sylvain cherkaoui/COsmos SYLVAIN CNERICAOUI/COSMOS Mardi 28 juin à 22.55 Boko Haram Les origines du mal Lire page 15 en couverture Boko Haram Généalogie de la violence Le réalisateur Xavier Muntz (Encerclés par l’État islamique) a enquêté sur les origines du djihadisme qui ensanglante le nord du Nigeria. Il dresse un constat implacable sur la responsabilité de l’armée dans la dérive meurtrière du groupe. Pourquoi avez-vous centré ce nouveau film sur l’histoire de Boko Haram ? Xavier Muntz : D’abord parce que c’est un aspect très peu traité par les médias, qui agitent l’épouvantail Boko Haram sans s’intéresser à sa dimension éminemment locale. Qui a entendu parler de MohamedYusuf, son charismatique fondateur, sommairement exécuté par les militaires en 2009 ? On ne peut pas comprendre la violence de Boko Haram si on méconnaît celle que l’armée a exercée pour le combattre dans l’État de Borno et sa capitale, Maiduguri, où le groupe est apparu en 2002. Si je n’ai pas souhaité tourner au sein d’une des unités de l’armée nigériane basées là-bas, c’est que les militaires représentent autant une cause du problème qu’une solution. On leur attribue près de la moitié des quelque 32 000 morts civils recensés depuis le début du conflit. En mars 2015, Boko Haram a prêté allégeance à Daech. Quoi de commun entre ces deux mouvements que vous avez approchés de près ? L’adhésion à Daech représente un geste opportuniste. L’instauration d’un califat n’était nullement une revendication historique de Boko Haram. La violence de Daech est une arme de propagande, qui 4 N°26 – semaine du 25 juin au 1er juillet 2016 – ARTE Magazine vise à créer un traumatisme chez l’ennemi, et elle est théorisée comme telle. Celle de Boko Haram a été engendrée en partie par les représailles contre le mouvement. Quels ont été les obstacles au tournage ? Le soutien militaire des États voisins – Niger, Cameroun, Tchad – et l’élection de Muhammadu Buhari à la présidence, fin mars 2015, ont beaucoup contribué à améliorer la situation sécuritaire, notamment à Maiduguri. Mais il y a toujours du danger à travailler dans la région. Le 30 janvier dernier, alors que j’étais sur place, une attaque spectaculaire a eu lieu dans un village proche de la ville. Boko Haram a tué ce soir-là 86 personnes. Je n’ai rien vu car j’étais consigné à mon hôtel par l’armée, qui a constamment cherché à entraver mon travail. J’ai attendu mon visa de journaliste durant neuf mois. Une fois sur place, alors que je disposais de trente jours, l’étatmajor de Maiduguri, après m’avoir ainsi assigné à résidence, m’a obligé à partir pour Abuja, la capitale, solliciter une autorisation militaire de tournage. Puis, il m’a imposé une escorte qui intimidait les témoins, officiellement pour des raisons de sécurité. J’ai dû ruser pour travailler avec un minimum de liberté. Propos recueillis par Irène Berelowitch |