spectacle mémoires jubilatoires de la salle Favart Berceau de Carmen de Georges Bizet, l’Opéra-Comique célèbre son tricentenaire en fanfare le temps d’une soirée de gala exceptionnelle. À travers ses œuvres emblématiques, une plongée réjouissante dans le passé tumultueux de l’institution, mise en scène par Michel Fau *. Dans le hall de la majestueuse salle Favart, Arlequin et Colombine, hilares, dégringolent l’escalier d’honneur. Quelques minutes plus tard, le valet aux losanges bariolés foulera le plancher de l’Opéra-Comique, bientôt rejoint par une diva à la voix enrouée, corsetée dans une robe à froufrous rouge et blanche. Maniant l’art du travestissement avec malice, Michel Fau, en « Carmen de pacotille », vient prêter main-forte à son acolyte pour conter la maison tricentenaire. Metteur en scène de ce gala événement, le comédien a conçu la soirée, avec le réalisateur François Roussillon, comme un « voyage naïf dans l’histoire de l’institution, qui ne ressemblerait ni à une conférence ni à un documentaire, et serait plus festif qu’une production d’opéra ordinaire ». C’est en 1714 que deux troupes parisiennes fondent l’Opéra-Comique, sous l’égide du Roi-Soleil. Ce genre nouveau, qui célèbre les noces du parlé et du chanté, connaît un vif succès. Menacé par « deux cataclysmes » – l’Opéra de Paris et la Comédie- Française ! – et ravagé par deux incendies, en 1838 et 1887, le théâtre affirme son caractère et sa singularité tout au long du XIX e siècle. Sous la III e République, synonyme d’âge d’or, l’institution aimante les compositeurs de toute l’Europe (Donizetti, Berlioz, Offenbach…) et devient le temple des chefs-d’œuvre du répertoire lyrique. S’amorce ensuite un douloureux déclin, ponctué par le rattachement à l’Opéra de Paris en 1929 et la dissolution de la troupe de musiciens et de chanteurs en 1971. Il faudra attendre 1990 pour que l’Opéra-Comique retrouve son autonomie, et 2005 pour qu’il regagne son statut de théâtre national. Cocktail lyrique Les chapitres majeurs de cette existence tourmentée sont condensés dans l’éblouissant pèlerinage musical auquel nous convie le gala du tricentenaire. « Nous avons sélectionné les œuvres avec Jérôme Deschamps, actuel directeur de l’institution, François-Xavier Roth, le chef d’orchestre, et François Roussillon, qui a conçu et réalisé la version télévisuelle du spectacle. Ce fut un véritable casse-tête car nous voulions tout survoler », raconte Michel Fau. De Lakmé de Léo Delibes (1883) à Pelléas et Mélisande de Claude Debussy (1902), un savoureux cocktail lyrique à base d’opéras baroques, de classiques immortels et d’opérettes irrigue la soirée, à l’image de la politique menée depuis 2007 par Jérôme Deschamps. Enveloppée dans un drapeau tricolore, la puissante soprano Julie Fuchs, Artiste lyrique de l’année 2014, entonne « C’en est donc fait », air de La fille du régiment de Gaetano Donizetti (1840) ; accompagnée par le Chœur Accentus, l’Italienne Anna Caterina Antonacci, version sensuelle de la Carmen de Fau, donne de l’éventail et de la voix sur l’incontournable « Habanera » de Bizet (1875) ; impériale, la jeune soprano Sabine Devieilhe atteint des aigus ahurissants, jusqu’à dérailler en contrôle, sur « Les oiseaux dans la charmille », issu des Contes d’Hoffmann(1881) de Jacques Offenbach ; pour le passionné « Duo de Saint Sulpice », extrait de Manon de Jules Massenet (1884), la belle Patricia Petibon et le ténébreux Frédéric Antoun unissent leurs voix et leurs cœurs sous un tonnerre d’applaudissements… 6 N°1 – semaine du 27 décembre 2014 au 2 janvier 2015 – ARTE Magazine PIERRE GROSBOIS 2014 |