FAUT QU’ON EN PARLE C’est l’histoire d’un Montréalais qui, en contemplant les objets éparpillés sur son bureau, a eu un jour une idée : échanger le petit trombone rouge qui y traînait et voir jusqu’où cela pourrait l’entraîner. Saugrenu ? Pas tant que ça, puisque, quelques jours après avoir déposé son annonce sur un site de petites annonces, Kyle MacDonald a trouvé deux preneuses, amusées par l’initiative. En échange, ces jeunes filles lui proposaient un « stylo moche en forme de poisson ». Ce qu’il accepta et remit immédiatement en troc sur le même site. Quelques jours plus tard, le stylo moche fut échangé contre un bouton de porte non moins hideux, qu’il échangea contre un réchaud à gaz. Le deal fut suivi par un autre contre un générateur électrique, puis une pompe à bière, puis une motoneige, puis une camionnette, puis un contrat avec une maison de disques… et ainsi de suite, jusqu’à obtenir une maison, dans la ville de Kipling, au Canada. Tout cela, en un an, et sans débourser le moindre dollar ! Si cette histoire est suffisamment incroyable pour avoir fait l’objet de nombreux articles de presse, elle n’en demeure pas moins symbolique de ce que peut rapporter le troc, au-delà des économies réalisées : des rencontres, des échanges, du partage, de l’imprévu et de belles histoires. UN MODE DE VIE QUI SÉDUIT Sans doute est-ce la raison pour laquelle cette pratique est devenue si populaire. La chose frémissait, il est vrai, depuis quelque temps. Portée à la fois par Internet, par la prise de conscience écologique et par la nécessité de consommer moins et mieux, elle avait conquis (comme les autres modes de consommation alternative, tels la seconde main, le vrac ou le zéro déchet) les plus engagés d’entre nous. Mais, depuis la crise sanitaire, elle semble 36 36 FAUT QU’ON « Repartir avec la banane en plus. » Let avoir séduit toutes les catégories de population. Comme si notre besoin de relations humaines avait pris le dessus sur celui de consommer. Il suffit de se connecter à Internet pour le constater. Tapez « troc » ou « échange » dans la barre de recherche de Facebook, et vous tomberez sur des dizaines de groupes consacrés à ce type d’échange. Comme cette page intitulée « Troc/Don/Vente en Île-de-France » qui rassemble 73 000 membres et qui se décline dans quasiment chaque ville, département et région. Signe que le secteur se professionnalise, les plateformes spécialisées se multiplient elles aussi. En France, on compte une trentaine de sites, dont le plus célèbre est Mytroc.fr, qui permet d’échanger des objets culturels, de l’électroménager, du mobilier, des outils, des vêtements, mais aussi des services (soutien scolaire, jardinage, création de site, réparations diverses, etc.). Créé en 2015, le site revendique près de 100 000 échanges déjà menés, soit près de la moitié des annonces, et estime l’économie ainsi réalisée à plus d’un million d’euros. Un engouement tel qu’il commence à se dupliquer « en vrai », à travers des « troc party » et autres « free troc party » où chacun vient avec ses objets à échanger et repart avec ses trouvailles. Et qui n’a jamais vu au détour d’une gare, d’une école ou d’un jardin public, une « boîte à lire » ? Ces petites bibliothèques, installées dans près de 7 000 endroits en France, permettent de déposer et de repartir avec de nouveaux livres, gratuitement. « Une Juin 2021 |