ARTE MAG N°23. LE PROGRAMME DU 3 AU 9 JUIN 2017 8 Après L’image manquante, le cinéaste franco-cambodgien Rithy Panh fouille de nouveau ses souvenirs du génocide khmer rouge dans un film, Exil, voguant à la frontière du rêve et de la réalité, de l’écriture documentaire et poétique. Entretien. mardi 6 juin à 22.20 Documentaire Exil Lire page 17 _21f. 1.M F1. 1.M.W. «Quelques images pour survivre» Rithy Panh Exil présente une forme hybride, mêlant archives, poésie, arts plastiques, mise en scène… Comment l’avez-vous construit ? Rithy Panh : Je n’avais pas de structure ordonnée au départ. Je suis d’abord parti d’objets : une cuillère, des boutons, que j’ai commencé à filmer dans un univers clos. Le texte est venu plus tard. Parfois, les films s’assemblent comme cela : par petites touches. Ce qui m’importait, c’était de parler du sentiment humain face au totalitarisme. Souvent, on pointe la cruauté. Dans les images surgissent la guerre, les corps, les bombes. Mais on ne voit que très peu ce qui fait l’essence de l’humain. Comment résiste-t-on à un climat de terreur ? Comment survivre quand la violence est partout ? Qu’avez-vous souhaité exprimer à travers le motif de la cabane dans laquelle vous mettez en scène un jeune homme ? À l’époque des Khmers rouges, on vivait dans des unités, sans plus aucun rapport à soi. De temps en temps, on m’autorisait à rentrer chez moi, dans une cabane, où j’étais seul. Je me suis remis dans cette situation. Le personnage du film est cloîtré dans cette maison, et en même temps, elle le protège. Dans cet espace, il peut faire entrer un gramophone, des vêtements colorés, lire, dessiner… Tout ce qui est interdit à l’extérieur. Ses souvenirs les plus chers sont là aussi. Il est comme quelqu’un qui se noie et se cramponne à une planche de bois au milieu d’une mer déchaînée. «S’accrocher à un visage, à un poème, à un mot magique.» Est-ce ainsi que l’on survit ? L’enfant essaie de peupler sa nuit d’autre chose. Moi j’avais 12-13 ans, donc très peu de vécu derrière moi. C’est pour cela que l’image de ma mère est très importante, avec le souvenir de sa main caressante. Quand on est seul dans un univers de violence extrême, il faut puiser au fond de soi-même pour retrouver cette affection originelle. Ce sont ces quelques images qui peuvent vous aider à vivre, à résister. La lune, qui revient souvent dans votre film, semble avoir aussi compté pour vous… Alors que je n’avais plus la notion du temps, c’est la lune qui me permettait de compter les mois. Et puis elle représente un ailleurs peuplé de rêves. Ce rêve, cette poésie de l’enfance protègent du réel, des Khmers rouges et du totalitarisme. Les enfants qui voient Exil le comprennent d’ailleurs mieux que les adultes, qui ont parfois plus de mal à entrer dans le film. Je crois qu’il faut simplement accepter d’y aller sans références, et alors, on s’en sort très bien ! Propos recueillis par Laetitia Møller PHOTOS FILM DISTRIBUTION |