ARTE MAG N°50. LE PROGRAMME DU 8 AU 14 DÉCEMBRE 2018 10 La paix en partage Le 5 octobre 2018, le prix Nobel de la paix a récompensé deux personnalités pour leur vigoureux combat contre les violences sexuelles utilisées comme armes de guerre : un médecin qui, depuis trente ans, « répare » les victimes de viols, et une femme yézidie martyrisée par Daech, qui témoigne des horreurs subies par son peuple. Portraits de Denis Mukwege et Nadia Murad. Denis Mukwege Si l’expression « arme de destruction massive » a, depuis l’invasion de l’Irak en 2003, été entachée d’une suspicion tenace sur la légitimité de son utilisation, cet homme a, bien malgré lui, su rendre à ce terme sa terrible signification. À chacune des tribunes qui lui sont offertes depuis plus de dix ans, le docteur Denis Mukwege n’a de cesse de dénoncer sous ce terme les viols de guerre systématisés et planifiés dans la région des Grands Lacs africains, entre Rwanda, Burundi et son Congo natal. Face à cette « stratégie bon marché mais terriblement efficace » de destruction des familles, des communautés, et donc, de tout un peuple, ce gynécologue s’est donné pour mission de « réparer » les victimes de ces atrocités « auxquelles aucun chirurgien ne s’habitue ». Un sacerdoce né de la constatation, à l’orée des années 1990, de l’absence de médecin dans sa province instable du Kivu, où il s’installe immédiatement après l’obtention de son diplôme en France. Il y fonde l’hôpital de Panzi, où il a survécu au massacre par l’armée congolaise d’une partie de ses patients et de son équipe en 1996. C’est à Panzi que sa réputation grandit, tant parmi les victimes, qui l’adulent, que chez ses puissants ennemis, qui tenteront de l’assassiner en 2012 devant son domicile. Le chirurgien ne doit la vie qu’à son gardien, tué pour s’être interposé, et à ses voisins qui ont mis en fuite les miliciens. Ce sauvetage miraculeux l’oblige à un court exil en Belgique, avant un retour triomphal sur ses terres, après la mobilisation des femmes de la région. Aujourd’hui protégé dans son activité par une escorte des Nations unies, ce fils de pasteur évangélique, devenu médecin pour compléter l’assistance spirituelle qu’apportait son père aux populations, n’abandonne cette zone de guerre que pour recevoir les distinctions internationales les plus prestigieuses, telles que le prix Sakharov en 2014, préfigurant le Nobel de la paix 2018, et s’en servir de porte-voix pour livrer des témoignages vibrants d’humanité et d’une colère jamais tarie. THIERRY MICHEL |