ne me connaissait pas du tout. Du reste, elle renvoyait une image rassurante de l’élite républicaine, une image de premier de la classe que l’on pouvait aimer non seulement sur le plan intellectuel mais sur le plan humain. 16 – Chroniques de la BnF – n°58 Chroniques : C’était aussi une façon de vous mettre à l’aise, de créer d’emblée un lien avec vous. P.M. : Oui, elle vous donnait confiance par sa bonhomie, sa bienveillance. Il émanait d’elle une noblesse, une dignité, une grande humanité. Nous nous sommes vus chez elle, avec les autres commissaires de l’exposition, dans son appartement parisien. En partant, j’avais l’impression d’emporter un trésor, que quelque chose d’important « Les Grecs nous ont tout appris, et c’est ce que j’essaie de transmettre, ce que c’est que le respect de l’autre, ce que c’est que la démocratie, ce que c’est que l’intelligence. » © Olivier Roller/Fedephoto. Jacqueline de Romilly avait eu lieu. J’ai eu le sentiment d’un lien quasi familial avec elle. C’est quelque chose qu’elle a analysé dans ses livres : en quoi la culture grecque partagée crée une parenté d’esprit et, comme aurait dit René Char, une « commune présence » au monde. P.M. : J’ai d’ailleurs retrouvé dans sa conversation certaines des qualités de l’esprit grec qu’elle avait étudiées tout au long de sa vie et qu’elle avait mises à l’honneur : l’ouverture aux autres, l’aspiration à l’universel, au bien commun. Elle n’aimait pas les positions excessives alors qu’elle était très combattante, et ce sens aigu de la mesure se retrouvait dans son rapport aux textes. Elle aimait les faire parler mais se méfiait des interprétations abusives ; elle qui était si attachée à la valeur éducative des textes grecs, elle récusait la lecture allégorique d’Homère, ce qui la rapprochait du critique Aristarque. On sentait que la littérature grecque était pour elle un vrai chemin de vie. Ce qu’elle donnait, ce n’était pas seulement par les idées qu’elle défendait, mais par quelque chose qui participait de l’être. Ce don avait une dimension spirituelle. Lorsqu’on lui demandait quelles étaient les personnes qui avaient le plus compté dans sa formation, elle citait Jacques Desjardins, un inspecteur général de l’Éducation nationale qui avait coutume de dire : « Vous n’enseignez pas seulement ce que vous savez, vous enseignez ce que vous êtes. » Propos recueillis par Sylvie Lisiecki 1. Exposition à la BnF en 2006-2007. Après-midi d’étude Hommage à Jacqueline de Romilly voir date sur bnf.fr BnF, site François-Mitterrand Grand auditorium – hall Est |