recevable. Et 81-62-87 consacrait ses après-midi d’hiver à attendre nue dans des baignoires glacées, ses soirées à bronzer sur 16cm sous un soleil artificiel et ses matinées à languir, tête enserrée dans une couronne d’épine en plastique, sans pouvoir n’exposer à personne ses expériences de la petite humiliation. S’épargnant l’épreuve des jérémiades entre collègues. Préservant ses amis de ce qu’elle considérait comme des récits idiots. Petit à petit, la jeune fille avait en fait cesser de parler d’elle-même. Bientôt, elle cessait de parler tout court. Tout en continuant à bavarder séries télévisées et marque de cosmétiques pour pallier la discrimination, 81-62-87 ne disait plus rien qui lui importe. Lentement, la jeune femme avait glissé dans un monde de pures apparences, factices et insignifiantes. Absente à elle-même, elle s’était consacrée à devenir une image. Qui — et elle en avait une conscience angoissée — avec l’âge allait s’écailler. Et alors ? Sa profession ne continuait-elle pas d’offrir des occasions de voyages ? Certes, elle et ses concurrentes traversaient deux, trois fois par mois des aéroports. Regard dur, pas assuré. Plusieurs cous alors pivotaient pour suivre leurs jambes étirées. Des dizaines d’yeux zoomaient sur leurs fesses moulées. Elles excitaient les ambitieux et faisaient soupirer les ridées. L’attention donnant l’illusion de l’importance, vers Milan ou Marrakech, elles marchaient le regard fier. Mais qu’un individu, un seul, vienne à les regarder avec lucidité et alors elles redevenaient les petits objets assignés à la résidence de leur image. Des porte-manteaux gonflés de vanité et ne voyageant jamais que d’une armoire à l’autre : des mannequins. La nuit, il arrivait de plus en plus à la femme de visiter des parabole mauvaises et transpirantes. Des biochimistes de Tasmanie ont prouvé que l’état de l’estomac influençait la production de cauchemars : était-ce de ne manger que quelques condiments en guise de dîner et de subir dans son sommeil et la faim et les épices qui provoquait la bile nocturne de 81-62-87 ? Elle rêva qu’elle s’engageait sur le podium d’un défilé à reculons. Elle rêva d’une longue table autour de laquelle ses amis hilares parlaient une langue qu’elle ne comprenait plus. Elle rêva de vêtements qui n’étaient que des os, et d’os qui n’étaient que des vêtements. Mais la plupart du temps elle ne se souvenait pas de ses rêves — cela aussi disparaissait. En fait, jour après jour, quelque chose non plus sur mais cette fois en 81-62 se fissurait. Pareille aux peintures antiques dont les couleurs s’effacent, sous le vernis privées de lumière, son intério- |