Scène contemporaine de culte à tAhiti. Les tenues vestimentaires sont toujours très codifiées. A scene from a modern day religious service in Tahiti. There is stilla strict dress code. 72 Deux ans plus tard, le temple et la station missionnaire de Papetoai, sur l’île sœur, étaient édifiés pour devenir la base principale des évangélistes qui essaimèrent ensuite dans tous les archipels. Les premières conversions massives en tant que telles intervinrent en 1815 après que Pomare II ait remporté, dans la guerre des clans dont Tahiti était l’incessant théâtre, la victoire sur les chefs de cette île, des chefs jusqu’alors dévoués aux religieux traditionnels. En cette même année, Pati’i, le grand prêtre de Papetoai lui-même, se convertit et brûla l’image de Oro, le dieu de la guerre, en témoignage de sa nouvelle foi. Un acte qui signa le début d’une longue série de destructions d’idoles et de déités traditionnelles par le feu par des populations devenues iconoclastes. Pomare II fut baptisé en 1819 et aida à traduire et corriger l’Évangile en langue tahitienne. L’ouvrage devint alors une arme politique qui lui permit d'étendre son pouvoir des îles de la Société jusqu’aux Australes. Les derniers soubresauts Durant les décennies suivantes, les deux grands empires coloniaux constitués alors par la France et l’Angleterre continueront âprement à se disputer la prééminence de ces îles devenues entre-temps l’incarnation du Paradis sur Terre pour tous les Occidentaux. Une lutte d’influence idéologique remportée pour longtemps par les Britanniques même après l’établissement du protectorat français en 1842 : arrivée la première, l’église évangélique fit table rase des coutumes ancestrales et coiffa sur le poteau l’église catholique, qui ne parvint à s’implanter durablement à Tahiti qu’à la fin du XIX e siècle. Une lutte d’influence ayant surtout laissé des traces jusqu’au sein de la population polynésienne moderne, qui continue à se répartir entre église catholique et église protestante tout en ayant ouvert la porte à diverses autres confessions et obédiences, le plus souvent directement dérivées des premières. Il n’y eut en tout cas plus jamais de retour aux anciennes idoles après ce point de rupture que fut en 1813 la renonciation de Pomare II aux pratiques religieuses ancestrales. En quelques décennies, les Maohi oublièrent tout : cérémonies, signification des rites, déroulement de leur quotidien. Les églises dans le même temps poussèrent sur toutes les îles comme des champignons, parfois implantées sur les lieux mêmes des anciens marae. Et la vie, les mœurs, les rites et les valeurs de la société polynésienne s’en trouvèrent définitivement changés. Il ne serait toutefois pas tout à fait juste de se limiter à ce résumé sans évoquer les réactions qui se firent jour ponctuellement contre l’ordre établi. On pense notamment aux Mamaia et aux plus discrets Tutae-Auri, mais il ne s’agit pas de mouvement de rébellion au sens propre du terme. Souvent considérés comme des gardiens des dieux polythéistes et des arts traditionnels dont la résistance héroïque fut réprimée dans un bain de sang (au moins pour les premiers) en 1833 après six ans de rébellion, il s’agissait en réalité de chrétiens convertis engagés dans un mouvement religieux syncrétique. Beaucoup avaient intégré que le monde allait changer et pensaient par ailleurs que leurs propres dieux les avaient abandonnés. Reste qu’une mutation sociale d’une telle envergure passe forcément par différentes étapes et phases, certains se montrant nostalgiques des temps anciens tandis que d’autres s’étaient convertis du bout des lèvres et que beaucoup regrettaient surtout la liberté de mœurs d’avant. Mais le mouvement de fond était bel et bien inexorablement lancé et il n’y eut jamais de retour en arrière. Virginie Gillet P.bacchet |