COMPAGNIE DES TAXI-BROUSSE DOCUMENTAIRE POUR UNE AGRICULTURE «SAVANTE» Biologiste et professeur au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, Pierre- Henri Gouyon intervient dans un documentaire de Frédéric Castaignède qui éclaire vingt ans de controverses entre pro et anti-OGM. Entretien. Quelle est votre position en tant que biologiste par rapport aux organismes génétiquement modifiés ? Pierre-Henri Gouyon : Je pense qu’on a produit des OGM longtemps avant qu’ils ne soient au point, parce que les investisseurs, à qui l’on avait promis monts et merveilles, voulaient un retour rapide sur leur mise, alors que la recherche est un processus lent. Il aurait fallu se donner plus de temps pour obtenir des OGM qui répondent à un cahier des charges satisfaisant. Je ne récuse pas cette technologie en tant que telle, mais la façon dont elle a été mise en place dans le contexte économique néolibéral. À l’heure actuelle, si on fait le bilan, par exemple sur la promesse de réduire les herbicides, on constate qu’elle n’a pas été tenue. Les OGM ont permis à la firme Monsanto de vendre son Roundup en quantités déraisonnables, ce qui a généré de graves problèmes environnementaux et sanitaires. Certaines plantes ayant développé une tolérance à cet herbicide, les doses ont été augmentées massivement, et le résultat est catastrophique. Monsanto est-il l’ennemi public numéro un en la matière, comme le donne à penser le tribunal qui doit siéger mi-octobre à La Haye ? Monsanto a tous les défauts. En ce qui concerne l’agent orange produit par l’entreprise, utilisé pen- 6 N°41 – Semaine du 8 au 14 octobre 2016 – ARTE Magazine Mardi 11 octobre à 20.55 OGM – MENSONGES ET VÉRITÉS Lire pages 18-19 dant la guerre du Viêtnam, on peut même parler de crime contre l’humanité, mais la firme n’a jamais été inquiétée pour cela. Ce tribunal, mis sur pied en réalité par la société civile internationale, a souhaité plaider, notamment, afin que les faits soient reconnus pour leur gravité. Cela dit, les autres entreprises productrices d’OGM, par exemple la Suisse Syngenta, jouent le même jeu que Monsanto. Quelles pistes faudrait-il suivre à l’avenir, selon vous ? Aujourd’hui, tout le monde dit qu’il faut passer à l’agroécologie, y compris l’Institut national de la recherche agronomique, mais on favorise l’inverse : une agriculture industrielle et polluante, dont les OGM constituent la panacée. Privilégier l’usage intensif des ressources naturelles renouvelables plutôt que celui des énergies fossiles et des agrotoxiques est en effet la meilleure solution. Je citerai l’agronome Marc Dufumier *, qui recommande une «agriculture savante» : il s’agit de comprendre le fonctionnement des agrosystèmes pour mettre en place une agriculture durable, plus artisanale. Mais cela exige davantage de travail, de main-d’œuvre et aussi, c’est vrai, de savoirs que de prendre un gène de bactérie pour le mettre dans un génome de plante ! Propos recueillis par Marie Gérard * Professeur émérite à AgroParisTech et expert auprès de l’ONU et de la Banque mondiale. |