ARTE MAG N°7. LE PROGRAMME DU 8 AU 14 FÉVRIER 2020 8 Dimanche 9 février à 22.55 Documentaire KarlLagerfeld, une icône hors norme Lire page 15 30/7/2023 re ily - - Raphaëlle Bacqué Quel héritage laisse KarlLagerfeld ? Raphaëlle Bacqué : Il lui reste des fidèles, des admirateurs et le fait d’avoir accompagné et parfois initié les bouleversements de l’industrie du luxe. En tant que créateur, il n’a rien inventé. Il n’a pas créé la mini-jupe ou, comme Yves Saint Laurent, la robe Mondrian ou le smoking pour femme. Mais il a développé l’idée que, dans la mode, les directeurs artistiques ont pris la place des couturiers. Et puis, son personnage, génial et extraordinairement romanesque, restera dans les mémoires. Un personnage qu’il s’est luimême créé au fil du temps. Pour quelle raison ? Ce n’est pas rien de naître à Hambourg, en 1933, juste au moment de l’avènement d’Hitler. Son père y est un industriel puissant que la guerre ne détourne pas de ses affaires. Pire, il les développe, fournissant l’armée allemande en lait concentré. Cette honte nourrit, au départ, Grand reporter au Monde et auteure de la première biographie* consacrée au « Kaiser Karl », Raphaëlle Bacqué intervient dans le portrait documentaire qu’ARTE diffuse en hommage au grand couturier, disparu il y a un an. Entretien. Le dernier empereur de la mode la volonté forcenée de Lagerfeld de réinventer sa vie. Il ment sur son âge, sur la nationalité de son père, change sa mère en un personnage terrifiant et castrateur. Il offre une autobiographie fictive, narrée avec talent et humour, empêchant ainsi tout questionnement sur l’action de son père face au nazisme. Il s’est créé aussi un look particulier… Plus qu’un look, c’était d’abord un déguisement : cheveux gris en catogan, lunettes noires, haut col. Il s’est d’ailleurs déguisé tout au long de sa vie, avec un éventail, un monocle… Il était sa propre poupée. Son personnage d’aristocrate prussien du XVIII e siècle, à l’époque des Lumières, permet de brouiller les pistes et d’offrir d’autres références historiques que celle, honteuse, associée au passé nazi de l’Allemagne. C’est devenu ensuite un formidable outil de communication. Lagerfeld a fait de sa silhouette un logo mondialisé. Même les enfants la reconnaissent. Justement, à quoi doit-il ce statut d’icône mondiale ? À sa volonté farouche de le devenir. C’était une obsession de chaque instant et il s’y est attelé dès son arrivée à Paris, en travailleur acharné. Son entrée chez Chanel, en 1982, marque indéniablement un tournant. Il intègre enfin un groupe riche qui lui laisse les mains libres et la possibilité de faire ce en quoi il excelle : des collections « à la manière de ». Gabrielle Chanel avait inventé le célèbre tailleur gansé. Il l’a modernisé. Il a su comprendre le changement et se couler dans la réussite des autres. Mais le plus extraordinaire est d’être parvenu à maîtriser cette industrie, au point de se maintenir à son sommet jusqu’à l’âge de 85 ans, dans un monde qui voue, pourtant, un culte à la jeunesse. Propos recueillis par Guillemette Hervé * Kaiser Karl, Albin Michel, 2019. FRÉDÉRIC SOULOY/GAMMA-RAPHO/SAMUEL KIRSZENBAUM |