ARTE MAG N°16. LE PROGRAMME DU 11 AU 17 AVRIL 2020. 8 Le critique de cinéma Michel Ciment est l’un des rares journalistes en qui Stanley Kubrick avait confiance. Ses entretiens avec le cinéaste constituent le fil directeur de l’envoûtant documentaire de Gregory Monro. Interview. Le frisson Kubrick Dimanche 12 avril à 20.55 Film Barry Lyndon Suivi du documentaire Kubrick par Kubrick 5/4 10/6 Lire page 14 I Michel Ciment Sur combien d’années s’est déroulé votre dialogue avec Stanley Kubrick ? Michel Ciment : Il a débuté en 1971 et s’est achevé à sa mort en 1999. Au départ, il m’a choisi, avec deux autres journalistes, pour venir à Londres l’interviewer sur Orange mécanique. On lui avait traduit un long article paru dans Positif, à la sortie de 2001 : l’odyssée de l’espace, en 1968, où je m’efforçais de montrer l’unité de son œuvre. À l’époque, la critique était hostile à Stanley Kubrick car la diversité de ses films la déroutait. Peut-être que ce texte a joué, c’est une supposition. Quand Kubrick accordait un entretien, il fallait lui en envoyer la transcription et il faisait tout retraduire en anglais. Il a peut-être apprécié mon professionnalisme et mon respect de ses propos, car ensuite, il a accepté de me recevoir pour Barry Lyndon. C’est le seul entretien au monde qui existe sur ce film, sans doute parce que son échec aux États-Unis avait ébranlé Kubrick. On s’est revu pour Shining, puis une dernière fois pour Full Metal Jacket en 1987. Entre deux interviews, il m’appelait pour me demander des renseignements sur un technicien ou un film, car il aimait découvrir de jeunes cinéastes. Je ne l’ai pas interviewé sur Eyes Wide Shut, car quatre jours après avoir montré le film aux patrons de la Warner et aux acteurs, Tom Cruise et Nicole Kidman, il est mort, ce qui m’a bouleversé. Comment se passaient vos rencontres ? Les entretiens avaient lieu dans une auberge ou les studios mais le dernier s’est déroulé – une marque de confiance – dans son immense cuisine. Il vivait dans un manoir de quatre-vingts pièces, dont trente étaient dédiées au cinéma. C’était un homme, je ne dirais pas chaleureux, mais ouvert, précis et loquace dans ses réponses, souhaitant vous donner satisfaction. Ce n’était pas un boute-en-train comme Billy Wilder mais il avait un grand sens de l’humour, qu’on retrouve dans ses films. Face à lui, je ressentais le frisson de recueillir des propos rares, d’avoir une exclusivité, un privilège. Il ne fallait pas que le magnétophone tombe en panne ou que je bafouille ! J’avais une heure pour parler avec lui. Je ne devais pas passer à côté car il détestait les interviews. Dès qu’il avait l’occasion de vous poser des questions, il le faisait pour éviter de répondre aux vôtres. Il craignait de diminuer l’intérêt de ses films en parlant d’eux, un peu comme si Léonard de BRIDGEMAN IMAGES |