Photo Josse/LeeMAGe Documentaire Cocottes sur toiles Comme l’expose le documentaire de Sandra Paugam, au XIX e siècle, sulfureuses courtisanes et prostituées frondeuses furent des sujets de choix pour les artistes les plus émancipés. Revue de détails de trois tableaux qui ont fait scandale. Grosse fatigue Après l’orgie, la mélancolie. Le peintre Thomas Couture s’attarde sur ces moments d’hébétude lorsque la vague du plaisir collectif se retire, laissant sur la scène de débauche des corps épuisés et alanguis. Présenté au Salon de peinture de 1847, ce tableau aux dimensions imposantes (presque cinq mètres sur huit) fait immédiatement scandale. Malgré son titre (Les Romains de la décadence), chacun comprend que cette œuvre de facture académique cache une allégorie plus audacieuse. C’est la dépravation de la bourgeoisie triomphante, prompte 6 N°43 – semaine du 17 au 23 octobre 2015 – ARTE Magazine Dimanche 18 octobre à 17.35 Cocottes et courtisanes dans l’œil des peintres Lire page 13 à dilapider sa fortune en vin et en femmes faciles, que la toile dénonce en filigrane. Cette bourgeoisie qui aime aussi fréquenter les salons de peinture... Seine explicite Deux jeunes citadines allongées près de l’eau (ci-contre) se reposent. Une scène de genre doucereuse au premier regard, mais dont un examen approfondi dévoile une histoire plus épicée. Comme le tableau de Thomas Couture, de dix ans son aîné, les Demoiselles du bord de Seine donne à voir ce qui se passe «après» : Gustave Courbet y a glissé certains indices qui ne peuvent tromper sur la nature de l’activité à laquelle vient de se livrer la jeune fille du premier plan. Pose lascive, regard torve, avant-bras dégantés, jupons retroussés : tout concorde avec le chapeau masculin oublié dans la barque. À l’époque, les bords de Seine étaient un cadre notoirement associé au commerce sexuel. Une thématique sulfureuse, traitée «en creux». Les yeux de la luxure «Une vierge sale», «Une face d’enfant vicieuse», «C’est plat et ça manque de modelé» : parfois, la grandeur d’une œuvre se mesure à l’hostilité qu’elle rencontre à son apparition. En 1865, Édouard Manet et son Olympia déchaînent les passions. Certains spectateurs veulent trouer la toile à coups de parapluie. Des critiques ne supportent pas l’irrespect des conventions picturales : ces touches visibles du pinceau, ce corps non lissé, ce côté «non fini» hérissent. Et ce minou noir à la queue dressée, à quoi fait-il allusion ? Pourtant, ce n’est pas la nudité de la prostituée qui choque le plus, mais son regard, fier et direct, qui inclut le spectateur comme un client potentiel. Olympia ne se pose pas comme un objet sexuel passif mais affirme et assume son identité. Inacceptable au XIX e siècle. Pascal Mouneyres L’exposition Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910 se tient au musée d’Orsay du 22 septembre 2015 au 17 janvier 2016. |