ARTE MAG N°24. LE PROGRAMME DU 6 AU 12 JUIN 2020 8 Il était une fois... Tarantino Au pays des contes de fées, Cendrillon retrouvait ses haillons au douzième coup de minuit. Dans le monde du cinéma, c’est à la même heure, un soir de mai 1992, à Cannes, que Quentin Tarantino quitta enfin ses habits de scénariste fauché et d’ancien loueur de VHS pour endosser le costume d’un réalisateur adulé, au terme de la projection triomphale de son premier film, Reservoir Dogs, en séance de minuit. La comparaison entre le cinéaste et l’héroïne de notre enfance peut surprendre, mais tous deux ont un univers en commun, dont ces quelques mots constituent le sésame : « Il était une fois... » L’incipit fameux, qui ouvrait déjà Inglourious Basterds en 2009, donne son titre à son dernier film, Once Upon a Time… in Hollywood. Comme dans tout conte, l’œuvre de « QT » charrie son lot de princesses à sauver, de l’Alabama de True Romance, dont il écrivit le scénario pour Tony Scott, à la Broomhilda de son Django Unchained. À la différence près que ses demoiselles, plus souvent qu’à leur tour, noient leur détresse dans le sang d’un ennemi qu’elles expédient elles-mêmes. Demandez donc à Jackie Brown, à la mariée de Kill Bill ou aux cascadeuses du Boulevard de la mort à quoi pourrait servir le prince charmant, quand elles excellent à dessouder les croquemitaines qui pullulent dans la filmographie cinéphilique de leur créateur ! En un troublant écho à la fiction, c’est d’ailleurs un ogre bien réel qui a permis à la carrière du cinéaste de décoller : le producteur Harvey Weinstein, avec lequel il a rompu après sa retentissante chute. UNIVERS PARALLÈLE Rêvant le cinéma comme peu de réalisateurs avant lui, le démiurge Tarantino a créé depuis bientôt trois décennies un univers parallèle que chacun de ses neuf longs métrages contribue habilement à faire vivre. Ses films dialoguent entre eux par détails cryptiques interposés, Et si, derrière son image de geek rigolard et une filmographie tout entière dédiée aux mille et une façons d’occire son prochain, Quentin Tarantino, conteur de premier ordre, se révélait avant tout un grand romantique ? tenant autant du comique de répétition que de la poésie : fausses marques de cigarettes, généalogies reliant les personnages avec plusieurs siècles d’écart, acteurs récurrents... L’oeuvre forge ainsi une vision performative du cinéma, proclamant que tout ce que montre l’écran est vrai, qu’il s’agisse de l’assassinat d’Hitler par un commando juif (Inglourious Basterds) ou du sauvetage de Sharon Tate (Once Upon a Time...). En talentueux hypnotiseur, en chef de bande charismatique capable de s’attacher la fidélité de ses collaborateurs pour la vie, ou en braqueur assumant de piller les cinéastes qu’il admire, Tarantino a réussi à se fondre intégralement dans ses fantasmes. C’est pourquoi on peut le voir danser en même temps que ses acteurs sur ses tournages, ou pousser entre chaque prise son cri de guerre devenu signature : « Because we love making movies ! » Augustin Faure Dimanche 7 juin à 20.55 Film Les 8 salopards Suivi du documentaire QT8 : Tarantino en 8 films Lire pages 14 et 15 5/6 11/6 MATHIEU ZAZZO/PASCO |