ARTE MAG N°34. LE PROGRAMME DU 18 AU 24 AOÛT 2018 8 Dirk van den Berg retrace une révolte islamiste menée en 1979 au cœur des lieux saints et réprimée avec l’aide occidentale. Un point aveugle de l’histoire, explique l’anthropologue Pascal Menoret *. Pascal Menoret Mardi 21 août à 22.45 Documentaire Le siège de La Mecque Lire page 19 La Mecque, 1979 Le massacre oublié Secrets « En novembre 1979, plusieurs centaines d’insurgés, qui dénoncent la corruption du régime saoudien et son alliance avec l’Occident, occupent pendant deux semaines la Grande Mosquée de La Mecque, avant d’être tués ou exécutés. Si leur histoire est fascinante, c’est qu’elle est à la fois spectaculaire et mystérieuse. Entre autres zones d’ombre, le bilan reste inconnu : on parle de 4 000 à 5 000 morts, en majorité des rebelles et des pèlerins, mais aussi des soldats saoudiens : une hécatombe perpétrée dans le cœur symbolique du monde musulman avec le soutien occidental, et pourtant oubliée. D’abord parce que la monarchie saoudienne, au moins au début, impose un black-out total sur l’événement. Ensuite parce que les Français, qui lui apportent un soutien décisif, en fournissant notamment du gaz lacrymogène qui servira d’arme chimique létale, ont aussi intérêt à garder le secret. Enfin, parce que la révolution iranienne, survenue au tournant de l’année 1979, a éclipsé le reste dans l’actualité de la région. » Tragédie « Comme une majorité de ses disciples, Juhayman al-Otaibi, le chef des insurgés, est un Bédouin saoudien. Il appartient à une population sédentarisée de force et marginalisée depuis au moins trois décennies. Avec un message apocalyptique, les rebelles occupent ce qui est aussi le centre symbolique du pays et sont massacrés sans appel. Cette dimension tragique constitue un autre élément de fascination. Oussama ben Laden présentera l’événement dans ses discours comme une tuerie impérialiste et l’invoquera, entre autres, comme justification du 11-Septembre. En dehors de cela, Juhayman n’a pas laissé d’héritage idéologique. Qu’il ait choisi l’action directe pour combattre le pouvoir saoudien n’en fait pas pour autant un précurseur d’Al-Qaida ou de Daech. » Fermeture « Une fois les rebelles exécutés, toute allusion à l’événement est proscrite. Après 1979, le pouvoir saoudien va donner un tour de vis supplémentaire, imposant à la société une islamisation autoritaire, par le haut, pensant ainsi désamorcer de futures révoltes. Ce qui trahit une forme de naïveté, car ce sont des revendications sociales et politiques, au moins autant que religieuses, qui ont porté le mouvement. En parallèle, la répression s’intensifie contre toute forme d’opposition, notamment islamiste. Le film de Dirk van den Berg donne un accès assez exceptionnel à l’un des pays les plus fermés au monde. Le régime contrôle étroitement son image, ne délivre aux journalistes que des visas de courte durée et réprime impitoyablement l’expression des Saoudiens. » Propos recueillis par Irène Berelowitch * Spécialiste de l’Arabie saoudite, Pascal Menoret, qui intervient dans le documentaire, lui a consacré plusieurs livres, dont Royaume d’asphalte, le dernier en date (2016, La Découverte). K2-OUTREMERFILM |