Dans le lit d’un ruisseau, pierre dit « d'accouchement » utilisée dans la société polynésienne pré-européenne. (Site du pari, presqu'île de Tahiti)/A stone said to be used for « birthing » by the pre-European Polynesian society, in a stream bed. (pAri site, Tahiti-iti) 52 Malgré l’occidentalisation croissante des modes de vies dans nos îles et certains choix récents en matière de politiques de santé, on constate la persistance d’une pratique ancestrALe liée à la période post-naissance. Il s’agit de l’enterrement du placenta du nouveau-né sur un terrain familiAL. Éclairage sur cet acte symboliquement et sociALement très fort. Aujourd’hui, la pratique de l’enterrement du placenta après une naissance n’a sans doute plus tout à fait les mêmes significations qu’avait autrefois ce geste coutumier. En cause, une période d’acculturation de plus de deux cents ans, notamment du fait de l’adoption de religions chrétiennes par la plupart des Polynésiens. L’évolution des mœurs perpétue néanmoins cette tradition, mais d’une manière plus libre et moins ritualisée. Des études effectuées par l’anthropologue Bruno Saura 1 montrent que « les Tahitiens d’aujourd’hui, dans leur grande majorité, continuent d’enterrer le placenta dans la cour de leur maison ou dans leur jardin, plaçant un arbuste sur ou à proximité immédiate de celui-ci ». Pour ce chercheur, ce geste révèle « un lien structurel entre la naissance, le placenta, et la terre » qui n’a pas été altéré par des décennies de modernisation et dont on verra plus loin qu’il peut prendre des formes nouvelles d’expression. Ce lien est affirmé d’ailleurs par l’étymologie du terme qui désigne le placenta en tahitien : pūfenua, qui signifie « centre/noyau (de) terre ». « Comme si ce « noyau de terre », cœur nourricier de l’enfant était, par définition, une parcelle de terre, appelée à intégrer ou à « réintégrer » la terre », précise ce maître de conférences de civilisation polynésienne à l’Université de la Polynésie française. Cette parenté étroite est aussi relevée par un autre scientifique, l’ethnologue Paul Ottino 2, qui soutenait déjà FiR TRI-liTi Photos : P.Bacchet dans les années 1970 que dans les îles polynésiennes, « les terres (sont) comme la descendance, l’un des éléments de la parenté. En fait, la parenté considérée en soi sans référence à des terres et à des propriétés précises n’a guère de sens ». Saura remarque par ailleurs qu’une unité familiale élargie 3 se dit, à Tahiti,’ōpū (ventre), terme systématiquement employé aujourd’hui pour exprimer l’idée de « branche familiale » ou de « souche » dans les partages de terres. L’enfant sorti du ventre (’ōpū) de sa mère appartient donc aussitôt à un autre ventre (’ōpū fēti’i : groupe de parenté). Dans un tel contexte linguistique et culturel, l’enterrement de ce « noyau de terre » (pūfenua) qu’est le placenta révèle l’importance signifiante qu’on lui accorde encore, même si de nos jours la quasi totalité des accouchements ont lieu en établissement hospitalier. Le non-accomplissement de ce geste pourrait même, pour certains, ne pas être sans conséquences pour l’enfant. Saura, suite à son enquête statistique remarque qu’à Tahiti, « en milieu urbain et polynésien, une femme sur deux emporte le placenta de son enfant. Ce chiffre serait plus élevé si des problèmes de transport n’affectaient pas les mères originaires d’îles éloignées (…). En milieu plus rural, dans la presqu’île de Tahiti et à Moorea où les femmes qui accouchent résident pour la plupart à proximité de la maternité, la proportion de placenta emporté dépasse 90% ». |