ARTE MAG N°20. LE PROGRAMME DU 9 AU 15 MAI 2020 6 Subversion à la russe Les grands films contiennent un plan inoubliable, pour longtemps imprimé dans la mémoire du spectateur, de Lawrence d’Arabie observant l’approche d’un cavalier bédouin à l’horizon au regard d’Antoine Doinel découvrant la mer. Les spectateurs de Faute d’amour se souviendront, eux, de l’image tétanisante d’un gamin, caché derrière une porte comme un objet oublié, étouffant ses sanglots pour ne pas trahir son désespoir d’enfant non désiré d’un couple en pleine séparation. Le coup de force du cinquième film du Russe Andreï Zviaguintsev (prix du jury à Cannes en 2017) tient tout entier dans son choix radical de faire disparaître très tôt et sans explication cet Aliocha, figure tragique de l’enfance délaissée, pour ne laisser planer ensuite que l’intolérable sensation de son absence. Fugue ? Accident ? Enlèvement ? Aucun indice ne vient éclairer cette effroyable énigme, alors que les recherches s’engagent dans une banlieue de Moscou glacée. DYSFONCTIONNEMENTS Ce requiem froid comme la mort, et pourtant aussi vibrant que la musique martelée qui l’accompagne, inspiré de statistiques affolantes indiquant que 120 000 personnes, principalement des personnes âgées et des enfants, disparaissent chaque année en Russie, pose une question obsédante. Quel est ce pays, où une partie de la population s’évapore sans bruit, et que des institutions défaillantes ne parviennent pas à retrouver ? Si Andreï Zviaguintsev affirme, dans le documentaire que consacre Olivia Mokiejewski à Faute d’amour, avoir moins réalisé un film sur la société russe qu’une histoire universelle sur la désintégration d’un couple, le résultat s’inscrit dans une filmographie traversée par une critique acerbe de l’impuissance de l’État et de l’omniprésence étouffante de la religion. Un sous-texte provoquant dans une Russie de plus en plus chatouilleuse sur la critique de ses dysfonctionnements, qui fait de Zviaguintsev un cinéaste à part : pas tout à fait un opposant officiel, néanmoins un artiste engagé (en faveur des Pussy Riots par exemple). Cet émule de Bergman et d’Antonioni manœuvre habilement entre les crocs du pouvoir poutinien, capable d’intensifier sa pression comme il l’a fait lors de la sortie de Léviathan, quand l’Église À la faveur de la soirée consacrée à Faute d’amour, le chefd’œuvre du Russe Andreï Zviaguintsev, récompensé à Cannes en 2017 et coproduit par ARTE, retour sur la genèse du film, retracée dans un documentaire d’Olivia Mokiejewski, et sur son frondeur réalisateur. orthodoxe avait tenté de faire interdire le film, et que des dialogues avaient été expurgés au nom d’une loi bannissant les grossièretés à l’écran. Toutefois, Zviaguintsev parvient encore à assurer son indépendance de ton grâce à des financements internationaux, notamment d’ARTE qui a coproduit Faute d’amour. Il fait ainsi habilement perdurer une tradition russe héritée des années soviétiques : exprimer, l’air de rien, les pensées les plus subversives. Augustin Faure Mercredi 13 mai à 20.55 Film Faute d’amour 11/7 Suivi du documentaire Il était une fois… «Faute d’amour» 6/5 11/7 Lire pages 20 et 21 ANNA MATVEEVA/NON-STOP-PRODUCTION |