ARTE MAG N°21. LE PROGRAMME DU 18 AU 24 MAI 2019 8 « Je répète souvent que je suis un DJ raté qui s’est reconverti dans le cinéma. J’ai merdé dans ma vie. J’ai traîné, j’ai perdu du temps. » De la part d’un homme pesant cinq Oscars pour six longs métrages, cet autoportrait peut surprendre par sa sévérité. Pourtant, il exprime bien l’extrême exigence couplée à une mauvaise conscience chevillée au corps (« Je suis catholique, ne l’oubliez jamais ») qui anime AlejandroGonzález Iñárritu depuis son apparition fracassante sur la scène du cinéma d’auteur en 2000, avec Amours chiennes. Dès lors, force est de constater que ce temps supposément perdu a été largement rattrapé. L’une des plus grandes réussites de ce natif de Mexico est d’être devenu le troisième cinéaste de l’histoire – après les géants John Ford et JosephL. Mankiewicz ! – à remporter l’Oscar du meilleur réalisateur deux années consécutives, en 2015 pour Birdman, et en 2016, quelques mois avant l’élection de Donald Trump, pour The Revenant. Un honneur hautement symbolique pour le premier des trois mariachis d’Hollywood, ce groupe de cinéastes mexicains oscarisés qu’il compose avec ses amis et confrères Guillermo Del Toro et Alfonso Cuarón. LA TRAVERSÉE DE LA FRONTIÈRE Exilé involontaire suite aux agressions dont furent victimes ses deux parents dans son pays natal, Iñárritu affirme jouir aujourd’hui d’une « liberté artistique conquise avec les dents, dans un pays où [ses] compatriotes ne sont pas les bienvenus ». De même, bien qu’adoubé, il s’est toujours méfié du culte du succès à l’américaine, se rappelant une leçon paternelle : « Si tu rencontres le succès, goûte-le et recrache-le tout de suite après. C’est du poison. » Il n’en reste pas moins l’un des réalisateurs les plus influents d’Hollywood, courtisé par les studios comme par les plus grandes stars, pour sa capacité à révéler les acteurs (Gael Alors qu’il s’apprête à présider le jury du 72 e Festival de Cannes, en apothéose d’une carrière exemplaire, retour sur le parcours d’un cinéaste profondément marqué par ses racines mexicaines, dont ARTE diffuse le film Babel. AlejandroGonzález Iñárritu L’ét ranger García Bernal dans Amours chiennes), les ressusciter (Michael Keaton dans Birdman) ou les magnifier (Leonardo DiCaprio, oscarisé pour The Revenant, et Javier Bardem, prix d’interprétation à Cannes pour Biutiful). Arrivé au sommet de son art après des années à chercher sa place, il analyse avec un fatalisme teinté d’une certaine fierté sa traversée de la frontière : « Un Mexicain n’a aucun besoin d’aller à Hollywood vendre son âme au diable, il a largement de quoi la perdre chez lui. […] Quand vous avez survécu à ce pays, vous pouvez survivre à tout. » Augustin Faure Dimanche 19 mai à 20.55 Film Babel Lire page 14 OLMOS ANTONIO/EVELYNE/ABACA |