O Guerbois fiction Dom Juan en cavale Comédien et metteur en scène boulimique de travail, sur scène comme au cinéma, Vincent Macaigne fait du Dom Juan de Molière un sombre héros «en cavale» pour la collection «Théâtre» d’ARTE. Entretien. Après votre premier court métrage Ce qu’il restera de nous, primé à Clermont-Ferrand, était-ce un défi pour vous de réaliser ce projet ? Vincent Macaigne : Je trouvais cela humble de répondre à une commande d’ARTE plutôt que de me lancer dans un premier long métrage comme beaucoup le font. C’était l’occasion pour moi de m’entourer d’une équipe technique, d’apprendre, de m’amuser aussi à contourner l’idée de commande pour faire du film un objet plastique formel qui ne se contente pas de mettre en images une pièce. Quels étaient les impératifs à partir desquels vous avez dû travailler ? Gilles Sandoz, le producteur, m’a proposé de filmer une pièce du répertoire de la Comédie-Française. Le cahier des charges était strict. Il ne fallait pas toucher au texte, je pouvais juste apporter des coupes puisque, à la lecture, la pièce que j’ai choisie dure trois heures et que le format imposé ne devait pas excéder une heure quarante. Je devais aussi tour- 6 N°18 – semaine du 30 avril au 6 mai 2016 – ARTE Magazine Jeudi 5 mai à 22.50 Dom Juan & Sganarelle Lire page 23 ner en quatorze jours en reprenant la distribution de Jean-Pierre Vincent au Français. Avec toutes ces contraintes, j’ai trouvé la proposition assez belle. J’ai eu envie d’essayer de faire quelque chose de libre. Et puis il y avait l’idée de faire un geste rapide et puissant qui parle aussi bien de la France d’aujourd’hui que de celle de Molière. Pourquoi avez-vous choisi de vous emparer du Dom Juan de Molière ? C’est une pièce que j’ai eu envie de monter au théâtre, mais cela ne s’est pas fait. Quand Molière l’a écrite, son Tartuffe venait d’être interdit. Ayant peu de temps, il a repris les tragi-comédies de Dorimond et de Villiers. Ce film en est une nouvelle variation, une variation que j’aurais faite avec un camarade qui serait Molière. Comment voyez-vous le personnage de Dom Juan ? Comme un homme en cavale. Ce n’est pas un séducteur, mais un homme qui cherche une vérité chez les autres et qui ne la trouve pas. Un être impur, qui ne fait rien de sa vie, dilapide l’argent de son père et se dresse contre Dieu. J’ai essayé de travailler cela, cette impureté, pour mettre en valeur ce qui était important pour moi dans la pièce, ce qu’elle a à nous dire de la France, de la religion et des archaïsmes de l’homme. Et son valet Sganarelle ? Il représente un peu l’establishment, avec sa part de non-dits et de contradictions, une partie de la conscience de Dom Juan et celui qui va le précipiter dans la mort. Dom Juan et lui forment une sorte de couple. Ils partagent d’une certaine manière une histoire d’amour et cela ouvre sur d’autres questions essentielles : qu’est-ce qu’aimer, qu’est-ce qu’être aimé ? Propos recueillis par Christine Guillemeau |