corbis Documentaire Menace sur le grand Nord Destiné à devenir le nouvel eldorado des compagnies pétrolières, l’Arctique est-il en danger ? En marge d’une enquête alarmante, entretien avec Michel Rocard *, qui suit ce dossier pour la France et intervient dans le documentaire. L’intérêt croissant des grandes compagnies pour les ressources de l’Arctique vous inquiète-t-il ? Michel Rocard : Il ne faut pas s’emballer, ni désespérer. La présence d’hydrocarbures en Arctique, on la connaît depuis vingt ans : des réserves de gaz formidables, à peu près 30% de celles de la planète, et 13 ou 14% du pétrole liquide. Aujourd’hui, tout le monde s’active sans aucune législation commune et les permis de forer sont donnés par les cinq pays riverains. La Russie a cependant cessé toute activité pétrolière et gazière depuis deux ans. Un choix dicté par l’incertitude face à l’efficacité des techniques et des matériels pour travailler par grand froid. Les Français de Total ont fait savoir qu’ils étaient solidaires et ont tout arrêté dans le Grand Nord. Mais Chevron, Esso, BP et d’autres compagnies continuent à forer, ce qui laisse peser en effet une menace. Quand on travaille dans le pétrole, il y a toujours des accidents. Une marée noire aurait des conséquences bien plus dramatiques qu’ailleurs… On combat les marées noires de deux façons. D’une part, en déployant très rapidement des barrages flottants qui empêchent la nappe pétrolière de s’étendre. Mais en Arctique, il n’y a que deux ports, et on est souvent à huit jours de mer 6 N°2 – semaine du 3 au 9 janvier 2015 – ARTE Magazine Mardi 6 janvier à 20.50 Arctique, la conquête glaciale Lire pages 18-19 du premier d’entre eux. D’autre part, en utilisant des produits chimiques qui facilitent la dissociation des molécules d’hydrocarbures et leur digestion par l’eau de mer. Mais cela ne fonctionne pas en eau froide ! Faute de financements pour établir les infrastructures nécessaires (ports, surveillance aérienne, phares, balises…), il est exclu que l’Arctique devienne une zone pétrolière à très forte exploitation avant vingt ans. En quoi consiste votre rôle d’ambassadeur de la France auprès du Conseil de l’Arctique ? Je tente de le rendre sensible au fait que l’on ne peut rester sans règles. On finira bien par en arracher quelques-unes ! Chacun devrait s’obliger à sélectionner les techniques les plus sûres et organiser une mutualisation des moyens de combat contre les catastrophes. J’ai aussi suggéré la création d’une société financière ouverte au monde entier pour financer des infrastructures. Les Russes ne pourront jamais le faire tout seuls. Et je n’oublie pas qu’en Antarctique, toute recherche de pétrole et de gaz est interdite. Une telle décision en Arctique serait la bienvenue… Propos recueillis par Pascal Mouneyres * Michel Rocard est ambassadeur de la France pour les négociations relatives aux régions polaires. |