ARTE MAG N°18. LE PROGRAMME DU 25 AVRIL AU 1 ER MAI 2020 6 Avec Le temps des ouvriers, fresque virtuose et polyphonique en quatre épisodes, Stan Neumanndéroule sur plus de trois siècles l’histoire ouvrière européenne pour en faire résonner la troublante actualité. Un tour de force aussi riche de questions que d’enseignements. Prolétaires de tous les temps... Stan NeumannEst-ce parce qu’elle est derrière nous que vous avez voulu retracer aujourd’hui l’histoire du monde ouvrier ? Stan Neumann : La classe ouvrière a-t-elle disparu ? Tout le monde se pose la question, personne n’a la réponse. C’est en partie pour cela que j’ai eu le désir de découvrir ce que cette histoire pouvait nous apprendre et en quoi elle pouvait nous surprendre. Je voulais renouveler le regard convenu que l’on porte sur elle et retrouver ce qu’elle a de vivant, mais je ne m’attendais pas à y trouver des échos aussi forts de la réalité contemporaine. L’exploitation, en tout cas, n’a pas disparu ; sans doute est-ce la conscience collective que l’on en a qui a reculé, et par là, les moyens de la combattre. Statistiquement, en France, les ouvriers composent toujours un cinquième de la population active. Mais la nature du travail a changé. L’atomisation, l’individualisation ont détruit les anciennes solidarités, l’ancienne culture ouvrière ; du moins ses aspects les plus visibles, car elle continue d’irriguer souterrainement notre conception du « vivre-ensemble ». Pourquoi était-il important de raconter le « temps des ouvriers » à la fois au passé et au présent ? Pour « réveiller » le passé, j’ai choisi de le confronter à des témoignages et des situations actuels, comme autant de chocs temporels. Cela remet en cause l’apparente continuité de la narration historique pour souligner combien cette histoire fait sens dans notre présent. Par exemple, quel électeur d’aujourd’hui se souvient que la première revendication des ouvriers anglais à la fin du XVIII e siècle a été le suffrage universel ? Par ailleurs, la question de savoir qui contrôle le temps, et qui le subit, est consubstantielle à la condition ouvrière, et cela aussi résonne de façon évidente pour chacun aujourd’hui. Pour autant, j’ai tout fait pour éviter de prendre le passé en otage d’un discours sur le présent. Chaque moment historique est unique. Comment avez-vous abordé l’immensité de votre sujet ? Parce que je m’aventurais sur un terrain déjà énormément travaillé, et par l’histoire, et par le cinéma, il fallait concilier ce double mouvement de découverte et de relecture. Je n’ai cessé de lutter contre les clichés, mais aussi contre la dimension nostalgique et mythique de cette histoire, sans pour autant l’évacuer. Pour cela, j’ai rencontré une dizaine d’historiennes et d’historiens à travers toute l’Europe, avec chacun leur sensibilité, leur approche singulière. J’ai aussi essayé de donner une grande place à des points de vue nouveaux, LES FILMS D’ICI |