DOCUMENTAIRE GARANTIR L’INDÉPENDANCE DE Soumise à la pression des lobbies, l’OMS peut-elle encore remplir son rôle au service de la santé publique en toute indépendance ? L’avocate écologiste Corinne Lepage *, qui intervient dans une passionnante enquête sur l’organisation, plaide pour la mise en place de contrepouvoirs. Entretien. L’OMS de l’OMS vous paraît-elle menacée ? L’indépendance Corinne Lepage : Aujourd’hui, elle est majoritairement financée par des fonds privés, et on peut raisonnablement se demander, avec ce documentaire, si ses décisions ne sont pas influencées. Mais ce questionnement va au-delà. Par exemple, une convention a été signée en 1957 entre l’OMS et l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), deux organisations publiques. Il en résulte que la première, bâillonnée, ne peut ni agir ni informer, dans le domaine nucléaire, sans l’accord préalable de la seconde. D’où peut-être cette incapacité à obtenir des chiffres convenables concernant les accidents nucléaires. Ainsi, trente ans après Tchernobyl, nous ne disposons toujours d’aucune étude homologuée par l’OMS sur les conséquences sanitaires de la catastrophe. En quoi les conflits d’intérêts peuvent-ils entraver son efficacité ? Qui imaginerait le Conseil de sécurité financé par l’industrie de l’armement ? Pourtant, de grands laboratoires pharmaceutiques contribuent au financement de l’OMS. De même, son principal donateur, la fondation Bill et Melinda Gates, dont on ne peut nier les activités caritatives, constitue par ailleurs l’un des plus grands promoteurs des OGM dans 6 N°14 – Semaine du 1er au 7 avril 2017 – ARTE Magazine Mardi 4 avril à 20.50 L’OMS : DANS LES GRIFFES DES LOBBYISTES ? Lire pages 18-19 le monde. Sur le glyphosate, la molécule active du désherbant Roundup de Monsanto, son positionnement, ambigu, surprend. En mai dernier, le Joint FAO/WHO Meeting on Pesticide Residues (JMPR), un comité commun à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), jugeait le risque cancérogène improbable pour les humains, alors qu’en mars 2015 le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), qui dépend aussi de l’OMS, l’avait classé cancérogène probable. Comment remédier à cette dérive ? Les États rechignent de plus en plus à financer les institutions internationales, lesquelles recourent au privé. Mais à l’heure où le pouvoir économique domine, il faut contrôler l’action des lobbies et mettre en place des pare-feu. Afin que la santé publique reste la priorité absolue de l’OMS, des représentants des consommateurs, des malades et des médecins doivent participer au plus haut niveau décisionnaire, pour contrecarrer l’influence des intérêts privés, et non pas à travers un comité consultatif de déontologie que personne n’écoute. Propos recueillis par Sylvie Dauvillier * Ancienne ministre de l’Environnement (1995-1997) et ancienne élue Modem au Parlement européen (2009-2014), Corinne Lepage préside le Rassemblement citoyen-CAP21. 2014 GETTY IMAGES |