ARTE MAG N°33. LE PROGRAMME DU 11 AU 17 AOÛT 2018 6 À la tête du groupe Blondie, dans le New York punk des années 1970, Debbie Harry a ouvert la voie aux « girls band » et renversé le cours machiste de l’histoire du rock. Debbie Harry Rocking Queen Vendredi 17 août à 22.35 Debbie Harry Atomic Blondie Lire page 21 La presse américaine l’a qualifiée de « Marilyn Monroe du punk rock ». Au printemps 1977, lorsque David Bowie et Iggy Pop l’invitent avec son groupe, Blondie, en première partie de la tournée américaine qu’ils effectuent pour l’album The Idiot, les deux rockers ne s’imaginent probablement pas avoir affaire à une future concurrente. Blondeur peroxydée sur khôl charbonneux, perfecto tombant sur un jean taille haute, l’ex-serveuse de bar, qui doit son surnom de Blondie aux sifflets des camionneurs sur son passage, n’a nulle intention de se cantonner aux rôles de muse ou de groupie sachant vaguement susurrer dans un micro. Par son attitude, son style si personnel et ses mots choisis d’auteure, Debbie Harry, ex-Bunny Girl née à la fin de la guerre, en 1945, fait exploser le cliché de la chanteuse minaudant jazzy pour des GI en rut. La féminité inappropriée de cette petite protégée d’Andy Warhol, qui devient l’une des femmes les plus photographiées au monde, en fait l’une des plus belles exceptions dans le cours machiste du rock de l’époque. Personne n’a oublié cette image d’elle s’affichant avec le tabloïd du jour, barré du gros titre « Women are juste slaves ». En janvier 1979, avec le tube disco punk « Heart of Glass », dont elle a écrit les paroles, elle mélange les genres sans se renier. « J’en avais marre d’entendre ces chanteuses pleurer sur leur sort, se plaindre de leurs amants et des malheurs qu’ils leur causaient, expliquera-t-elle. J’ai voulu leur dire qu’il faut savoir laisser les pauvres types là où ils sont ! » HÉRITIÈRES Quarante ans plus tard, de bandes originales (La nuit nous appartient de James Gray) en reprises (du groupe Superbus au top model Gisele Bündchen pour une pub H&M), cet hymne ne cesse de résonner, comme un rappel de la difficulté, pour une femme, à s’élever au sommet, fût-il musical. Pour mener sa carrière, Debbie Harry aura dû consentir à bien des sacrifices. Mais si la fille adoptée du New Jersey, 73 ans aujourd’hui, n’a pas voulu fonder de famille, elle n’en compte pas moins une foule d’héritières. De Madonna à Beth Ditto en passant par la regrettée Dolores O’Riordan (The Cranberries), toutes savent ce qu’elles doivent à cette meneuse pleine d’esprit et apparemment dépourvue de regrets, à part peutêtre celui de « ne pas avoir inventé le sexe » ! En 2017, à l’occasion du dernier album de Blondie, Pollinator, Shirley Manson, du groupe Garbage, invitait son aînée féministe à partager l’affiche lors d’une tournée commune. Quarante ans après avoir été adoubée par David Bowie, Debbie Harry s’imposait à son tour comme une icône rock définitive, statut que son inébranlable liberté l’incite par ailleurs à tourner en dérision. Ludovic Perrin CHRIS STEIN |