artdeville - Édition chicxulub Théâtre Le Sorano : « un théâtre populaire d’aujourd’hui » A SA TÊTE DEPUIS 2016, À TOULOUSE, SÉBASTIEN BOURNAC VEUT « RASSEMBLER ET SURPRENDRE » Texte Eve Scholtès Photos François Passerini ébastien Bournac nous reçoit dans l’illustre maison, inaugurée en 1964, tandis que la saison 2019-2020 déroule six chapitres qui convoquent des spectres dans un escapegame, des icônes de la Culture Pop et des figures classiques. Effervescence. Le théâtre Sorano pétille après avoir connu l’asthénie. La fréquentation progresse encore, avec 7 000 abonnés supplémentaires comptabilisés à l’ouverture de la saison 2019-2020. Les publics nouveaux accourent, séduits par l’éclectisme et la modernité d’une programmation tournée vers la jeune création théâtrale. Maître d’œuvre de cette cure de jouvence depuis trois années, Sébastien Bournac reste pour les trois ans à venir le gardien des clefs de ce lieu emblématique du 6 e art à Toulouse. Explication d’un succès, sans totem ni tabou. Qu’est pour vous le « théâtre d’aujourd’hui » ? L’appellation est loin d’être anodine. C’est d’abord un souvenir, capté devant une salle à Montréal au Québec. Lorsque j’ai lu le nom sur la façade, j’ai aimé l’idée. Elle inspire d’ailleurs le nom de l’association qui gère le Sorano, « Théâtre Populaire d’Aujourd’hui ». C’est enfin le projet que je défends avec toute l’équipe : un théâtre de l’inclusion qui conjugue la proximité, la relation et l’accueil. Un théâtre attentif à sentir la pulsation de son époque, à décrypter les signes de son temps. Et aussi capable de donner du sens et nourrir la pulsion de jeu des artistes autant que celle du public ; sans tomber dans la démagogie ni céder à la facilité. C’est aussi une référence au théâtre populaire de Jean Vilar… La référence est là en effet, historique, même si le terme « populaire » me semble galvaudé : le théâtre de Vilar marque, dans sa réalisation, un idéal plus qu’une réalité. Agir pour un « théâtre du présent » m’intéresse davantage. Cette envie porte l’ambition d’élargir le public du Sorano ; y compris en programmant un escape-game ou des créations qui convoquent les figures de Stallone et Patti Smith. Je trouve formidable de commencer une saison qui propose non pas un mais des théâtres. C’est une porte ouverte sur l’humanité, une invitation à 30 rassembler nos altérités. Tout cela raconte aussi comment la culture, dans sa plus grande diversité, change le quotidien ; comment la fréquentation des œuvres et des artistes vient bousculer nos certitudes, nous remuer au plus intime et peut nous aider à nous réapproprier le vivant. Redevenir pleinement acteurs de nos vies. Populaire, c’est d’abord avec le public. Ce théâtre vieux d’un demi-siècle est-il adapté à cette soif de jeunesse et de présent ? Oui ! Il participe même pleinement à cette conviction. Les raisons tiennent à son histoire et à son architecture, à sa place et à son image dans le quotidien des Toulousains. Le Sorano a toujours été un lieu de rencontre entre le passé et le présent, et une importante maison de création théâtrale à l’époque de la décentralisation. Après avoir perdu le label de Centre dramatique national de Toulouse, sa place est peut-être devenue moins claire, moins définie. Il s’agit aujourd’hui de lui redonner une identité qui s’appuie sur cette histoire. À l’origine, ce bâtiment surprenant n’avait d’ailleurs pas vocation à recevoir l’art théâtral. La façade en brique et le portique, l’espace intérieur étaient ceux de l’auditorium du Musée d’histoire naturelle. Ce paradoxe originel fait la force du lieu, la nôtre aussi, et sa beauté. Rien ne va de soi ici, sauf la contradiction et j’aime la contradiction. Pourriez-vous préciser ? Le Sorano a traversé les époques et les modes, contraint aux aléas sans jamais craindre la fermeture ou la disparition toutefois. Il demeure une référence emblématique de la création théâtrale à Toulouse ; aussi un lieu qui fait œuvre dans, avec et pour la ville. Sa contribution, à l’instar du théâtre populaire, est importante. Il est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale le premier théâtre de Toulouse, installé au cœur de la cité. À ce substrat s’ajoute une architecture qui organise la rencontre entre les artistes et le public. La conception de la salle et des espaces répond aux canons du théâtre élisabéthain. Ici, pas de hiérarchie parmi les spectateurs : tout le monde est au même niveau. Ici, pas de distance pour les artistes : la scène, certes surélevée, reste ouverte sur le public. Le Sorano est une agora qui a pignon sur rue ; avant, pendant et après la représentation. Il est l’outil avec lequel nous travaillons la porosité entre artiste et public, parole et écoute, passé et avenir. |